Presbyphagie, du repérage à la prise en charge - Objectif Soins & Management n° 215 du 01/04/2013 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 215 du 01/04/2013

 

Promotion de la santé

Cédric Roquet  

La dysphagie est un trouble de la déglutition, pathologie récurrente chez le sujet âgé. Son taux de prévalence est estimé selon les études entre 8 à 15 % mais passe de 30 à 40 %, chez les sujets vivants en institution (1,2). Dénommée presbyphagie lorsque le trouble est permanent ou très prononcé, elle est à l’origine de complications lourdes.

C’est dans ce contexte épidémiologique, que les directions des soins de la Communauté hospitalière de territoire (CHT) Rance-Émeraude ont souhaité travailler sur cette problématique.

L’objectif de départ était de questionner l’interdisciplinarité des prises en charge existantes pour mieux les coordonner et les rendre accessibles au plus grand nombre de soignant dits “non-experts” en la matière (infirmiers, aides-soignants et ASH).

LE CONSTAT INITIAL

La prise en charge des troubles de la déglutition relève trop souvent des seules prises en charge spécialisées. Le recours aux compétences d’un orthophoniste, d’un diététicien ou d’un ergothérapeute peut apparaître comme la seule réponse efficace à la prise en charge d’un patient présentant des troubles de la déglutition.

Or le recours à ces expertises n’est pas toujours possible, en particulier pour les services accueillant des patients présentant des troubles chroniques de la déglutition, ou en structures d’hébergement (Ehpad).

Le personnel soignant, non-expert, exerçant dans ces services, est alors très souvent démuni pour repérer, évaluer et prendre en charge ces troubles, aux conséquences souvent lourdes et parfois létales.

UNE ENQUÊTE QUI CONFIRME CE CONSTAT

Avant d’aller plus loin dans la démarche, il a fallu mettre à l’épreuve ce constat initial.

Une situation de soins récurrente

Une enquête par questionnaire a donc été menée auprès du personnel de différents services des trois sites de la CHT.

L’analyse des 220 questionnaires recueillis a permis de confirmer l’hypothèse de départ à travers les éléments suivants : la prise en charge des patients présentant des troubles de la déglutition est une situation de soins récurrente.

Manque de formation spécifique

Les personnels interrogés (IDE, AS et ASH) ont peu bénéficié de formations spécifiques en la matière, que ce soit en formation initiale ou continue.

Des savoirs empiriques

La construction des savoirs dans ce domaine est empirique, avec un manque d’éléments de compréhension à mettre en lien avec les actions menées.

Un souhait partagé

Les soignants interrogés expriment à l’unanimité le souhait de pouvoir bénéficier d’une formation spécifique pouvant les aider à repérer, évaluer et prendre en charge les troubles de la déglutition.

DES EXPERTISES POUR LES PROFESSIONNELS NON EXPERTS

Un groupe de travail pluridisciplinaire

Le groupe de travail “trouble de la déglutition” a donc été constitué en septembre 2010. Ce groupe a eu pour objectif de mettre en commun des expertises métiers différentes, toutes présentent dans la prise en charge des troubles de la déglutition.

Des outils communs

Le groupe constitué d’orthophonistes, de diététiciens, d’ergothérapeutes, d’infirmiers, de cadres de santé infirmiers, de médecins et de pharmaciens de l’ensemble de la CHT a donc travaillé pendant un an sur la mise en commun d’expertises professionnelles.

Des expertises variées permettant de dégager et de formaliser une procédure et des outils communs de prise en charge, à l’usage de soignants non experts.

FORMALISER LES PROCÉDURES ET LES OUTILS

En s’appuyant sur sa dimension pluridisciplinaire, le travail de ce groupe a permis l’élaboration d’un protocole communautaire de prise en charge des troubles de la déglutition.

Ce protocole, à disposition des professionnels dits “non experts”, décrit les différentes étapes de la prise en charge : du dépistage aux préconisations à mettre en œuvre. Pour ce faire, le protocole s’appuie sur trois outils

• le test de capacité fonctionnelle de la déglutition ;

• la fiche de préconisations d’alimentation et de posture ;

• la fiche de suivi et d’observation) et huit fiches réflexes.

Test de capacité fonctionnelle de la déglutition

Ce test (test de Bordeaux)(3) permet le repérage et la qualification des troubles. Décrit par l’unité de rééducation de la déglutition du CHU Pellegrin de Bordeaux (Michel Guatterie et Valérie Lozano), il consiste à rechercher les performances maximales du pharynx et du larynx en conditions de déglutitions suivant différents leviers (texture, volume, température…).

Fiche de préconisations d’alimentation et de posture

Elle découle directement des conclusions du test de capacité fonctionnelle de la déglutition et permet de sécuriser la prise en charge du patient en tenant compte de ces troubles, tout en optimisant au maximum les modalités de son alimentation et de son hydratation (cf. illustration en première page).

Fiche de suivi et d’observation

Elle permet de réévaluer périodiquement l’évolution des troubles de la déglutition pour adapter l’alimentation et l’hydratation du patient au plus près de son trouble.

Les huit fiches réflexes

Elles permettent (cf. illustration ci-contre) aux soignants non experts de mettre en œuvre de la manière la plus adaptée possible les préconisations qui découlent du test de capacité fonctionnelle ou qui entourent la prise en charge du patient présentant des troubles de la déglutition.

Ces fiches, élaborées par les différents membres experts du groupe, déclinent les prises en charge dans les champs pharmaceutique, diététique, de l’urgence vitale et des postures, et constituent un tout cohérent et transdisciplinaire.

FORMER À L’UTILISATION DE CES OUTILS

La première formation dispensée par les différents professionnels du groupe était organisée en deux journées, l’une théorique et l’autre pratique autour de cinq ateliers :

• bien utiliser les produits nutritionnels adaptés ;

• mettre en œuvre le test de Bordeaux et les autres outils ;

• postures et environnement du patient présentant des troubles de la déglutition ;

• gestion de l’urgence vitale et troubles de la déglutition ;

• gestion du traitement, formes galéniques et troubles de la déglutition.

Une formation indispensable

Ce temps de formation a permis de familiariser les soignants des unités à l’utilisation de ces nouveaux outils. Plus généralement, autour d’échanges professionnels et constructifs, ils ont pu s’approprier les spécificités de ces prises en charge et développer de nouvelles compétences.

Pour un dépistage précoce

De retour dans les unités, les soignants formés sont donc en mesure de dépister les troubles de la déglutition et de les qualifier. Ils préconisent et adoptent des conduites à tenir adaptées, qu’ils réévaluent suivant différentes périodicités.

À travers une évolution de leurs pratiques professionnelles, c’est donc la qualité de la prise en charge des patients âgés présentant des troubles de la déglutition qui évolue directement.

PERSPECTIVES 2012-2013

Une autre session

Le bilan très positif de cette première formation a conduit le groupe de travail à proposer deux nouvelles sessions en 2012.

Un document pour les familles

Par ailleurs, le groupe va poursuivre son action en travaillant sur l’élaboration d’une documentation à destination des familles sur la prise en charge des troubles de la déglutition. En effet, outre la nécessaire information de ces dernières dans le cadre de la continuité de la prise en charge, toutes les études(1) s’accordent sur l’importance de l’entourage familial, notamment dans le rôle qu’il joue dans l’investissement psychologique du sujet âgé dans les repas.

Des achats spécifiques

Enfin, compte tenu de la prépondérance de ce problème en institution, le groupe va également travailler, en lien avec les services achats de la CHT, sur l’acquisition d’équipements spécifiques à la prise en charge des troubles de la déglutition dans les services de soins, et notamment en Ehpad.

CONCLUSION

La question des troubles de la déglutition du sujet âgé en établissement de santé doit être une question centrale de sa prise en charge. Parce que boire et manger constitue le deuxième besoin dans la classification des besoins fondamentaux de V. Henderson, il n’est plus possible que des troubles l’altérant ne restent le seul apanage de professionnels experts.

À travers une démarche pluridisciplinaire de partage d’expérience, ces professionnels, experts en la matière, ont su transmettre une partie de leurs compétences. Les soignants travaillant auprès des personnes âgées ont su s’en saisir et adapter leurs pratiques professionnelles. À présent formé au repérage et à la prise en charge de la presbyphagie, chacun à son niveau œuvre à prévenir les lourdes complications engendrées par cette pathologie ô combien présente dans nos établissements.

Notes

(1) Intergroupe pneumogériatrie SPLF–SFGG, sous l’égide de la Société de pneumologie de langue française (SPLF) et de la Société française de gériatrie et de gérontologie (SFGG), Troubles de la déglutition du sujet âgé et pneumopathies en 14 questions/réponses, Elsevier Masson, p. 4.

(2) Moreau-Gaudry A., Sabil A., Baconnier P., Benchetrit G., Franco A., “Évaluation en gériatrie d’un nouveau système de détection automatique des déglutitions basé sur l’analyse du signal débit respiratoire acquis par pléthysmographie respiratoire par inductance”, 2005, p. 2.

(3) Guatterie M., Lozano V., “Déglutition – respiration : couple fondamental et paradoxal”, kinéréa, 2005.