Responsabilité et pratique des soins - Objectif Soins & Management n° 212 du 01/01/2013 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 212 du 01/01/2013

 

Droit

Gilles Devers  

Le droit, c’est la loi et la jurisprudence. Ce mois-ci, les atualités de jurisprudence concernent la responsabilité et la pratique des soins, des thématiques fondamentales.

Stress et faute inexcusable de l’employeur

Cour de cassation, 2° Chambre civile, 8 novembre 2012, n° 11-23855

Un salarié victime d’un infarctus du myocarde reconnu comme accident a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale d’une action en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur.

L’accroissement du travail du salarié était patent sur les années précédant son accident. Cette politique de surcharge, de pressions, « d’objectifs inatteignables » a été confirmée par des attestations. L’employeur n’a pas pris la mesure des conséquences de son objectif de réduction des coûts en terme de facteurs de risque pour la santé de ses employés et spécifiquement de la victime, dont la position hiérarchique le mettait dans une position délicate pour s’y opposer et dont l’absence de réaction ne peut valoir quitus de l’attitude des dirigeants de l’entreprise.

L’obligation de sécurité pesant sur l’employeur ne peut qu’être générale et en conséquence ne peut exclure le cas, non exceptionnel, d’une réaction à la pression ressentie par le salarié.

Ainsi, l’employeur ne peut ignorer ou s’affranchir des données médicales afférentes au stress au travail et ses conséquences pour les salariés qui en sont victimes, et la faute inexcusable est reconnue.

Chute d’un patient

Cour administrative de Nantes, 15 novembre 2012, n° 11NT00105

Le patient, âgé de quatre-vingt-cinq ans, était hospitalisé pour le remplacement d’une prothèse du genou. Il n’était pas affecté d’autres problèmes de santé qu’une boiterie justifiant l’opération pour laquelle il était hospitalisé, un tremblement du membre supérieur droit et une légère surdité. Il a chuté du lit alors que l’agent hospitalier chargé du rasage de sa jambe droite en prévision de l’intervention chirurgicale du lendemain pour le remplacement de sa prothèse du genou lui avait demandé de se retourner. Le patient s’est exécuté brusquement et ce mouvement l’a fait basculer hors du lit et tomber lourdement sur l’épaule droite, sans que l’agent puisse empêcher cette chute. Il en est résulté une rupture de la coiffe des rotateurs de son épaule droite à l’origine d’une incapacité permanente partielle évaluée à 27 %.

Une telle chute, assez inexplicable et peu fréquente lorsque les patients sont sous la surveillance du personnel hospitalier, résulte principalement d’un fait malencontreux et d’une malchance survenue à l’occasion d’une phase de soins préopératoire anodine qui n’expose pas normalement à ce risque, notamment lorsque la victime est en bon état de santé général.

L’agent hospitalier a pu raisonnablement estimer que le patient aurait un comportement normalement prudent et adapté à la situation. Par ailleurs, l’acte de préparation cutanée auquel se livrait cet agent ne présentait aucune difficulté particulière de manipulation et n’exigeait pas l’assistance d’une personne supplémentaire ni la mise en place de barrières de sécurité. Dans ces conditions, la chute ne révèle aucun défaut dans l’organisation du service hospitalier de nature à engager la responsabilité.

Fugue d’un patient dangereux

Cour administrative de Lyon, 8 novembre 2012, n° 11LY00331

Un patient qui faisait l’objet d’un suivi psychiatrique depuis 1996 pour une pathologie de type schizophrénie paranoïde, avait été hospitalisé en janvier 2004, en service libre, dans un CHS. Il a quitté l’hôpital, sans autorisation ni avis médical, le 9 janvier 2004. Le 18 mars suivant, il a mis le feu à l’appartement dont il était locataire, avant d’incendier des locaux de l’établissement hospitalier.

Après la sortie du CHS en fugue, et donc sans aucune ordonnance de sortie, aucune tentative n’a été entreprise par l’équipe soignante pour tenter de rétablir un lien thérapeutique avec ce patient. Or, celui-ci souffrait d’une pathologie psychotique lourde et chronique et dont les antécédents montraient de nombreux épisodes délirants aigus avec en association des troubles du comportement à plusieurs reprises, graves, par ­lesquels il se mettait lui-même en danger et qui pouvaient également représenter une certaine dangerosité pour autrui. Il était évident qu’après cette fugue, il se trouvait sans traitement.

Ainsi, en n’engageant aucune tentative de rétablissement d’un lien thérapeutique et en ne prévenant pas son entourage, l’équipe du C.H.S. a commis une faute de nature à engager la responsabilité de cet établissement.

Absence de faute opératoire, mais faute de surveillance

Cour administrative d’appel de Paris, 8 novembre 2012, n° 11PA00339

Un homme né en 1957 a présenté en 2002, à la suite d’un entraînement de boxe, une rupture de la coiffe des rotateurs de l’épaule droite. Une opération de réparation a été effectuée, suivie d’une rééducation. L’immobilisation postopératoire du bras et de l’épaule du patient dans une orthèse thoraco-brachiale a entraîné une compression de son nerf cubital, à l’origine de séquelles douloureuses et d’une perte de force de sa main droite.

Les séquelles que le patient présente à la main droite sont en relation directe avec la complication survenue, elle-même spécifique à la technique opératoire choisie, mais des précautions avaient été prises tant en préopératoire (coussin dans l’orthèse) qu’en peropératoire (protection du coude), qui n’ont pu empêcher sa survenance, et ce volet n’est pas fautif. En revanche, en négligeant de prendre en compte les doléances du patient postérieurement à l’opération et en tardant à modifier les conditions d’immobilisation de son bras dans l’orthèse, l’équipe de soin a commis une faute, qui a aggravé les suites opératoires, ce qui engage la responsabilité.

Modification de la prescription par une auxiliaire de vie

Cour administrative d’appel de Nantes, 7 décembre 2012, n° 11NT01508

Un Centre communal d’action sociale a infligé à une auxiliaire au service d’aide à domicile la sanction disciplinaire du licenciement. Cette sanction est fondée à titre principal sur la modification de la posologie du traitement médicamenteux antidouleur d’une patiente.

Eu égard à la gravité du comportement consistant à modifier la posologie et l’heure d’adminis­tration d’un médicament sans l’accord du médecin traitant ou de l’infirmière qui, sur la base de l’ordonnance de celui-ci, avait préparé le semainier du traitement, la sanction du licenciement est validée, alors même que Mme A. était dénuée de toute intention malveillante.

Manque de précaution lors d’un examen radiologique

Cour administrative d’appel de Paris, 27 novembre 2012, n° 11PA03467

Une patiente, opérée pour traiter les séquelles d’un polytraumatisme, a été heurtée lors d’examens radiologiques réalisés postérieurement à l’intervention, par un choc de la cassette contenant le film radiographique contre la zone récemment opérée, alors que la moelle épinière n’était plus protégée par la partie postérieure des vertèbres compte tenu de la résection effectuée lors de l’opération chirurgicale en cause.

Les vives douleurs des deux membres inférieurs immédiatement ressenties par la patiente ont conduit l’opérateur de radiologie à interrompre les examens prescrits. À son retour dans sa chambre, la patiente a évoqué des sensations de décharges électriques dans la jambe droite et de difficultés à mobiliser le membre inférieur droit.

Le lendemain, le chirurgien a noté l’apparition d’un déficit moteur complet du membre inférieur droit. Lors d’une nouvelle intervention, il a noté que le matériel d’ostéosynthèse était en bonne position et que l’hématome de quantité modérée n’était pas compressif, relevant que « l’hypothèse d’une contusion est fort probable car le fourreau dural dépasse du plan des plaques d’ostéosynthèse ».

Dans ces circonstances, les troubles neurologiques doivent être regardés comme en relation directe de cause à effet avec la maladresse commise par l’opérateur radiologique, qui n’avait pas pris les précautions nécessitées par l’état de la patiente ou n’avait pas disposé du personnel suffisant ou d’un équipement adapté pour mobiliser en douceur la patiente.

Débranchement inexpliqué de l’alarme et décès

Cour administrative d’appel de Douai, 18 septembre 2012, n° 11DA00622

Une patiente, grièvement traumatisée le 8 juin 2007 lors d’un accident de la circulation, a été admise en urgence d’un C.H.U. dans un état de coma réactif et y a subi deux opérations chirurgicales. L’assistance respiratoire a été arrêtée le 22 juin 2007 pour le passage à une respiration spontanée par trachéotomie. Malgré l’amélioration de son état, elle a subi le 25 juin 2007 un arrêt cardio-respiratoire ayant entraîné un coma neurovégétatif chronique. Elle est décédée des complications de ce coma le 15 octobre 2007.

Son décès a pour cause les complications d’un coma neurovégétatif, lequel résulte d’un arrêt cardio-respiratoire d’une durée d’environ dix minutes, survenu entre la fin des soins administrés à 7 h 35 et la découverte de son état à 7 h 50 sans que l’alarme du dispositif de surveillance de la fréquence cardiaque se soit déclenchée.

Une réanimation plus précoce aurait permis de limiter l’hypoxémie cérébrale et d’éviter le coma chronique, mais aucun élément de l’instruction n’a toutefois permis de déterminer les causes de cette absence de déclenchement de l’alarme. Notamment, ni l’hypothèse d’une défaillance de l’appareil, ni celle d’un débranchement involontaire par la patiente, ni celle d’une faute commise par les infirmières n’ont pu être confirmées. Dès lors, les faits à l’origine des préjudices dont il est demandé réparation n’étant pas déterminés et aucune faute du C.H.R.U. de Lille n’étant établie, le recours est rejeté.

Licenciement pour faute d’une IDE

Cour administrative d’appel de Lyon, 27 novembre 2012, n° 12LY00552

Une infirmière diplômée d’État en 1978, exerçait depuis 2004 dans un hôpital local, sous contrat à durée indéterminée. Le directeur de cet hôpital a prononcé, par décision du 3 novembre 2009, son licenciement pour faute, au motif que l’infirmière avait, par deux fois, commis une erreur de dilution dans la préparation d’une seringue de morphine, qui pouvait avoir des conséquences graves.

La réalité de ces erreurs est attestée par un courrier établi le 28 septembre 2009 par l’infirmière cadre de santé et la pharmacienne de l’hôpital. Il ressort en outre, des pièces du dossier, et notamment des fiches de signalement d’événements indésirables précisément datées et de plaintes émanant de familles de patients, qu’à plusieurs reprises des erreurs de piluliers dans la préparation des médicaments ont été commises par cette infirmière, qui n’apportait que peu d’attention la nuit aux plaintes et à l’hygiène de ses patients. Ainsi, le licenciement était justifié.

Suicide dans le cadre d’un HDT

Cour de cassation, 1° chambre civile, 13 décembre 2012, n° 11-27616

Faits

Une jeune femme, âgée de moins de 26 ans, présentant des antécédents psychiatriques sévères et souffrant depuis plusieurs jours des délires de persécution, a été conduite aux urgences d’un C.H.U., le 20 octobre vers 16 heures. Le matin même elle avait tenté de s’entailler les veines, et son concubin lui aurait fait fumer du cannabis pour la calmer. À 17 heures, il lui a été administré 75 mg de Loxapac par voie orale, le psychiatre de garde notant un risque de passage à l’acte.

Elle a été admise sous régime de l’HDT au C.H.S., où elle est arrivée vers 18 heures. Le psychiatre a posé l’indication d’un isolement en chambre seule, d’une surveillance régulière, et a prescrit l’administration de Nozinan IM « si agitation ». Or, ce neuroleptique sédatif ne lui sera pas administré. La patiente a été placée en chambre d’isolement strict, décrite comme sans meuble sinon un lit fixe, fermée à clef, vêtue d’une simple chemise de nuit, sans affaire personnelle.

En ce qui concerne la surveillance effectuée, la patiente a dormi, avec un réveil vers 5 heures du matin. À cette heure-là, elle a été visitée par une infirmière qui lui a parlé et a noté qu’elle semblait inquiète. Une nouvelle visite a eu lieu à 6 h 15, et la patiente dormait. Des visites avaient lieu à 7 h 30 (calme), et 8 heures (noté : dort). Mais, à 8 h 30 elle a été trouvée décédée, un drap noué autour du cou.

Le décès remontait à moins d’une heure.

Expertise

Selon les experts, « s’il y a eu une surveillance stricte et régulière du personnel soignant depuis son réveil à 5 heures du matin le 21 octobre 1998, on peut toutefois s’interroger sur l’absence de nouvel entretien avec la patiente. Ceci aurait pu peut-être permettre une nouvelle évaluation clinique et une nouvelle prescription médicamenteuse. » Ils ajoutent : « Il y a eu un manque de vigilance au niveau du suivi psychiatrique » et concluent : « Il n’y a pas eu imprudence ou négligence de l’équipe soignante, mais un man­que de vigilance au vu de la gravité de la pathologie et de la symptomatologie présentée. »

Cour de cassation

Le C.H.S. était tenu à une obligation de soins constitutive d’une obligation de moyen. La surveillance régulière a été assurée au cours de la nuit. Des précautions avaient été prises lors de son placement en chambre d’isolement, le psychiatre ayant demandé à ce que la patiente soit dévêtue, ne disposant que d’une chemise de nuit fournie par le Centre hospitalier, et de draps.

La prescription de Loxapac 75 mg a un effet de 8 heures, de sorte que l’administration de Nozinan prescrite « si agitation » ne pouvait intervenir avant le réveil à 5 heures. L’infirmière n’a pas noté une nécessité d’administrer ce médicament. Rien ne permet de dire fautive cette appréciation, même si elle s’est s’avérée par la suite inopportune.

Le manque de vigilance évoqué par les experts ne permet pas de qualifier celui-ci de négligence fautive. La surveillance constante était assurée au sens où elle n’a pas à être constituée d’une présence permanente d’un tiers infirmier auprès de la patiente.

Le reproche fait d’une absence de contention est dépourvu de justification, une telle mesure, non prescrite par un médecin, étant de nature particulièrement contraignante et utilisée — si elle l’est — de façon prudente et restrictive, notamment en cas d’agitation caractérisée ou de dangerosité pour les tiers, et d’autres précautions avaient été prises.

On ne peut retenir à faute d’avoir maintenu la présence de draps et d’une chemise de nuit, minimum respectueux de la personne.

L’obligation de sécurité est une obligation de moyen. Si cette obligation est une obligation de moyens renforcés dans le cadre d’une hospitalisation de cette nature et d’une pathologie telle que celle que présentait Mademoiselle Y…, il est établi que les moyens pris par l’établissement ont été sérieux et réellement renforcés, en ce que, sans aller jusqu’à la contention invoquée, elle a comporté :

– isolement dans une pièce fermée et aménagée,

– suppression d’objets divers dangereux, hormis le minimum nécessaire au respect de la dignité humaine (1 vêtement et draps),

– prescription médicamenteuse à administrer dans des conditions qui ne se sont pas trouvées remplies (agitation),

– surveillance régulière, avec au moins un entretien verbal (à 5 heures).

Le reproche de l’absence d’un autre entretien verbal à 7 h 30 ou 8 heures ne saurait en l’absence de signe manifeste, être tenu pour fautif. L’obligation de moyen auquel était tenu le C.H.S. a été remplie.