Jurisprudences en responsabilité hospitalière - Objectif Soins & Management n° 221 du 01/12/2013 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 221 du 01/12/2013

 

Droit

Les jurisprudences représentent l’ensemble des décisions de justice relatives à une question juridique donnée. Zoom sur la responsabilité hospitalière.

Notion d’infection nosocomiale

CAA Lyon, 18 juillet 2013, n° 13LY00190

• Les faits. Une patiente, née en 1969, a été admise au CHU de Saint-Étienne où elle a fait l’objet, le 13 juillet 2004, d’une dermolipectomie abdominale destinée à réparer d’importantes vergetures abdominales consécutives à ses grossesses. Les suites opératoires ont été simples, et elle est sortie de l’hôpital, le 19 juillet.

Lors d’une consultation de suivi, le 6 août, a été relevée une petite infection au nombril, et des prélèvements ont mis en évidence une infection par staphylocoques dorés. Un traitement par antibiothérapie a été engagé, avec des conséquences lourdes dans la vie quotidienne.

• La faute. L’incident résultant de la réouverture de la cicatrice du nombril de Mme B. environ trois semaines après l’intervention, qualifié d’aléa thérapeutique par l’expert, constitue « une conséquence peu fréquente mais connue de ce type d’intervention ». Ainsi, contrairement à ce que soutient la requérante, ledit incident ne révèle pas, par lui-même, une faute du service hospitalier.

• L’infection nosocomiale. Mme B. fait valoir qu’elle aurait été victime d’une infection nosocomiale. Le Code de santé publique (article L. 1142-1-I) fait peser sur l’établissement de santé la responsabilité des infections nosocomiales, qu’elles soient exogènes ou endogènes, à moins que la preuve d’une cause étrangère soit rapportée, mais seule une infection survenue au cours ou au décours d’une prise en charge et qui n’était ni présente, ni en incubation au début de la prise en charge peut être qualifiée de nosocomiale.

D’après l’analyse de l’expert, qui relève qu’une « petite infection » de la cicatrice ombilicale n’a été mentionnée pour la première fois que le 6 août, alors qu’une cicatrisation satisfaisante avait été notée lors de la consultation du 23 juillet, l’infection aurait été beaucoup plus étendue et aurait concerné l’ensemble du site opératoire si le germe responsable avait été acquis lors de l’intervention elle-même.

Ces éléments portent à conclure que la chronologie des événements est en faveur d’une infection apparue entre cinq jours et plus de trois semaines après la sortie du service et à lui dénier tout caractère nosocomial.

Aussi, la patiente ne prouve pas que cette infection est directement en lien avec l’opération du 13 juillet 2004 et présente un caractère nosocomial. La responsabilité de l’établissement est écartée.

Régime de principe des infections nosocomiales

Conseil d’État, 25 juillet 2013, n° 345646

• Les faits. Un patient a été opéré le 7 novembre 1998 d’une luxation de l’épaule droite provoquée par une chute. Le 24 novembre 1998, le chirurgien ayant pratiqué l’opération a constaté qu’il souffrait d’une douleur externe de sa cicatrice et lui a prescrit une antibiothérapie. Le 19 octobre 1999, la réapparition d’un écoulement intermittent à partir de la cicatrice a nécessité une nouvelle hospitalisation en vue de pratiquer l’excision et la fermeture de cette cicatrice.

Fin novembre 2000, une fistule est réapparue au niveau de celle-ci et, à la suite de cet épisode, un scanner réalisé en janvier 2001 a révélé une détérioration osseuse. Le patient a été à nouveau hospitalisé du 26 mars au 14 avril 2001 pour le traitement d’une ostéoarthrite conduisant à la résection du quart externe de la clavicule.

• Le droit. L’introduction accidentelle d’un germe microbien dans l’organisme lors d’une intervention chirurgicale révèle une faute dans l’organisation ou le fonctionnement du service hospitalier et engage la responsabilité de celui-ci envers la victime au titre des conséquences dommageables de l’infection. Il en va toutefois autrement lorsqu’il est certain que l’infection, si elle est déclarée à la suite d’une intervention chirurgicale, résulte de germes déjà présents dans l’organisme du patient avant l’hospitalisation.

• Analyse. L’infection s’est déclarée à la suite de l’intervention chirurgicale du 7 novembre 1998 et le germe à l’origine de cette infection, normalement présent sur l’épiderme, a été introduit dans l’organisme du patient par cette intervention. Ainsi, l’infection ne résulte pas de germes déjà présents dans l’organisme du patient. La qualification d’infection nosocomiale doit être retenue et la responsabilité de l’établissement est engagée.

Fautes lors d’un accouchement

CAA Nantes, 18 juillet 2013, n° 12NT02306

• Les faits. Mme A., enceinte de quarante semaines et cinq jours, a été admise au CH d’Argentan le 25 septembre 2005, pour donner naissance à son premier enfant. Le travail a été déclenché artificiellement le 26 septembre vers 7 h 30 et s’est poursuivi jusqu’à la naissance, à 18 h 05, d’une petite fille en état de mort apparente. L’enfant présente depuis sa réanimation une tétraparésie spastique, une hypermétropie et un strabisme importants.

• La responsabilité. L’enregistrement du rythme cardiaque fœtal au cours de l’accouchement a révélé dès 14 h 45 des décélérations qui se sont progressivement aggravées jusqu’à être qualifiées de pathologiques à partir de 15 h 50. Ce n’est cependant qu’à 17 h 42 qu’a été prise la décision de pratiquer en urgence une césarienne qui fut réalisée à 18 h 05.

À l’arrivée de la patiente au bloc chirurgical, le fœtus était en état de bradycardie et son rythme cardiaque a été alors qualifié de « pré-agonique » par l’expert. Celui-ci ajoute qu’en présence d’une telle suspicion de souffrance fœtale, et en l’absence de moyens d’investigation permettant de mesurer l’acidose métabolique et donc l’état de santé du fœtus, la prudence exigeait qu’une césarienne soit entreprise avant 17 h 30, et en tout état de cause pas au-delà, dès lors qu’à ce moment, les signes de souffrance aiguë et de bradycardie étaient évidents.

Le retard ainsi mis pour décider l’accouchement par césarienne est à l’origine d’une situation de souffrance fœtale aigüe constitutive d’une faute de nature à avoir privé l’enfant de chances sérieuses d’échapper à l’anoxie cérébrale.

Chute d’un patient

CAA Bordeaux, 28 juin 2013, n° 12BX01765

• Les faits. Un patient, qui était âgé de 83 ans, a été hospitalisé le 14 octobre 2004 au CHU de Toulouse pour une cardiopathie ischémique. Le 18 octobre 2004, il a été retrouvé dans le couloir du service où il était hospitalisé, victime d’une fracture du col du fémur. Cette fracture a alors nécessité le 21 octobre 2004 une intervention chirurgicale consistant en la pose d’un appareil d’ostéosynthèse. Son décès est survenu le 9 février 2005.

• Analyse. La famille ne démontre pas que la chute, dont les circonstances exactes ne sont pas établies avec précision, serait imputable à une faute du service hospitalier. Le seul fait que deux portes coupe-feu, qui seraient à l’origine de l’accident, aient été provisoirement entreposées dans le couloir du service où l’intéressé était hospitalisé, dans l’attente de leur pose par une entreprise, ne révèle pas l’existence d’un défaut dans l’organisation ou le fonctionnement du service.

L’état de santé du patient ne nécessitait pas, à la date des faits, une surveillance particulière pour ses déplacements. Dès lors, la circonstance qu’il n’ait pas été accompagné au moment où il a emprunté le couloir où s’est produit l’accident ne révèle pas un défaut d’organisation du service public hospitalier qui serait à l’origine de la chute de l’intéressé. Par suite, la responsabilité de Toulouse n’est pas davantage engagée pour ce motif.

Fugue d’un patient psy

CAA Nancy, 1er juillet 2013, n° 12NC01906

• Les faits. Un patient souffrant d’une schizophrénie diagnostiquée en 2008 et suivi à ce titre par le service psychiatrique du CH de Pontarlier, a été hospitalisé dans ce service le 31 juillet 2010, en raison de la recrudescence des troubles psychiatriques manifestant une rechute psychotique et se traduisant par des angoisses majeures, un délire d’influence et une dépersonnalisation.

Il a franchi, vers 18 h 30, le grillage de clôture de l’établissement, puis escaladé un pylône voisin et a fait une chute de huit mètres de hauteur, se blessant grièvement.

• Analyse. Ce sont ses colocataires qui ont, deux jours avant l’accident du 31 juillet, alerté le CH de Pontarlier sur son comportement qui, selon eux, s’altérait. Une infirmière de l’établissement a alors laissé plusieurs messages à l’intéressé, l’invitant à se présenter en consultation au centre médico-psychologique le 31 juillet à 13 heures.

De fait, le patient s’est présenté spontanément aux urgences de l’établissement, le 31 juillet 2010 vers 10 heures. Il a alors été examiné par un psychiatre, qui l’a convaincu de la nécessité de se faire hospitaliser pour quelques jours en service libre dans l’unité psychiatrique du CH et lui a prescrit des neuroleptiques et antidépresseurs à doses plus élevées, ainsi qu’un sédatif. Son état de santé ne présentait alors aucun danger prévisible, ni pour lui-même, ni pour des tiers.

Le patient était resté longtemps immobile dans le parc, quand il a subitement franchi, vers 18 h 30, le grillage de clôture, puis escaladé un pylône voisin et a fait une chute de huit mètres de hauteur. Le patient était calme, et rien ne permettait de prévoir ce geste.

Le patient, sans être soumis à des mesures de surveillance permanente qu’il n’y avait au demeurant pas lieu de mettre en œuvre dans le cadre du régime du placement libre dont il bénéficiait, et qui était justifié au regard de son état de santé, faisait, au moment des faits, l’objet d’une surveillance normale et adaptée à son état. État qui n’impliquait pas, en l’absence de prescriptions médicales spéciales, l’intervention à son égard de mesures de surveillance particulières, dès lors qu’il n’avait pas manifesté, avant l’accident malheureux dont il a été victime, un comportement nécessitant un renforcement de la surveillance alors exercée selon les seules exigences du placement libre. Aussi, la responsabilité est non engagée.

Faute de surveillance d’un patient délirant

Tribunal administratif de Paris, 21 mai 2013, n° 1106231/6-2

• Les faits. Un patient, né en 1976, traité par chimiothérapie pour le cancer d’un testicule métastatique, a été hospitalisé au service des urgences d’un hôpital le 23 octobre 2004, en raison d’un épisode fiévreux accompagné de vomissement et de douleurs thoraciques intenses. Dans l’après-midi du lendemain, il a été transféré au service des maladies infectieuses et tropicales.

Dans la nuit du 24 octobre 2004, il a été victime d’un épisode délirant aigu qui a provoqué sa fuite à travers le service et sa chute depuis la fenêtre d’une chambre inoccupée. Il est décédé des suites d’un polytraumatisme secondaire le 25 octobre 2004.

• Analyse. Le patient a été accueilli au service des urgences, où il a été mis sous oxygène et traité par antibiotiques et morphiniques. Il a ensuite été hospitalisé au service des maladies infectieuses dans la journée du 24 octobre 2004. Lors de son admission dans ce service, il n’a été examiné par aucun médecin de garde. Au cours de la nuit du 24 octobre, son état s’est aggravé, entraînant des bouffées délirantes et un raptus anxieux.

Malgré l’aggravation de son état, constaté par les personnels infirmiers, aucun interne ou médecin de garde dans ce service ou dans un autre service n’est venu l’examiner. Ce défaut de surveillance révèle une faute dans l’organisation et le fonctionnement du service de nature à engager la responsabilité de l’Assistance publique-hôpitaux de Paris.