Dépression, risque suicidaire : le sujet âgé au cœur du soin - Objectif Soins & Management n° 222 du 01/01/2014 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 222 du 01/01/2014

 

Management des soins

Jean-François Zimermann*   Magali Auzer**   Marie-Laure Lanefrede***  

Le plan psychiatrie et santé mentale 2005/2008 mettait l’accent sur la dépression, manifestation fréquemment rencontrée dans la population générale, la situant au 4e rang du classement des pathologies les plus préoccupantes, et qui pourrait occuper la 2e place en 2020. Pour la personne âgée, c’est l’un des problèmes de santé mentale le plus communément rencontré (1).

En effet, 2 948 personnes âgées de 65 ans ou plus décèdent par suicide en moyenne par an en France(2). Pour la région Midi-Pyrénées, 31 % des suicides touchent des personnes âgées de 65 ? ans ou plus, ce qui correspond à 123 ? suicides en moyenne par an(3). Néanmoins, 60 à 70 % des symptômes dépressifs des personnes âgées seraient négligés, méconnus ou mal traités.

Le suicide et les tentatives de suicide constituent un problème de santé publique qui se retrouve en toile de fond des divers aléas rencontrés au décours de la vie, et notamment chez les personnes âgées.

À chaque étape, du repérage à la démarche diagnostique, de l’identification des signes d’alerte à la stratégie de la prise en charge singulière de la personne âgée exposée à la dépression et au risque suicidaire sous-jacent, les équipes soignantes sont impliquées. Nous apporterons éga­lement un éclairage médico-économique du sujet.

UNE FORMATION ADAPTÉE

L’objectif de la formation réalisée et évoquée ici est de sensibiliser et former les professionnels de santé du centre hospitalier de Muret à la prise en charge adaptée de la dépression et des risques suicidaires des patients âgés qui leur sont confiés. Et plus largement d’améliorer les pratiques professionnelles dans les établissements de santé. Cela, dans le cadre national du programme Mobiqual, en suivant les recommandations de son document, “Dépression et symptômes dépressifs chez le sujet âgé”, et repris en région par l’ARS(4) Midi-Pyrénées.

D’autant que, de façon concomitante, cette dernière a édité une plaquette d’information sur le sujet : “Prévenir le suicide des personnes âgées” (2012). Avec un triple objectif : elle s’adresse à l’entourage proche, aux professionnels de santé en termes de conseils adaptés, et fait des propositions concrètes qui s’appliquent à la personne âgée atteinte de dépression, qu’elle vive au domicile(5), dans une structure dédiée ou chez un proche.

Enfin, plus généralement, rappelons que l’augmentation de l’espérance de vie enregistrée jusqu’à maintenant en Occident, et largement mise en avant encore aujourd’hui dans le discours ambiant, du fait de l’impact négatif sur la santé d’une écologie défavorable, inverse sa courbe. Par ailleurs, la France détient le dommageable record d’Europe des décès précoces, c’est-à-dire les décès avant 65 ans, qui représentent 20 % de l’ensemble des décès, et dont 70 % concernent les hommes(6).

Aussi, plus récemment, la ministre des affaires sociales et de la santé, Mme ? Marisol Touraine, a installé, conformément au souhait qu’elle avait précédemment exprimé mi-février(7), un Observatoire national du suicide afin d’en améliorer la prévention(8). Précisément sur le sujet qui nous préoccupe ici, la ministre déléguée en charge des Personnes âgées et de l’Autonomie, Mme Michèle Delaunay, attend des propositions sous peu pour le futur plan de prévention du suicide des âgés(9).

ÉPIDÉMIOLOGIE

Au regard des personnes vivant au domicile(10), la prévalence dans la population générale âgée de plus de 65 ans est estimée entre 1 et 2 % pour un épisode dépressif majeur, et entre 13 et 27 % pour les dépressions mineures. Néanmoins, la proportion de sujets déprimés méconnus est évaluée à 40 %. En revanche, pour les résidents séjournant en Ehpad(11), 10 à 15 % d’entre eux présenteraient un épisode dépressif majeur dans la première année suivant leur admission dans l’établissement. Il en résulte une prévalence d’épisode dépressif majeur à 13 %.

Trouble pathologique de l’humeur

Un trouble pathologique de l’humeur se manifeste par une attitude triste, durable et/ou une perte de l’élan, de l’intérêt et du plaisir pour la plupart des activités. D’après le DSM-IV-TR(12), il faut précisément cinq des troubles suivants presque tous les jours pendant deux semaines au moins :

• humeur dépressive : sentiment de tristesse, de vide (moins évident à déceler chez le sujet âgé),

• anhédonie : diminution du plaisir ou de l’intérêt pour toute activité (l’apathie augmente souvent chez les sujets âgés),

• modification involontaire du poids : prise ou perte de 5 % ou plus du poids habituel en un mois, modification récente de l’appétit,

• troubles du sommeil : diminution (insomnie) ou augmentation (hypersomnie) du temps de sommeil,

• asthénie : sensation de fatigue ou de diminution d’énergie,

• ralentissement psychomoteur (lenteur du discours, de la pensée, des mouvements, latence dans les réponses, voix monocorde…) ou agitation (déambulation, impossibilité de rester assis, tortillement des mains…),

• sentiments de culpabilité : hypertrophiés, souvent injustifiés et liés à l’autodépréciation du patient,

• difficultés à penser, à se concentrer, à prendre des décisions, distractibilité et troubles de la mémoire,

• pensées de mort, idéation suicidaire (vague ou plan) ou tentative de suicide.

Souffrance significative

La souffrance significative ou l’altération des fonctions sociales (isolement) peut être liée à une situation de perte d’autonomie, avec des restrictions sur l’activité physique et les capacités motrices (réduction des capacités à bouger ou à se déplacer), les atteintes du corps non vitales mais handicapantes le cas échéant, l’estime de soi, et peut occasionner des sentiments de gêne dans les relations aux autres (incontinence urinaire, par exemple). La souffrance peut également être liée à la perte de la santé avec l’annonce d’un diagnostic, d’une maladie dégénérative, les restrictions des sens (hypoacousie, et/ou baisse de l’acuité visuelle limitant les capacités de communication), une maladie à caractère psychologique ou de troubles de la mémoire (maladie d’Alzheimer, par exemple), la maladie chronique (Parkinson, cancer(13)). Cette souffrance peut être la conséquence d’une perte par décès du conjoint, d’un proche, d’un enfant, ou même de l’animal de compagnie, la perte d’un aidant naturel auquel la personne âgée s’était particulièrement attachée, la perte de l’habitus comme quitter son domicile pour entrer en institution à son corps défendant, et encore la restriction financière avec la mise sous protection juridique. « Une perte de plus peut alors être une perte de trop. »

Les facteurs de risque

Le sexe féminin, les antécédents d’épisodes dépressifs personnels et familiaux (maladies psychiatriques), les pathologies somatiques, la perte d’autonomie, la fonction d’aidant auprès d’une personne dépendante (fardeau)(14) et les personnes âgées polymédicamentées(15). Sur ce dernier aspect, plus de 90 % des personnes âgées de plus de 80 ans consomment en moyenne dix médicaments/jour, de cinq classes thérapeutiques différentes en moyenne, alors que rien, médicalement, ne le justifie, selon les résultats d’une étude(16) de l’hôpital européen Georges-Pompidou, AP-HP(17). Les conclusions de ce travail démontrent que, grossièrement, la consommation médicamenteuse a doublé depuis les années 1990. Quels sont les signes d’alerte d’apparition récente ? Un changement récent de l’humeur ou du comportement, avec des points d’appel somatiques que sont la démotivation et l’apathie, des douleurs récentes, importantes et diffuses, une inappétence et/ou un amaigrissement notable, des troubles du sommeil, un prurit multigénéralisé.

La démarche diagnostique

On procède en première intention à une évaluation globale qui retrace l’histoire de la maladie (anamnèse) au travers d’entretiens avec le patient, l’entourage et une appréciation de l’environnement. Puis on réalise une évaluation psychologique et cognitive en recherchant des signes de déficits cognitifs (MMS(18) inférieur à 26/30, mais il faut tenir compte du niveau culturel), des signes de gravité, et on évalue la sévérité de la dépression. Les critères psychologiques recherchés sont la tristesse intense, non atténuée par les stimulations extérieures, les idées de découragement, de désespoir, de dévalorisation, d’incurabilité, de suicide et de punition méritée. Les critères somatiques se traduisent par la sévérité de l’anorexie, le refus de s’alimenter, de s’hydrater et par l’importance de l’amaigrissement. Enfin, les critères fonctionnels sont évoqués par le degré de repli sur soi, le maintien au lit, la perte de contact avec l’extérieur et la négligence des besoins alimentaires. Un examen clinique complet recherche des pathologies somatiques, évalue l’autonomie, le statut nutritionnel et les déficits sensoriels. Pour mesurer le degré de dépression, on utilise les outils d’évaluation que sont l’échelle de dépression (GDS(19)) si le MMS est inférieur à 22/30, l’échelle d’apathie(20) et le NPI(21) avec ses items sur la dépression.

LE RISQUE SUICIDAIRE

La crise suicidaire doit être distinguée de celle du vieillissement. En effet, le sujet âgé parle fréquemment et naturellement de la mort ; en revanche, l’idéation suicidaire ne doit pas être banalisée. Ainsi la plainte suicidaire doit-elle toujours être prise en considération. Elle peut être formulée directement par la personne âgée ou encore transmise par son entourage : il faut savoir rechercher les idéations suicidaires, en osant et sachant parler de la mort avec elle. L’évaluation de la crise suicidaire consiste à mesurer les facteurs de risque, l’urgence et la dangerosité suicidaire.

Évaluer les facteurs de risque

Il faut repérer et identifier un état dépressif, ainsi que sa sévérité, rechercher des changements récents de comportement (évitement, opposition), d’humeur ou d’habitudes, dépister des événements potentiellement traumatiques que sont le deuil, une perte affective, un isolement social, un passage en institution ou une hospitalisation. Par ailleurs, une faible capacité d’adaptation personnelle, le sexe masculin et l’alcoolisme sont des facteurs aggravants, aussi les hommes confrontés au veuvage brutal ont un risque suicidaire beaucoup plus élevé que les femmes dans la même situation.

On doit aussi rechercher une perte de l’estime de soi (« je ne vaux plus rien, j’embarrasse »), un sentiment d’impuissance, d’incapacité ou d’incurabilité (« je ne peux plus y arriver », « je ne guérirai pas »), un désinvestissement de la réalité, parfois jusqu’à la confusion, et de la relation à autrui (repliement sur soi), des comportements de fin de vie tels que testament, legs, dons, écrits pessimistes et allusions récurrentes à la mort. Enfin, il reste à évaluer l’intensité des symptômes anxieux et la tension psychique qui facilitent le passage à l’acte.

Évaluation de l’urgence et de la dangerosité suicidaires

On doit rechercher les idées suicidaires chez le sujet considéré, en vérifiant s’il a envisagé un scenario suicidaire et à quelle échéance. La progression de la crise suicidaire est matérialisée par l’évolution de la montée en puissance des idées de mort, aussi on investigue pour savoir si la personne âgée a réfléchi à l’utilisation de moyens dangereux pour mettre fin à ses jours et si ceux-ci sont à sa portée.

Les modes de suicides les plus utilisés

En France, les deux moyens de suicide les plus usités sont la pendaison (40 %) et les armes à feu (23 %), le saut dans le vide venant bien après (10 %). À partir de 75 ans, les pourcentages augmentent avec l’âge. Aussi, dans nos services cliniques, il faut être attentif à tout ce qui permettrait à la personne âgée d’attenter à ses jours par strangulation : fils de téléphone, tubulures de perfusions, câbles de télécommande du lit et sonnette d’appel infirmier. Un autre moyen très utilisé en institution par la personne âgée est l’étouffement par coussin ou la tête enfouie dans le matelas. Il ne faut pas négliger par ailleurs les autolyses par intoxications médicamenteuses (9 %). En effet, la personne âgée peut constituer un stock de médicaments dans sa chambre à l’insu du soignant pour les ingérer en une seule prise à l’instant qu’elle s’est fixé, aussi une surveillance accrue est d’autant plus importante lors de la distribution et de la prise effective des molécules pharmaceutiques.

Tentative de suicide et suicide

Le ratio tentative de suicide/suicide diminue avec l’âge. En effet, les personnes âgées utilisent des méthodes plus violentes, donc redoutablement efficaces. La tentative de suicide chez la personne âgée est un appel à l’aide qui signe l’impression d’abandon par son entourage. Par ailleurs, le pourcentage de tentatives de suicide et de suicides est élevé dans les pathologies mentales comme les troubles bipolaires et en début de pathologies dégénératives, lorsque la personne affectée se rend compte des pertes de mémoire, entraînant un désespoir qui la pousse au passage à l’acte. La perte d’autonomie physique ou psychique peut être un facteur précipitant susceptible d’amener une personne âgée à se suicider par peur d’un futur dévalorisé. Aussi l’entrée en institution entraîne plusieurs deuils successifs que sont la perte des biens, de l’autonomie, de la liberté elle-même et d’une image de soi positive. C’est une période charnière pour la personne âgée, pouvant déclencher un état dépressif et un suicide.

TRAITER LA DÉPRESSION

La psychothérapie est recommandée, quel que soit le type de dépression. Elle agit sur des comportements qui peuvent favoriser l’apparition ou la persistance d’une dépression. Elle peut être la seule prise en charge ou être associée d’emblée à un médicament antidépresseur. Il existe plusieurs psychothérapies qui seront proposées selon les symptômes, la demande et les contraintes de la personne malade. La psychothérapie peut être réalisée en cabinet libéral mais aussi en établissement ou dans les centres médico-psychologiques (CMP). L’objectif de la prescription d’un antidépresseur dans un épisode dépressif modéré ou sévère est la rémission des symptômes dépressifs et la disparition du retentissement sur le fonctionnement social, professionnel ou tout autre domaine important pour le patient.

Le traitement d’un épisode dépressif comporte deux phases : la phase aiguë, dont l’objectif vise la rémission des symptômes, est de deux mois en moyenne (de six à douze semaines) et la phase de consolidation, dont l’objectif est de prévenir les rechutes, s’étend de quatre à douze mois en fonction des symptômes. La durée totale du traitement d’un épisode se situe donc généralement entre six mois et un an. Les antidépresseurs sont efficaces dans les dépressions caractérisées du sujet âgé. Les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS) et les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline (IRSNa) sont les produits de première intention en l’absence d’indications particulières. On peut également utiliser les antidépresseurs tricycliques (imipraminiques), les anxiolytiques ou les antipsychotiques.

Un risque d’hyponatrémie (souvent majoré par la co-prescription avec un diurétique), d’hypotension orthostatique et de troubles de l’équilibre sont les complications les plus fréquentes chez la personne âgée, entraînant syndrome confusionnel ou chutes. Chez toute personne âgée sous antidépresseur, il est donc recommandé d’évaluer d’éventuels troubles de l’équilibre avant et après traitement, et de surveiller le ionogramme sanguin et la pression artérielle.

Prise en charge psychologique et socio-familiale

La prise en charge de la personne âgée doit être globale, ce qui apparaît comme une évidence quand nous sommes soignants(22), mais cela est d’autant plus aigu ici. Le soutien psychologique précoce est toujours nécessaire, le patient doit pouvoir recevoir des informations adaptées sur sa maladie dépressive, les modalités de traitement (bénéfices/risques) et le suivi dont il bénéficie. Il est important, à chaque étape du processus thérapeutique, de motiver autant que faire se peut le patient à prendre régulièrement son traitement, car on sait par ailleurs que la personne âgée peut être peu compliante : beaucoup de dépressions ne guérissent pas en raison d’une mauvaise adhésion au traitement. On doit alors tout mettre en œuvre pour que le patient soit acteur essentiel de son parcours thérapeutique dans la mesure du possible, et qu’il reste l’interlocuteur principal du médecin.

La prise en charge de la dépression du sujet âgé nécessite une collaboration étroite entre les différents intervenants, l’aidant et l’entourage familial, centrée sur la personne en souffrance, car « chaque maillon de la chaîne compte ». La prise en charge repose à la fois sur le traitement médicamenteux, l’accompagnement psychologique et l’amélioration du soutien social et familial le cas échéant. Chaque patient est singulier, d’une extrême vulnérabilité, aussi sa prise en charge est “sur mesure”, personnalisée, réévaluée et réajustée régulièrement en équipe pluridisciplinaire, en travaillant l’interdisciplinarité(23). En effet, on a vu précédemment que les réponses à apporter à la personne âgée dépressive sont plurielles, aussi est-il indispensable de conjuguer les talents dans la déclinaison appropriée. L’approche aiguisée de ce contexte très particulier et excessivement fragile impose des professionnels de santé aguerris, au fait de cette problématique complexe. D’autant qu’il faut aussi prendre en charge l’aidant avec la même extrême attention, comme on a pu l’évoquer précédemment(24).

Approche médico-économique

Il apparaît donc particulièrement important, alors que le DPC(25) est officiellement institué de façon obligatoire pour les personnels non médicaux, à l’instar du corps médical, que les soignants soient suffisamment formés dans leur cursus initial LMD(26), mais aussi en continu, avec une attention marquée de la direction des ressources humaines et de la formation et de celle des soins à cet égard, au travers du plan de formation des personnels non médicaux de l’établissement de santé considéré. C’est d’autant plus majeur qu’il est un élément constitutif du PPS(27), et que la qualité de ce dernier, au-delà du simple recrutement, permet la fidélisation du personnel de soins(28), où, comme cela est classiquement décrit, le secteur gériatrique est peu attractif pour les infirmières.

Cela pose la question du financement correctement dimensionné de cette enveloppe dédiée, qui jusqu’à maintenant doit inté­grer de nouvelles contraintes à budget constant et fermé, puisque l’Ondam(29) est reconduit en 2013 à 2,7 % (175,4 milliards d’euros, soit 4,7 milliards seulement de plus qu’en 2012), alors que la demande de santé ne cesse de croître, notamment du fait de l’augmentation de la population âgée et polypathologique (coût de la dépendance exponentiel), sur un segment stratégique où, quelle que soit la qualité de soins proposée, on n’observe pas de satiété du consommateur. En d’autres termes, il n’y a pas d’adéquation de l’offre à la demande, comme sur un marché classique, libre et concurrentiel. Ceci dans un climat économique général atone, et sachant que les prévisions pour les exercices à venir sont assez pessimistes au regard des difficultés de relance escomptée de la croissance du pays(30). Pourtant, le rapport Attali évoque à juste titre la santé comme un levier de croissance économique(31). En effet, si « la santé n’a pas de prix, elle a un coût »(32), contrairement à une idée largement répandue, elle rapporte plus qu’elle ne coûte(33).

Néanmoins, la prise en charge des personnes du troisième âge est une problématique majeure ; ce n’est pas le développement spectaculaire de la Silver economy(34), nouveau marché florissant, qui le contredira. Aussi, quand on constate qu’aujourd’hui, dans un Ehpad de 80 ? résidents lourds, sur quatre niveaux, il n’y a la nuit que deux aides-soignantes(35), on ne cesse de s’interroger. Faute d’une IDE présente, si l’aide-soignante rencontre un tableau clinique inquiétant chez l’un des résidents, et dépassant ses compétences propres, elle n’a la seule ressource que d’appeler le Samu. L’efficience médico-économique n’apparaît pas alors évidente.

En revanche, en parallèle, la ministre déléguée aux Personnes âgées et à l’Autonomie, Michèle Delaunay, a annoncé au dernier Salon de la santé et de l’autonomie l’opération “1 Ehpad = 1 emploi d’avenir”, prévoyant la création de 7 250 emplois dans les maisons de retraite médicalisées, et 5 250 dans le secteur de l’aide à domicile des personnes âgées(35), tout en lançant officiellement la filière de la Silver économy, aux côtés du ministre du Redressement productif, Arnaud Montebourg.

Néanmoins, même si cette avancée est significative et traduit un effort important de la puissance publique sur ce domaine sensible, cela ne répond pas à l’absence d’une IDE la nuit en Ehpad, utile en première ligne, avec un U d’utilité économique, a fortiori dans l’épisode péri caniculaire que nous traversions l’été dernier. En effet, en 2035, un tiers des français aura plus de 60 ans, ils seront alors vingt millions, caractérisés par une évolution sociologique et économique forte, car ces “papy boomers” ont de nouvelles attentes et “upgradent” nettement leur niveau d’exigence quant à leur confort de vie. C’est un grand challenge de plus à relever sur le segment stratégique si particulier de la santé, nous y reviendrons dans un prochain article le cas échéant.

CONCLUSION

Nous savons que les pertes (maison, décès du conjoint, amis…) sont pour la personne âgée des facteurs de risques de dépression car elles sont très importantes à cet âge avancé. Il s’agit de pertes affectives, d’activités, de statut social, d’autonomie corporelle et intellectuelle qui entraînent une baisse de l’estime de soi(36).

Le travail de deuil est bien difficile pour la personne âgée. Les disparitions ne sont pas toujours vécues comme dramatiques, mais elles transforment son environnement immédiat. L’isolement social et la confrontation avec la mort augmentent avec l’âge (départ des enfants de la maison, mise à la retraite, maladie…). La perte de capacité amène un risque de dépression d’autant plus grand qu’elle atteindra un domaine particulièrement fragile du mode de fonctionnement de la personne et de sa propre personnalité. Il y a donc une réaction du sujet âgé face à la situation (dépression réactionnelle). Ce type de dépression est lié à un stress important que la personne n’a pas pu surmonter par elle-même.

La dépression résulte de menaces envers l’estime de soi qui diminue fortement avec l’avancée en âge et qui mène la personne âgée vers un état passif (elle n’est plus actrice de sa vie). C’est la crise identitaire liée au vieillissement. Tous les événements de vie vont être analysés par le sujet âgé afin d’évaluer son propre degré de contrôle sur la situation(37). Les stresseurs chroniques sont plus importants en institution. Le fait de devoir finir ses jours loin de son domicile peut déstabiliser la personne âgée et l’attrister profondément. Elle porte un jugement sur la satisfaction de sa vie en se référant aux différents domaines qui ont comptés pour elle (l’acceptation de ce qu’elle est, les relations sociales, son autonomie, ses enfants et leur santé(38)). Les personnes qui ont une vision négative par rapport à un de ces déterminants pensent qu’elles ne pourront pas agir sur leur environnement pour l’améliorer. Il faut tenir compte du facteur personnalité qui joue fortement sur la perception et l’adaptation à l’envi­ronnement. Le rôle des soignants dans les unités gériatriques est donc de reconnaître les signes de détresse des patients face à une situation stressante.

Les facteurs de stress lors d’une institutionnalisation sont assez nombreux et différents d’une personne à l’autre, d’où l’importance de travailler en équipes pluridisciplinaires autour du projet personnalisé(39). Celui-ci permet d’identifier les besoins, les attentes et les goûts du patient. Mais aussi de connaître son récit et parcours de vie avant son entrée, afin d’identifier les pertes (veuvage, vente du domicile, changement de région pour rapprochement familial…) et les activités antérieures qui pouvaient apporter du plaisir à la personne. L’objectif des soignants étant de proposer un lieu de vie dans lequel le patient se sente bien, et d’agir au mieux pour répondre à ses besoins afin de pouvoir réagir rapidement en cas d’humeur triste. Les quinze jours suivants l’entrée d’un patient sont primordiaux à son adaptation, si la confiance entre les soignants et le patient s’installe. Il se sentira alors finalement un peu comme chez lui dans ce nouveau lieu et son bien-être ou mieux-être subjectif prendra le dessus sur son humeur dépressive. D’où le rôle important de tous les professionnels de changer l’image d’“hôpital mouroir”, liée aux préjugés, de l’institution hospitalière aux yeux des patients.

NOTES

(1) Programme Mobiqual, Direction générale de la santé (DGS), action nationale engagée en 2006. Promotion de l’amélioration des pratiques professionnelles, déployée par la Société française de gériatrie et gérontologie (SFGG) sur différentes thématiques : douleur, bientraitance, nutrition, risque infectieux…

(2) Données 2005-2007, Inserm/CépiDC, Exploitation FNORS.

(3) Données 2005-2007, Inserm/CépiDC, exploitation ORSMIP.

(4) Agence régionale de santé.

(5) Un outil pour prévenir le suicide des personnes âgées à domicile : le gouvernement va déployer un outil auprès des structures d’aide à domicile visant à détecter les premiers signes de dépression (mallette Mobiqual), signature d’une convention le généralisant prévue au ministère de la Santé et des affaires sociales entre la Société française de gérontologie et de gériatrie et les principales fédérations d’aide à domicile, Actusoins, avec AFP, 18 juillet 2013.

(6) “État de santé des Français : une mortalité prématurée toujours plus élevée que dans les autres pays européens”, Drees, APM, 28 juillet 2010.

(7) Lors d’une intervention devant le Conseil économique, social et environnemental (Cese).

(8) “Création de l’Observatoire national du suicide”, décret publié au Journal officiel, Paris, APM, 10 septembre 2013.

(9) “Futur plan de prévention du suicide des âgés : des propositions attendues le 8 octobre”, Paris, APM, 10 septembre 2013.

(10) La ministre déléguée vient de lancer, au mois de juillet, le programme Monalisa de mobilisation nationale de lutte contre l’isolement des âgés.

(11) Établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes.

(12) Critères d’un épisode dépressif majeur.

(13) 70 % des cancers surviennent après 70 ans, “Les personnes âgées souffrant de cancer méritent une attention particulière”’, AP-HM, Réseau CHU/L’actu des CHU, 26 juin 2013. D’où l’intérêt du développement de la spécialité médicale d’oncogériatrie (Ndr).

(14) Le fardeau de l’aidant, échelle de pénibilité, Zarit SH, Zarit JM, The Memory and Behavior Problems Checklist and the Burden Interview, University Park PA, Pennsylvania State University, 1987.

(15) “Polyconsommation médicamenteuse des personnes âgées : un problème de santé publique”, Libération, ActuSoins, avec AFP, le 23 septembre 2013.

(16) Les résultats de cette étude seront présentés au congrès de la Société française de gériatrie à la suite, Pr Olivier Saint-Jean, Paris. Analyse quantitative/qualitative des médicaments prescrits et remboursés en 2011 par l’Assurance maladie en fonction de l’âge, échantillon de 594 317 personnes, représentatif à 97 % de la population française (âge, sexe, morbidité).

(17) Assistance publique-hôpitaux de Paris.

(18) Mini Mental Score ou test de Folstein, 1975.

(19) Geriatric Depression Scale.

(20) Apathie Evaluation Scale, 18 items, Robert Marin, université de Pittsburgh, 1991.

(21) Inventaire neuro-psychiatrique.

(22) 14 besoins fondamentaux, Virginia Henderson, 1960.

(23) L’intérêt est de parvenir à un but commun en confrontant des approches différentes d’un même problème. Passage du dissensus au consensus.

(24) “L’accompagnement des vivants, fardeau des aidants dans la maladie d’Alzheimer”, M.P. Rodriguez, M.L. Lanefrede, J.F. Zimmermann, Comité éthique, CHU de Toulouse, 8 avril 2013.

(25) Développement professionnel continu.

(26) Licence, master, doctorat, accord de Bologne, juin 1999.

(27) Projet professionnel et social.

(28) Concept de Magnet Hospital, USA.

(29) Objectif national des dépenses de l’Assurance maladie, issu du Projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), voté à l’Assemblée nationale. Il est respecté depuis 2010, dans le cadre de la maîtrise des dépenses de santé face au déficit chronique de l’Assurance maladie.

(30) Ondam à 2,5 % en 2012, et prévision à 2,4 % en 2014 si les recommandations de l’Assurance maladie visant à 2,48 milliards d’euros d’économie sont suivies, AFP, 9 juillet 2013. 2,2 % seulement, selon la Cour des comptes, Décision Santé, le 27 juin 2013.

(31) Une ambition pour dix ans – Rapport de la Commission pour la libération de la croissance présidée par Jacques Attali, 42 membres. Remis en octobre 2010, 272 p. Ce rapport fait suite au premier rendu en janvier 2008 au Président de la République.

(32) Santé, mon cher souci, Béatrice Majnoni d’Intignano, Éd. JC Lattes, Economica, 291 p., 1989.

(33) 11 % du Produit intérieur brut (PIB), reflet indirect de la richesse du pays, car indicateur quantitatif, non qualitatif, pour une Valeur ajoutée (VA) de 12,5 %, Comptes nationaux de la santé 2008, Drees, n° 137, septembre 2009. 11,6 % en 2012.

(34) Filière regroupant toutes les entreprises agissant pour et/ou avec les personnes âgées. Création de services personnalisés, de technologies pour l’autonomie, biens et services.

(35) ActuSoins, n° 9, p. 24, mai/juin 2013.

(36) Carton S., 1998. La dépression chez le sujet âgé, Le Journal des Psychologues, 156, 36-39.

(37) Moch A., 1989. “Le stress de l’environnement”, Saint-Denis, Culture et Société.

(38) Munoz-Sastre, M.T., 1999, Lay conceptions of well-being and rules used in well-being judgments among young, middle-aged, and elderly adult. Social Indicators Research, 47, 203-231. Netherlands.

(39) Projet de vie individualisé (PVI).

Avertissement : les propos tenus n’engagent que leurs auteurs.

Cet article est la traduction d’une formation réalisée à l’adresse des personnels non médicaux (PNM) par Mesdames Magali Auzer, neuropsychologue, et Marie-Laure Lanefrede, psychologue, unité gériatrique, CH de Muret, en juin 2012. Rédaction, apports médico– économiques et compléments bibliographiques J.-F. Zimmermann, directeur des soins, CH de Muret.

Les différentes formes cliniques de la dépression

La dépression dite masquée

La dépression dite masquée en premier lieu est une expression somatique de la dépression importante, pouvant s’exprimer par de la tristesse, et se manifeste par les plaintes les plus fréquentes suivantes : la fatigue, les douleurs tenaces, rebelles, diffuses, qu’elles soient articulaires, digestives, abdominales ou encore anogénitales, les troubles mnésiques et ceux du sommeil. Ce type de dépression, chez le sujet âgé, se traduit par un syndrome douloureux dans 60 % des cas.

La dépression hostile

Elle s’illustre par une irritabilité, de l’agressivité, accompagnée parfois par une opposition ou une hyperréactivité considérées comme caractérielles.

La dépression anxieuse

Elle revêt deux formes : une avec inhibition de l’action, l’autre avec agitation anxieuse, brouillonne, voire une confusion. L’anxiété est donc au premier plan dans ce type de dépression.

La dépression délirante

Elle est d’un diagnostic difficile, car le délire est au premier plan. Les idées délirantes les plus fréquemment rencontrées sont celles d’incurabilité, la perte d’espoir, les idées de ruines. Le vécu délirant est également persécutif et congruent à l’humeur. Le délire chez la personne âgée peut être associé par ailleurs à la maladie d’Alzheimer ou à une démence avec une dépression sous-jacente.

La dépression mélancolique

C’est une urgence thérapeutique, car le risque suicidaire est élevé. Le patient présente une prostration, un mutisme ou, au contraire, une agitation et des troubles du caractère. Cette forme clinique peut évoluer vers un syndrome de glissement, qui reste rare (3,5 % des personnes âgées hospitalisées en moyen ou long séjour*).

La dépression tardive

Elle peut induire des troubles cognitifs chez le sujet âgé, c’est un facteur de risque créant l’évolution vers une démence débutante. On parle de pseudo-démence quand on additionne cette dépression tardive aux troubles cognitifs. Lorsqu’on traite la dépression positive, soit les troubles cognitifs régressent, soit la démence s’installe. L’apparition d’une dépression au cours d’un syndrome démentiel peut être la conséquence d’une prise de conscience douloureuse de l’installation des déficits cognitifs, une récurrence d’épisodes antérieurs de dépression de l’adulte, une étiologie vasculaire (dépression vasculaire) ou la conséquence du processus neurodégénératif lui-même. Ces quatre hypothèses étiologiques ne sont pas exclusives.

Des diagnostics secondaires sont associés à la dépression : l’apathie qui traduit un déficit de la motivation (émoussement affectif), adossée dans 50 % des cas à une symptomatologie dépressive, les affections somatiques et la perte d’autonomie, l’alcoolisme (un sevrage de deux semaines permet alors d’évaluer la dépression, cette période étant propice au passage à l’acte), la iatrogénie médicamenteuse induisant elle-même l’état dépressif, la “crise du vieillissement” et le deuil qui nécessitent un accompagnement social et psychologique important, enfin les troubles anxieux.

* “Le syndrome de glissement”, Dr Jean-Claude Colombel, Réunion de gériatrie, Perpignan, 26 janvier 2011.

[Remerciements : Dr Carole Goineau, PH gériatre, Dr Li Yung Tong, PH gériatre, CH de Muret, Pr Fati Nourhashemi, pôle gériatrie, gérontopôle, Pr Bruno Vellas, Pr Jean-Philippe Raynaud, pédo-psychiatrie, pôle psychiatrie, CHU de Toulouse.