Au cœur de la recherche en soins palliatifs - Objectif Soins & Management n° 215 du 01/04/2013 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 215 du 01/04/2013

 

Marie-Noëlle Belloir

Sur le terrain

Joëlle Maraschin  

Une recherche destinée à évaluer l’impact d’un programme d’amélioration des soins de bouche préventifs chez des patients en soins palliatifs est menée par un collectif des infirmières des équipes mobiles de soins palliatifs en Bretagne. Rencontre avec l’une des investigatrices principales, Marie-Noëlle Belloir, cadre de santé au CHU de Rennes.

Objectif Soins & Management : Pourquoi avoir placé les soins de bouche préventifs au cœur de ce projet de recherche infirmière ?

Marie-Noëlle Belloir : Comme toute équipe mobile de soins palliatifs, nous ne pratiquons pas d’actes de soins. Nous sommes appelés par les soignants des services pour une évaluation, des conseils de prise en charge. Le maintien de l’hydratation de la bouche est un soin permanent, jusqu’au dernier jour de la vie. La sécheresse de la bouche est en effet très inconfortable et altère qui plus est la communication. C’est un point sur lequel nous sommes très attentifs. Or, force est de constater qu’en dépit des recommandations, on trouve toujours des bouches très altérées chez les patients en soins palliatifs. La question est de savoir pourquoi. Est-ce qu’il s’agit d’un soin banalisé mais cependant difficile à mettre en œuvre ? Pour répondre à cette question, nous avons travaillé sur les attitudes, les représentations et les connaissances des soignants en matière de soins de bouche.

OS&M : Comment ce projet de recherche multicentrique a-t-il pu voir le jour ?

M.-N. B. : Ce projet de recherche est au départ celui des infirmières de l’équipe mobile du CHU de Rennes. Il a été élaboré avec l’appui du service d’épidémiologie et de santé publique du CHU, et plus particulièrement du Dr Françoise Riou. Mais ce sont les infirmières qui ont fait la recherche bibliographique pour justifier notre questionnement de départ. Nous avons répondu à l’appel à projet du Programme hospitalier de recherche infirmière (PHRI) de la DHOS. Notre projet n’a pas été retenu, nous l’avons retravaillé pour le présenter à la Fondation de France. Il a été accepté et financé par la fondation. Le CHU de Rennes est le promoteur de ce projet. Aujourd’hui, c’est un projet multicentrique porté par un collectif d’IDE d’équipes mobiles. En effet, nous avons très vite eu l’idée de proposer ce travail de recherche aux autres équipes mobiles en soins palliatifs de la région. Dix équipes mobiles de Bretagne ont intégré le projet et se sont mises à travailler ensemble. Il s’agit d’une vraie dynamique régionale. Nous nous sommes rencontrées à plusieurs reprises, nous avons travaillé collectivement pour élaborer une procédure de recherche la plus pertinente possible.

OS&M : Quel est le protocole de recherche retenu ?

M.-N. B. : Il s’agit d’une enquête réalisée auprès des infirmières et aides-soignantes (AS) des services de médecine, chirurgie, obstétrique et soins de suite et de réadaptation des établissements hospitaliers bretons. Nous avons travaillé en quatre temps pour mener à bien cette recherche. En premier lieu, une enquête préliminaire a été conduite par deux chercheurs du Centre national de ressources en soins palliatifs. Cette enquête préliminaire avait pour objectif de valider notre hypothèse et de tester notre idée de mettre en place des groupes d’expression de soignants. Nous avons publié en octobre dernier les résultats de cette étude préliminaire dans une revue anglaise, International Journal of Palliative Nursing. Dans un second temps, nous avons adressé un questionnaire au domicile des IDE et des AS mais aussi des cadres de santé. Nous avons utilisé le questionnaire Wardh, un questionnaire validé par un médecin suédois qui a fait une recherche similaire auprès des infirmières suédoises. Ces questionnaires sont adressés au domicile pour éviter les biais méthodologiques de remplissage collectif ou encore de pression hiérarchique. Nous avons ensuite randomisé les services en deux groupes par tirage au sort. Dans le premier bras, nous avons simplement présenté aux équipes soignantes les recommandations de la Société française de soins palliatifs sur la toilette buccale. Dans le second bras de l’étude, nous avons laissé les soignants s’exprimer librement sur le soin de bouche : qu’est-ce que ce soin, est-ce que vous avez des soucis pour donner ce soin, est-ce facile ou non… Nous leur avons remis ensuite les recommandations. Le groupe d’expression doit permettre aux soignants de prendre conscience de l’importance de ce soin préventif, afin qu’il soit moins banalisé. Des questionnaires ont été envoyés un mois après l’intervention puis un an après. Nous espérons mesurer des différences.

OS&M : Comment cette recherche a-t-elle été accueillie par les équipes soignantes ?

M.-N. B. : Nous avons envoyé au total près de 2 500 questionnaires. Pour le premier questionnaire, nous avons eu un taux de réponse de l’ordre de 56 %. L’importance de ce taux de réponse montre la mobilisation des IDE, AS et cadres autour de notre projet de recherche. Les soignants semblent être facilement mobilisables, peut-être en raison du champ de la recherche en soins infirmiers encore peu développée. Mais il est vrai que nous avons fait une campagne d’informations autour de notre projet de recherche. Nous sommes allées à la rencontre des équipes dans les services, nous avons communiqué sur notre projet auprès des directions des soins et des instances de cadres.

OS&M : Quel est l’apport de cette recherche pour les IDE des équipes mobiles ?

M.-N. B. : Les IDE des équipes mobiles disent que cette recherche leur a permis de rencontrer des équipes qu’elles ne connaissaient pas jusqu’alors. Pour le seul CHU de Rennes, nous avons rencontré 22 équipes de soins autour de cette recherche. Enfin, c’est une des premières initiatives de recherche infirmière pour le CHU de Rennes. C’est très valorisant pour notre profession. En mai prochain, une infirmière de l’équipe mobile du CHU se rend à Montréal pour présenter notre recherche lors des prochaines journées francophones de soins palliatifs. Nous diffuserons aussi nos résultats à toutes les équipes des établissements qui ont participé à l’enquête. La recherche infirmière est un vrai levier pour l’amélioration de la qualité des soins. Les cadres de santé et leurs équipes doivent s’en saisir.

LES PREMIERS RÉSULTATS

→ Les premiers résultats portent sur le premier questionnaire, administré avant toute intervention : 1 répondant sur 20 considère que ce soin ne fait partie de ses fonctions. Il est jugé :

• « désagréable » par 11 % des IDE et 13,5 % des AS,

• « difficile » par 20 % des soignants.

→ Parmi les difficultés étudiées, respectivement :

• 23 % et 11 % estiment ne pas avoir le temps nécessaire,

• 12,5 % et 6,5 % ne pas être familiers avec les procédures pratiques,

• 16 % et 14,5 % ne pas être en mesure d’influencer les patients réticents,

• 11,5 % et 9 % ne pas disposer de l’aide et du matériel adaptés,

• 10,5 % et 10 % ne pas avoir les connaissances suffisantes.

→ Concernant le contenu de ces connaissances, les manques ressentis portent par ordre décroissant sur :

• les maladies de la bouche (26 % des IDE, 41 % des AS),

• les prothèses dentaires (52 % et 39,5 %),

• les fonctions de la bouche des points de vue affectif ou social (11,5 % et 15 %) et physiologique (6 % et 11 %),

• le matériel permettant une bonne hygiène buccale (5 %),

• la reconnaissance d’une bouche saine (3,5 % et 5 %).