Les parcours, un nouveau modèle de financement de la santé ? - Objectif Soins & Management n° 214 du 01/03/2013 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 214 du 01/03/2013

 

Économie de la santé

Didier Jaffre  

Dans son discours sur la stratégie nationale de santé à Grenoble le 8 février dernier, le premier ministre a beaucoup insisté sur la notion de parcours. Une notion qui pourrait bien devenir un véritable modèle de financement de prise en charge du risque assurantiel maladie.

La stratégie nationale de santé a été exposée le 8 février dernier, par le Premier ministre. Extrait : La réorganisation de notre système de santé suppose l’amélioration de la « coordination entre les praticiens et les établissements, et en organisant une véritable continuité entre la prévention, les soins et l’accompagnement, autour de la personne et de ses besoins. Chacun des acteurs du système de santé doit être confirmé dans son rôle. À la médecine de ville, il revient d’apporter des soins de premier recours, mais aussi d’assurer l’éducation à la santé et le suivi des patients. L’hôpital est le lieu où les diagnostics les plus graves doivent être confirmés, et où les épisodes aigus doivent être pris en charge. L’hôpital universitaire doit demeurer un recours pour la médecine de ville comme pour les hôpitaux environnants, en même temps qu’un lieu de formation et de recherche. Enfin, il appartient au secteur social et médico-social d’accompagner les patients, et de prévenir ou de compenser la perte d’autonomie. Il faut donc cesser de concevoir la médecine comme une succession d’actes ponctuels, et créer une médecine de “parcours”, qui repose sur la coopération des professionnels et l’implication des patients. Concrètement, mettre en place une “médecine de parcours” et organiser le parcours de soins, cela signifie que ce n’est pas au patient de coordonner lui-même la série d’actes ou d’interventions dont il a besoin. Cela signifie que les professionnels de premier recours articulent leurs interventions et qu’ils se communiquent les informations nécessaires à la continuité des soins. Cela signifie que quand le patient doit être hospitalisé, on privilégie les entrées programmées dans les services hospitaliers, et non pas le passage systématique par les urgences, et que les informations sur son état, ses traitements, l’accompagnent à son entrée et à sa sortie de l’hôpital. Cela signifie que quand il doit bénéficier d’une prise en charge médico-sociale ou d’un service d’aide à domicile après un séjour à l’hôpital, ces services soient déclenchés rapidement, sans interruption de la prise en charge. À cette fin, les moyens des agences régionales de santé, chargées d’organiser l’offre sanitaire au plan territorial, doivent être renforcés. Cela implique aussi de revoir nos modes de financement pour inciter au travail collectif, suivant les orientations du Haut Conseil pour l’avenir de l’Assurance maladie. »

Les parcours sont-ils donc en phase de devenir un nouveau modèle de financement de prise en charge du risque assurantiel maladie ?

PARCOURS, VOUS AVEZ DIT PARCOURS ?

Le parcours peut se définir comme la prise en charge globale de l’usager du système de santé dans un territoire donné, avec une meilleure attention portée à l’individu, à ses besoins et à ses choix.

Il nécessite l’action coordonnée des acteurs de la prévention, du sanitaire, du médico-social et du social, et intègre les facteurs déterminants de la santé que sont l’hygiène, le mode de vie, l’éducation, le milieu professionnel et l’environnement.

Plusieurs types de parcours

Parcours de soins

Le parcours de soins traite les soins de premiers recours, soins hospitaliers (court séjour, soins de suite et de réadaptation, soins de longue durée), prise en charge médico-sociale (services de soins à domicile, établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, établissements pour personnes en situation de handicap).

Parcours de santé

Le parcours de santé est le parcours de soins articulé en amont avec la prévention primaire et sociale et, en aval, avec l’accompagnement médico-social et social, le maintien et le retour à domicile.

Parcours de vie

Le parcours de vie retrace la personne dans son environnement : scolarisation, prévention de la désinsertion professionnelle, réinsertion, loge-ment, etc.

L’approche parcours

L’approche parcours a plusieurs objectifs.

• Privilégier une approche centrée sur les besoins de la population et non plus sur l’offre de soins.

• Satisfaire la demande des usagers et de leur entourage en adaptant les soins et services aux besoins de la population.

• Permettre aux personnes d’avoir accès à des parcours lisibles, accessibles, complets et de qualité, pour une prise en charge globale et coordonnée de leurs besoins.

• Décloisonner les prises en charge en facilitant les parcours des usagers, de la prévention au secteur médico-social, sans oublier la médecine de ville.

• Réduire les points de ruptures entre les différentes étapes.

• Ne plus raisonner seulement sur une séquence de soins, mais agir en amont et en aval.

• Renforcer la coordination entre les multiples intervenants et structures tout au long des parcours.

• Répondre à une recherche d’équité et d’égalité d’accès à la santé.

• Rationaliser et améliorer l’efficience de l’ensemble de l’offre de soins et de santé.

Pour un parcours de qualité

Un parcours de qualité doit :

• prendre en compte les besoins, l’expression des usagers et de leur entourage ;

• renforcer la prévention ainsi que la promotion de la santé ;

• optimiser la structuration de l’offre de premier recours sur tous les territoires ;

• décloisonner les secteurs, structurer des filières de prise en charge, de la prévention à l’accompagnement médico-social et social, en passant par les soins ambulatoires et hospitaliers.

MODES DE FINANCEMENT DU SYSTÈME DE SANTÉ

Aujourd’hui, les modes de financement du système de santé, même s’ils proviennent tous de la seule et même enveloppe de l’Assurance maladie, restent très cloisonnés les uns par rapport aux autres. Ils sont organisés par type d’offreur de santé et absolument pas par type de pathologie ou de population. Ils obéissent par ailleurs à des règles d’allocation très différentes, bien que gérées pourtant par une seule institution au niveau régional : l’agence régionale de santé (ARS). Ainsi peut-on distinguer différentes sources de financement.

Le financement des acteurs et des actions de prévention

Dorénavant, ces financements sont inclus dans le fonds d’intervention régional, mais relèvent encore de règles propres au secteur de la prévention. Les financements alloués sont par action de prévention, mais pas dans une approche globale de la prise en charge de la personne.

Le financement des établissements de santé

Les activités de court séjour sont financées à l’activité, les activités de Soins de suite et de réadaptation (SSR) et de psychiatrie sous la forme d’une dotation annuelle de fonctionnement (prix de journée dans le secteur privé). Les activités d’intérêt général et les missions de service public sont financées dans le cadre des enveloppes Migac (Missions d’intérêt général et aide à la contractualisation).

Le financement des établissements et services médico-sociaux

On distingue ici les ESMS pour personnes âgées et les ESMS pour personnes en situation de handicap. Là encore, le secteur a ses propres règles, sa propre campagne tarifaire avec des modalités et des calendriers différents, son propre système d’information.

Le financement des structures d’exercice coordonné, via le Fir

Il regroupe les maisons de santé pluriprofessionnelles, les groupements de professionnels, les pôles, les réseaux, les centres de santé.

Pas d’approche parcours ?

Les financements actuels du système de santé ne relèvent absolument pas d’une approche parcours, bien au contraire. En effet, ils sont alloués dans une approche purement institutionnelle de l’offre de santé. De ce fait, ils sont très cloisonnés, à tel point que la fongibilité entre ces différentes enveloppes demeure très difficile. Or il s’agit d’un point de rupture majeur dans la prise en charge globale d’une personne.

DE L’APPROCHE INSTITUTIONNELLE À L’APPROCHE POPULATIONNELLE, LE FINANCEMENT DES PARCOURS

L’approche par les parcours doit être l’occasion de repenser le financement du système de santé, non plus sur une approche de l’offre, mais sur une approche populationnelle.

En effet, à partir des besoins identifiés d’une personne ou d’une pathologie, il est possible de déterminer un financement forfaitaire qui soit attribué non plus à chaque offreur de soins, mais de manière collégiale à une équipe pluriprofessionnelle.

Le financement ne serait dès lors non plus par offreur mais par personne, sur la base d’un forfait alloué à une équipe pluriprofessionnelle d’offreurs de santé.

Cela suppose au préalable de définir le coût de prise en charge d’un parcours, ce qui n’existe pas aujourd’hui. Cela suppose également de remettre en cause le financement à l’acte dans le secteur ambulatoire, le financement direct par l’Assurance maladie comme il existe aujourd’hui pour les établissements de santé, afin de passer à un modèle de financement à la capitation.

La capitation peut être définie comme un forfait payé au prestataire de soins par personne assurée dans son aire d’attraction, pour une périodicité donnée. Il est, par définition, stable, quel que soit le niveau de consommations à venir des assurés. La capitation unitaire est calculée sur la base des coûts moyens et des fréquences de recours aux soins observés au cours des mois précédents. Cette base de calcul est ensuite pondérée par les fréquences attendues pour les mois à venir et l’application de chargements de sécurité.

Les ARS disposent néanmoins aujourd’hui d’un fonds d’intervention régional (Fir) qui peut permettre d’expérimenter ces nouveaux modes de financement basés sur les parcours.

Mais cela suppose au préalable, pour abonder le Fir, de débaser les différentes enveloppes de ville, hospitalière et médico-sociale pour constituer ce fonds de financement des parcours.

L’ARTICLE 48(1), PREMIÈRE VOIE DU FINANCEMENT DES PARCOURS

« L’article 48 de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2013 prévoit que des expérimentations peuvent être menées, à compter du 1er janvier 2013 et pour une durée n’excédant pas cinq ans, dans le cadre de projets pilotes mettant en œuvre de nouveaux modes d’organisation des soins destinés à optimiser le parcours de santé des personnes âgées en risque de perte d’autonomie (PAERPA) »(1). Il prévoit que peut être dérogé aux règles de facturation et de tarification des différents acteurs de la prise en charge des personnes âgées, quel que soit leur secteur d’appartenance (ambulatoire, hospitalier, médico-social).

Sans préjudice de financements complémentaires prévus, le cas échéant, les dépenses nouvelles liées aux projets pilotes sont imputées sur le Fir.

En vue d’une généralisation, une évaluation annuelle des projets pilotes est prévue, portant notamment sur le nombre de professionnels de santé qui y prennent part, la consommation de soins des personnes âgées, le maintien de leur autonomie ainsi que leur taux d’hospitalisation et, le cas échéant, de réhospitalisation, est réalisée en liaison avec la Haute Autorité de santé et les participants aux projets pilotes.

CONCLUSION

Le concept de parcours commence à prendre forme et à structurer la nouvelle politique de santé. L’ensemble des ingrédients est réuni pour concevoir et mettre en œuvre un nouveau de financement des soins basé sur la personne, et non plus sur les offreurs de soins. Mais ceux-ci accepteront-ils une remise en cause profonde de leur mode de financement ?

NOTE

(1) Article 48 consultable à l’adresse suivante : http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte= JORFTEXT000026785322

L’APPROCHE PARCOURS DÉVELOPPÉE DANS LE PROJET RÉGIONAL DE SANTÉ DE BOURGOGNE

Dans le cadre de son Projet régional de santé 2012-2016, l’ARS de Bourgogne décrit sept parcours de santé et de vie et identifie les points de rupture dans la prise en charge, sources de non-qualité et d’inefficience.

Trois parcours sont centrés sur des pathologies : neurologie, dont les accidents vasculaires cérébraux, la cardiologie et le traitement du cancer.

Quatre relèvent d’une approche populationnelle : les adolescents et jeunes adultes, les personnes en situation de handicap psychique, les personnes en situation de précarité et les personnes âgées.

Les bénéfices attendus par l’ARS Bourgogne sont les suivants :

– éviter la perte de chance (entrée de l’usager dans le parcours au bon endroit, au bon moment et suivant les modalités adéquates) ;

– améliorer la qualité de la prise en charge ;

– faciliter la continuité des soins ;

– garantir la sécurité de la prise en charge ;

– porter une attention plus grande aux choix de l’usager et de ses aidants ;

– renforcer l’efficience.

Les conditions de réussite des parcours sont la lisibilité, l’accessibilité, la fluidité, la sécurité et la qualité.

APRÈS L’IDENTIFICATION, LES LEVIERS PROPOSÉS PAR L’ARS BOURGOGNE

→ SYSTÈME D’INFORMATION

– Déployer un outil informatique national (pilotage des systèmes d’information) permettant le suivi des orientations et l’observation, et incluant les Maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), les conseils généraux, les ARS et les Établissements et services médico-sociaux (ESMS).

– Faire en sorte que les systèmes d’information des MDPH permettent une observation des besoins fiable et de qualité, continue dans le temps.

– Développer un dossier partagé entre la ville et l’hôpital ainsi qu’entre le sanitaire et le médico-social…

→ RESSOURCES HUMAINES

– Organiser des formations conjointes entre les établissements psychiatriques et médico-sociaux.

– Favoriser l’accès à des psychologues au sein des maisons de santé pluriprofessionnelles.

– Développer les équipes mobiles géronto-psychiatriques.

– Pour le repérage des besoins des personnes en situation de handicap, regrouper les compétences d’intervention des acteurs.

– Avoir des règles administratives ressources humaines des ESMS plus souples, afin de mettre en œuvre des projets de vie…

→ FINANCEMENT

– Pour améliorer la souplesse des dispositifs de prise en charge et d’hébergement (catégorisation des structures trop fine et pluralité des financeurs), avoir une fongibilité des enveloppes personnes handicapées/personnes âgées (notamment pour la question des handicapés vieillissants).

– Avoir des financements de structures d’hébergement adaptés pour les travailleurs d’ESAT vieillissants.

– Financer l’augmentation du nombre de places et de la médicalisation de foyers de vie ou occupationnels.

– Avoir plus de souplesse lors de la sortie de dispositif des personnes handicapées vieillissantes…

→ ORGANISATION DE LA PRISE EN CHARGE

– Organiser des groupes de parole et des formations pour les aidants.

– Développer les déplacements des personnels des CMP vers les ESMS pour limiter les crises et les hospitalisations.

– Installer des structures de répit pour les aidants.

– Avoir plus de souplesse pour les personnes handicapées vieillissantes dans le fonctionnement des MDPH.

– Répondre de manière spécifique à l’insertion professionnelle des personnes handicapées psychiques…

→ ASPECTS JURIDIQUES

Faire évoluer le statut de l’aidant familial de personnes âgées handicapées pour faciliter notamment leur travail (horaire et temps de travail, par exemple)…