Un cadre pour l’éthique - Objectif Soins & Management n° 223 du 01/02/2014 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 223 du 01/02/2014

 

Antoinette Brousse

Sur le terrain

Laure de Montalembert  

Les premières rencontres éthiques du centre hospitalier de Mayotte sont créées en janvier 2006. Six mois plus tard, le groupe de réflexions éthiques en soins infirmiers naît. En avril 2012, les deuxièmes rencontres voient le jour et avec elles le souhait de voir émerger un comité d’éthique. Le CH de Mayotte devient un lieu en perpétuel questionnement.

En six années d’existence, le groupe éthique s’est attaché à répondre aux demandes des professionnels et des usagers. Les différents travaux, les noms et les coordonnées des membres du groupe sont accessibles à tous les professionnels sur le serveur informatique du centre hospitalier de Mayotte (CHM).

LES DÉVELOPPEMENTS DU GROUPE ÉTHIQUE

Une charte éthique de la personne hospitalisée

La charte éthique de la personne hospitalisée a été citée comme élément remarquable lors de l’accréditation V2 du CHM. Cette charte, clé du respect de la personne hospitalisée au regard de la loi et des traditions culturelles mahoraises, est exposée lors des rencontres inter-services du CHM, mais également en inter-régionales. Elle est le fil conducteur de travaux transversaux institutionnels axés sur l’accueil des usagers.

Un règlement intérieur

La rédaction d’un règlement intérieur et d’une charte de fonctionnement du groupe pour fixer ses missions, ses droits et devoirs a été établie. Une des missions est d’être force de propositions et de recommandations au niveau du CHM, ne pas faire à la place des soignants mais les guider dans le questionnement éthique.

Une réflexion sur la contention physique

La contention physique est souvent appliquée sans le consentement du patient, qui porte atteinte à sa dignité et sa liberté. L’équipe de psychiatrie, soutenue par deux membres du groupe, ont œuvré pour tendre vers une amélioration des pratiques. Leur question de départ était de savoir s’il existait une procédure et des critères de mise en place d’une contention au CHM. Leur enquête a mis en évidence l’intérêt d’un protocole de mise en contention physique avec une réflexion en équipe pluridisciplinaire ; une prescription médicale, respect du cadre législatif, traçant les indications de la contention, la conformité de la mise en place avec le mode d’hospitalisation, la surveillance somatique et l’état psychique, le relais médicamenteux, la réévaluation quotidienne ou horaire du maintien de la procédure ; le déroulement de la contention ; la surveillance somatique et psychique du patient, la communication maintenue, l’hygiène et le confort du patient dans le respect de son intimité et de sa dignité. Depuis la mise en œuvre, plusieurs protocoles de contention sont validés.

Un travail sur la confidentialité

Le respect de la confidentialité, notamment en orthogénie, est un long travail en cours d’élaboration.

Échanges et formation

Des rencontres régulières entre le groupe éthique et les professionnels des différents pôles du CHM, y compris les étudiants de l’Ifsi, permettent d’échanger sur des problématiques de terrain. Ces rencontres ont donné naissance à des réunions collégiales formalisées en secteur pédiatrique, devant la difficulté rencontrée par les personnels non médicaux lorsque le rapport bénéfice/risque des traitements n’est plus en faveur de l’enfant. Une formation “éthique et management des cadres” du CHM a été conduite. À l’issue de cette formation, les cadres ont évoqué des projets à élaborer en sous-groupe :

• fidéliser les agents, notamment le recrutement hors Mayotte. Le nombre d’IDE issus de la formation Ifsi de Mayotte est à ce jour insuffisant pour combler les besoins. De nombreux infirmiers, majoritairement métropolitains, viennent enrichir leur expérience sur l’île pendant des séjours relativement courts ;

• identifier les rôles des acteurs hospitaliers afin d’intégrer la dimension financière dans la chaîne du soin.

Rencontre “RFO”

Régulièrement, des professionnels du CHM sont invités à l’émission radiophonique “M’Parano” pour échanger et surtout tenter de répondre aux nombreux questionnements des auditeurs sur des thèmes de santé. Les 5, 6 et 7 avril 2011, les membres du groupe, un médecin et le directeur de l’hôpital ont été invités à débattre sur l’accueil, l’offre de soins, les projets hospitaliers. Même si les trois soirées avaient un thème bien défini, la question de l’accueil a été le fil conducteur des débats. L’accueil au CHM est au centre de nos préoccupations dans chaque pôle et dans le projet de soins de l’établissement. Il devient un axe prioritaire au regard des usagers et du CHM. Il nous oblige à questionner nos pratiques, à progresser, à penser en termes de professionnalisation des agents.

RENCONTRES ÉTHIQUES

« Ce contexte est similaire à celui de la France métropolitaine dans le sens où il faut savoir allier qualité des soins et contraintes économiques. Il est singulier cependant par la situation géopolitique de notre île qui reçoit un nombre important d’usagers en situation irrégulière, très démunis, souvent atteints de pathologies très avancées. Singulier aussi, par sa composante multiculturelle, animiste, musulmane, chrétienne, athée, apportant chacune des représentations et valeurs différentes sur la vie, la maladie ou la mort. Singulier, enfin, par les différentes langues et dialectes utilisés apportant leur lot d’incompréhension dans la relation soignant-soigné. Il nous faut prendre du temps pour redonner du sens aux pratiques et aux changements que nous vivons, grâce à la réflexion éthique », indique Josiane Henry, coodinatrice générale des soins au CHM en avril 2012. La journée du 10 avril 2012 a abordé les thèmes de l’accueil des usagers et de leur famille, de la bientraitance, des droits des patients, de l’accompagnement en fin de vie.

L’importance de l’accueil à l’hôpital

Accueillir, donner de l’hospitalité à quelqu’un, établir un premier regard, une approche, établir un climat de confiance entre le patient, la famille et l’équipe soignante afin de favoriser l’acceptation de l’hospitalisation, limiter l’anxiété : la qualité de l’accueil permet souvent de dédramatiser des situations.

La responsabilité de la sauvegarde de la santé des citoyens est du devoir de tous les hospitaliers, personnels administratifs, médicaux, soignants, techniciens, restauration, etc., et de la stratégie d’accueil de l’hôpital. Tous contribuent à la réponse aux besoins des patients de l’entrée à la sortie.

Bientraitance, un enjeu de qualité

« Fais à l’autre ce que tu voudrais que l’on te fît », précise Marie-Claude Moncet, directrice des soins. En 2008, l’Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ANESM) lance un programme de recommandations relatives aux bonnes pratiques dans la prévention et le traitement de la maltraitance.

Une des recommandations a pour vocation de proposer des points de repère sur les conduites à tenir et les pratiques à développer dans une double perspective. Dès 2009, la cellule qualité du CHM se propose d’adhérer à ce programme en constituant un groupe de travail sur appel à volontariat.

Plusieurs documents sont alors élaborés :

• la fiche de signalement des personnes maltraitées ;

• l’ordonnance de consultation pour avis psychiatrique ;

• la fiche de liaison service/assistante sociale ;

• la fiche répertoire avec les coordonnées de toutes les personnes ressources intra et inter-hospitalières.

À ce jour, le groupe maltraitance est actif et peut être saisi à tout moment pour toute question relative à la maltraitance. De nombreux documents ont été élaborés et sont à disposition des professionnels sur “Biblio Web” de l’établissement. Cette demande a donné matière à réflexion au groupe éthique : qu’est-ce que la maltraitance ? On a beaucoup parlé des personnes en demande de soins qui viennent aux urgences suite à une agression, mais qu’en est-il de la maltraitance en général, sommes-nous maltraitants ? Ou, au contraire, ne devrions-nous pas tendre vers la bientraitance ? Que mettre en place pour interroger nos pratiques ?

« Le patient, c’est un “rendez-vous en terre inconnue” avec nous, soignants, où les questions éthiques sont centrales au questionnement qui précède les décisions de soins et la mise en projet de soins individualisé », indique Marie-Claude Moncet.

Ainsi, les décisions sont collégiales, pour lesquelles la personne de confiance est entendue et peut influer les décisions thérapeutiques en donnant un avis. Cette décision précède aux soins palliatifs dans le respect des principes de l’autonomie et de la bientraitance. Qui dit autonomie du patient ou du soignant, dit véritable question éthique à débattre. Une dimension à questionner dans le cadre de la loi du 4 mars 2002, où le patient est considéré comme « partenaire de ses soins », « décideur de sa vie », prônant ainsi « une collaboration de patient avec confiance ». De quoi méditer.

LE GROUPE DE RÉFLEXION ÉTHIQUE

Constitué de professionnels de différentes formations (secrétaires, aides-soignants, assistantes sociales, psychologue, manipulateurs radio, infirmiers, cadres infirmiers, directeur des soins), le groupe éthique s’est étoffé, au fil du temps, avec des médecins qui partagent les questionnements éthiques à travers leur regard médical.

Le groupe fait régulièrement appel à des spécialistes médicaux, religieux, juristes, etc., comme experts dans leur domaine de compétence, ainsi qu’à la Commission des relations avec les usagers et de la qualité de la prise en charge (Cruq) pour rendre compte des actions entreprises pour le bien être des usagers.

Le groupe éthique aujourd’hui

Parti de rien en 2006 — si ce n’est de la volonté de certains de créer ce groupe pour un partage de questionnements ou la question “éthique” relie les soignants – il est à ce jour connu de tous les professionnels du CHM qui y font appel de plus en plus, au point que nous ne pouvons répondre à toutes les demandes.

→ À ce jour, tous les pôles d’activité ont mis l’accueil en première ligne de leur projet : rédaction de la charte d’accueil, politique de formation à l’accueil dans toutes ses dimensions, y compris socioculturelles.

→ La direction des soins et la cellule qualité ont mis en place un groupe de travail ciblé sur l’accueil auquel participe un représentant des usagers. Cela a permis la révision du livret d’accueil et de la fiche de satisfaction des usagers (en cours), un plan de formation, des hôtesses d’accueil, et aménagement de la signalétique…

→ La bientraitance autour du repas fait l’objet d’audits pluriannuels dans divers services de soins en partenariat avec la cellule qualité. Les soignants ont pu mesurer combien le repas était un soin, temps fort de la vie à l’hôpital, et combien le relationnel était important. Là aussi, les pratiques évoluent, le plateau repas n’est plus déposé au patient, mais s’accompagne de ce qu’il y a autour de l’installation : le « bonjour », « avez-vous bien mangé ? »…

→ Les résultats sont présents : les plaintes reçues par la Commission des relations avec les usagers et de la qualité de la prise en charge (Cruq) pour “mauvais accueil” sont à ce jour en nombre insignifiant (voire nul lors de la dernière Cruq de décembre). Les agents d’accueil et les autres professionnels sont bien souvent félicités et remerciés par les usagers du CHM, ce qui, bien sûr, augmente la propre satisfaction du travail bien fait par des personnels.

→ La direction, toujours attentive à la qualité des soins, reste très à l’écoute des usagers par l’intermédiaire des représentants des usagers, le suivi des fiches de satisfaction, la Cruq et la relation directe avec les agents.

→ Le groupe éthique, force de proposition, a réussi à guider ces questionnement liés à l’accueil et a impulsé une réelle dynamique de la réflexion à la pratique des soins.