L’approche du besoin, nécessaire pour donner du sens au soin - Objectif Soins & Management n° 216 du 01/05/2013 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 216 du 01/05/2013

 

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Brigitte Taldir  

Parler de besoin, de désir, c’est prendre en compte l’Homme, qu’il soit soigné ou soignant. Dès le début de la formation, l’étudiant infirmier est animé par le désir de bien faire et de faire du bien. Les notions de désir et de besoin prennent tout leur sens dès lors que le soignant rencontre le soigné. Voyage au cœur de la réflexion sur le sens du soin.

L’Homme est un être unique et complexe. S’il est difficile de discerner les désirs des besoins, les théoriciens du soin nous donnent des éclairages. Comme le souligne Walter Hesbeen(1), le soin est la rencontre singulière de deux êtres humains : soignant et soigné. Les deux sont uniques avec leur identité personnelle, voire professionnelle. La vision humaniste du soin permet de “prendre soin” selon la théorie développée par Hesbeen, c’est une valeur et non un fait scientifique. Il convient d’y réfléchir dès le début de la formation pour éclairer le futur soignant et initier sa réflexion sur le sens du soin.

LE CONCEPT DE BESOIN

Travailler sur le concept de besoin est le départ d’une réflexion individuelle de l’étudiant qui lui permettra de guider ses choix de soignant. Dès le premier stage en service de soins, il s’interroge : « Alors que je pense bien faire, que je réponds aux besoins du patient, il ne me comprend pas et n’est pas satisfait. Pourquoi ? » Nos besoins et nos désirs de soigné et de soignant sont-ils simultanément les mêmes ? Le désir peut-il exister là où le besoin n’est pas satisfait ? Le soignant ne s’intéresse-t-il qu’à satisfaire des besoins perturbés ? Répond-il à des critères de normes ? Le risque serait de se centrer sur une vision très protocolisée du soin alimentée par la technique et les sciences dures. Ce qui rassure le nouveau professionnel, car cela lui donne un cadre et lui permet a priori de “bien faire”. Le danger pour ce futur soignant serait d’imposer des principes d’autonomie, des contrats de soins sans engager une relation autour du désir de la personne d’exister avec toutes ses différences. Alors, il penserait être dans le “faire du bien”.

UNE DÉMARCHE SOCIOCONSTRUCTIVISTE

Dans ce travail, la démarche pédagogique est de partir d’une vision globale du besoin de tout un chacun pour que l’étudiant mette en mots le postulat que le besoin est naturel pour l’Homme, quel que soit le contexte de la prise en charge. Nous avons fait réfléchir les étudiants sur les besoins de l’Homme à partir de reproduction de trente publicités choisies les formateurs dans des magazines. Ces images leurs parlent et font partie de leur quotidien. Les publicitaires créent des besoins chez la personne à partir de ses désirs. La demande a été de repérer les besoins sur les différentes images à disposition en groupe restreint (cf. encadré p.54). Lors de la régulation en grand groupe, les formateurs favorisent les échanges, ordonnent la pensée des étudiants qui discernent dans les documents décryptés des besoins naturels ou physiologiques et des besoins culturels liés notamment à l’appartenance au groupe. Puis, à l’éclairage de théories de soins, nous orientons la réflexion vers le soin.

LE BESOIN

Différentes définitions du “besoin” sont données par les étudiants. Nous citerons :

• « exigence née de la nature ou de la vie sociale »(2) ;

• « sensation interne correspondant à un défaut d’exercice d’un fonction indispensable ou à la privation de substances indispensables à l’équilibre de l’organisme »(3) ;

• « nécessité ou exigence en général. Désigne une situation présente à un moment critique »(4) ;

• « exigence née d’un sentiment de manque, de privation de quelque chose qui est nécessaire à la vie organique »(5).

BESOIN ET/OU DÉSIR ?

Les étudiants apprennent à se détacher d’une définition généraliste du mot “besoin” pour en développer le sens à partir de situations de la vie courante. Puis ils se positionnent au fil de la régulation comme soignant : les exemples issus de leurs expériences professionnelles ou non viennent enrichir le cheminement du groupe.

C’est ainsi que le témoignage d’un ex-otage entendu la veille au journal télévisé nous sert d’accroche avant de s’intéresser à l’étymologie du mot “besoin” puis du mot “désir”. Cette femme détenue six mois dit ne pas avoir été maltraitée par ses ravisseurs. Elle explique que ces derniers comblaient quotidiennement ses besoins physiologiques tels que boire, manger, dormir. Mais ils ne communiquaient pas. Communiquer était le moteur de sa vie relationnelle et psychique. La non-communication est devenue un manque insoutenable. Le désir d’entrer en contact avec l’autre est devenu insoutenable. Les étudiants se sont questionnés si le fait de combler des besoins physiologiques est à lui seul suffisant pour prendre soin de l’autre. À ce stade de la réflexion, distinguer “besoin” et “envie” s’impose.

• “Besoin” est un mot qui nous vient du francique : bisunni(6). Il signifie à la fois la nécessité et la privation de celui qui est dans le besoin. Les définitions données précédemment montrent qu’en début de formation infirmière les étudiants ne sont pas attachés à la notion que le besoin résulte d’un déséquilibre entre l’organisme humain et le milieu où ce dernier évolue.

• “Désir” vient du latin désiderare(7) : cesser de contempler l’astre. L’astre, c’est ce que nous n’avons pas. Par extension, nous dirons que le désir, c’est ce que nous considérons comme bon pour nous-mêmes. En s’appuyant sur les écrits de Bernard ­Waysfeld(8), médecin nutritionniste et psychiatre qui s’est intéressé à l’approche multifactorielle de la prise ou non de poids, nous prendrons l’exemple suivant. Un étudiant arrive dans une soirée, le besoin de boire un liquide rafraîchissant fait émerger un manque avec la sensation de soif puis un désir de boire une bière, comblé par un plaisir lors de l’ingestion du liquide frais. Si le besoin de boire correspond à un besoin physiologique (besoin de boire), le choix de la boisson est quant à lui individuel et correspond aux goûts de la personne. Il est souvent difficile de dissocier les deux. C’est une réalité du soin qui participe aux demandes évolutives des patients. L’étudiant infirmier prend conscience que la réponse aux besoins de la personne est individualisée et évolutive. C’est une démarche dynamique.

Selon le modèle de Waysfeld(4), nous retiendrons que le besoin non satisfait fait émerger un manque comblé par un objet de désir. Dans le soin, le besoin peut être partagé entre soignant et soigné ; le désir plus difficile à mettre en mot pour les deux parties n’est pas toujours source de plaisir. Par exemple, une personne récemment amputée d’un membre inférieur et appareillée a besoin d’aller à la selle. Elle désire aller aux toilettes et, pour y répondre, elle doit mettre sa prothèse pour être autonome. Mais elle n’y prend pas du plaisir, car l’installation du matériel est douloureuse pour elle. Dans les prises en charge de malades chroniques, les exemples sont nombreux. Le désir s’inscrit dans une dynamique de projet de vie individualisé.

BESOINS ET THÉORIES DE SOINS

Lors de ce travail de mise en commun en début de formation, nous choisissons de présenter deux théories : la pyramide de Maslow (représentation pyramidale de la hérarchie des besions)(9) et les besoins de Virginia Henderson(10).

Suite aux travaux de Taylor aux États-Unis, à l’origine de l’organisation rationnelle et scientifique du travail avec le travail à la chaîne, Abraham Maslow, figure de la psychologie humaniste dans les années 1950, a hiérarchisé les besoins de l’Homme. Son travail exploité dans différents secteurs, dont la communication et les soins, est connu sous le nom de la pyramide Maslow(9). Selon son modèle, un besoin supérieur ne peut être satisfait que si les besoins d’un niveau inférieur sont comblés.

Pour Virginia Henderson, infirmière américaine du XXe siècle, les soins infirmiers « permettent à l’infirmière d’effectuer ce dont cette personne a besoin dans des circonstances données, mais aussi ce que la personne suggère et/ou exige »(10). Elle nous propose une liste de quatorze besoins(11) qui aide l’infirmier à observer ce dont une personne a besoin pour passer une journée “ordinaire”. Cette liste largement exploitée dans les formations aides-soignantes et infirmières oriente vers des indices. Il faut noter que la satisfaction du besoin par la personne elle-même traduit son indépendance. Les étudiants s’appuient sur une situation clinique simple pour faire évoluer leur pensée : une personne âgée en lieu de vie a des risques importants de chutes. L’étudiant doit lui servir et l’aider à prendre son déjeuner au fauteuil. Deux besoins physiologiques sont identifiés : besoin de s’alimenter, besoin de sécurité. Avec pertinence, ils font une différence entre les deux théories précitées. En effet, si le besoin de sécurité influence le besoin de s’alimenter, il sera cependant à traiter en premier. De ce fait, ils soulignent que la hiérarchisation proposée par Maslow est plus difficile à adapter à la prise en charge infirmière parce que la gestion des besoins perturbés n’est pas une démarche linéaire. En re­vanche, ils remarquent que la théorie de V. Henderson permet dans un premier temps de repérer des indices liés aux besoins perturbés de la personne dans le contexte décrit. La hiérarchisation leur parait logique : le besoin de sécurité et les actions qui en découlent seront à prendre en compte avant le besoin de s’alimenter. La notion de prise en charge globale de la personne est abordée.

VERS UNE DÉMARCHE CLINIQUE

Les infirmiers, de par leur formation, analysent les situations pour satisfaire les besoins de la personne au-delà des besoins thérapeutiques en lien avec leur rôle prescrit. Pour identifier un besoin, l’infirmier conduit une réflexion objective par le recueil des indices et la démarche de soins. Identifier le désir de la personne le placera plus dans la subjectivité. La créativité fait partie intégrante de la prise en charge infirmière en lien avec son rôle propre. Pour les professionnels en devenir, l’appropriation de leur rôle propre permet de transférer et de s’adapter à des situations plus ou moins complexes. Walter Hesbeen définit la démarche de soins comme « celle qui porte vers l’autre pour aller à sa rencontre sur le chemin qui est le sien »(12).

Dans la formation infirmière, les étudiants découvriront d’autres théoriciens du soin. Ce travail participera à la construction de leur identité professionnelle et affinera leur raisonnement. Affirmeront-ils que l’objectivité (le besoin) prime sur la subjectivité (le désir) ? Ne pas pouvoir répondre au désir et/ou au besoin du soigné entraîne-t-il de la frustration pour le soignant et vice-versa ?

NOTES

(1) Infirmier et docteur en santé publique, auteur contemporain de nombreux ouvrage en lien avec le sens du soin.

(2) Dictionnaire Le Petit Larousse 2011.

(3) Dictionnaire médical à l’usage des infirmières, éditions Lamarre, 3e édition 2009.

(4) Le Robert Historique de la Langue française, édition 1999.

(5) Le Larousse en ligne www.-larousse-edu.fr.

(6) Walker Philippe, “Ambiguïté du désir des patients et des soignants”, Éthique et santé, 2011 n° 8 77-85

(7) Ibid.

(8) Waysefeld Bernard, Le poids et moi, éditions Armand Colin, 2003.

(9) Pitrat Mady, Les besoins : de Maslow à Virginia Henderson. in : Soins Aides-soignantes, n° 2, février 2005, pp 6-7.

(10). Henderson Virginia, Ma conception des soins infirmiers. in : Soins, n° 440, octobre 1984, pp 17-27.

(11) Ibid.

(12) Hesbeen Walter, Prendre soin à l’hôpital, inscrire le soin dans une perspective soignant, Masson, 1997.

Les besoins – Promotion 2012-2015

→ OBJECTIFS PÉDAGOGIQUES

• Identifier le concept de besoin à partir des connaissances et des représentations des étudiants (travaux dirigés de 2 heures).

• Lors de la régulation, appréhender le lien entre le concept de besoin et les soins infirmiers (en promotion entière sur une durée de 1 heure 30).

Organisation du TD

• Travail en quatre groupes (six à sept étudiants).

• Nommer un (ou plusieurs) secrétaire(s) et rapporteur(s) en vue de la régulation.

• Un travail écrit est demandé à chaque groupe.

• Répondre aux questions suivantes.

→ TRAVAIL DEMANDÉ

1. Vous donnerez une définition du mot “besoin” (sources bibliographiques demandées).

2. Vous donnerez une définition du mot “désir” (sources bibliographiques demandées).

3. Vous connaissez la chanson de Daniel Balavoine, Qui pourra remplacer le besoin par l’envie ? Quelle différence faites-vous entre besoin – envie – désir ?

4. En communication marketing, les “créatifs” veulent susciter l’acte d’achat. Identifiez les besoins de la personne ciblés dans les publicités sélectionnées dans le dossier à votre disposition.

5. Pouvez-vous les classer par ordre d’importance ? Argumentez votre réponse.

6. Selon vous, quels sont les obstacles potentiels à la satisfaction de ces besoins pour un homme sain ?