Pourquoi le patient porte-t-il plainte ? - Objectif Soins & Management n° 210 du 01/11/2012 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 210 du 01/11/2012

 

Droit

Gilles Devers  

La responsabilité est beaucoup étudiée à partir de la jurisprudence, ce qui est une démarche saine, car cette étude montre comment les affaires sont réellement jugées. Cela donne les solutions pratiques, c’est-à-dire le droit tel qu’il est appliqué, et on a alors vite l’impression que ce sont les juges qui sont les grands moteurs de cette responsabilité.

Les juges ont un rôle important, mais attention : l’acteur principal est le patient. C’est lui qui décide s’il engage la procédure ou non, et quel type de procédure il choisit. Le juge répond à une demande mais, en France, le juge n’est pas un justicier. Il ne peut pas s’auto-saisir et juger une affaire.

C’est dire que, finalement, la responsabilité des professionnels de santé dépend d’abord des choix qui sont faits par les patients. Alors, quelles sont leurs motivations ?

LE PATIENT N’ENGAGE PAS DE RECOURS… CAR IL N’EST PAS INFORMÉ

On entend parfois des descriptions un peu apocalyptiques avec des patients qui seraient organisés, prêts à bondir sur le moindre défaut de qualité, pour engager un procès rémunérateur. Rien n’accrédite cette vision. Au contraire, tout montre que nombre de procédures pourraient être engagées, mais ne le sont pas.

Le patient ne sait pas qu’une faute a été commise

Le cas le plus fréquent est que le patient n’est pas en mesure d’apprécier ce qui est arrivé. Il pense que les difficultés auxquelles il est confronté sont la conséquence de la dégradation de son état de santé, mais il n’imagine pas que se sont ajoutées des erreurs dans sa prise en charge.

Prenons le cas d’une erreur de diagnostic. Le patient apprécie l’importance des actes exploratoires, la qualité des interrogatoires, mais il n’est pas en mesure de sentir que l’équipe est sur une mauvaise piste ni qu’elle utilise une méthode dépassée.

L’équipe ne dit rien…

Du point de vue des équipes, il arrive très souvent que celles-ci aient conscience des erreurs ou des fautes qui ont pu être commises, mais elles préfèrent ne pas en parler.

Toute prise en charge connaît des imperfections, voire de petits ratages, mais qui sont rectifiés et qui restent sans aucune conséquence. Aussi, il serait maladroit de signifier aux patients le moindre manquement à la qualité.

La situation est différente lorsqu’est en cause une faute ayant eu des conséquences défavorables sur l’état de santé du patient.

La simple correction impose de dire la vérité au malade. La loi le confirme en prévoyant une obligation d’informer le patient de ces fautes. Il conviendrait certainement d’évaluer ce procédé, mais tout montre que l’on en reste trop, hélas, à la bonne règle du silence, “pas vu, pas pris”, ce qui n’est pas admissible, et sur deux plans.

• Tout d’abord, si le patient a été victime d’une faute, il bénéficie d’un certain nombre de recours, et le silence gardé par les équipes prive le patient de l’accès à ses droits.

• Par ailleurs, si les faits sont significatifs, il y a de fortes chances pour que, tôt ou tard, le patient les apprenne, et sa réaction sera sévère s’il se rend compte qu’on a voulu lui masquer la réalité.

LE PATIENT INFORMÉ RENONCE À FORMER UN RECOURS

Dans nombre de cas, le patient sait qu’une faute a été commise et qu’elle a aggravé son état de santé… Pourtant, il s’abstient d’exercer un recours. Beaucoup de facteurs peuvent jouer, dont trois importants.

Le respect pour la fonction des professionnels de santé

Bien des patients qui pourraient former un recours y renoncent, estimant que l’exercice des professions de santé est difficile, et qu’il faut accepter les failles, et ce, d’autant plus que l’équipe s’est montrée coopérative pour tout faire afin de limiter les conséquences.

Encourager à la qualité de l’information, au respect de l’intimité du patient, c’est une manière de créer ce climat de compréhension, qui peut jouer un frein lorsque le patient songerait à exercer un recours en responsabilité. Si le dommage est important, le recours sera exercé. Mais, dans des situations limites, le contexte relationnel et le sentiment que des professionnels sont attentifs représentent des freins puissants qui dissuadent les patients d’exercer des recours.

La complexité du procès…

Pour des raisons qui ne sont pas toujours fausses, nos concitoyens n’ont pas une bonne image du service public de la justice, et ils en redoutent un peu le fonctionnement. En matière de santé, leur opinion est profondément perturbée par les informations qui décrivent les procès comme de vrais parcours du combattant.

Aussi, affaibli par la maladie et les complications, plus d’un patient préfère se préoccuper de sa réadaptation, et ne se sent ni le courage, ni la force d’engager un procès. Cela est regrettable, car il existe des procédures simples et adaptées.

L’idée de faire condamner

Les patients restent souvent à l’approche simple que tout procès passe par la condamnation personnelle du médecin. Aussi, et même s’ils pensent que la qualité des soins n’a pas été satisfaisante, ils ne se sentent pas fondés à engager un procès qui conduira un médecin à la barre du tribunal. C’est le fruit d’une grande méconnaissance de la réalité judiciaire, car l’immense majorité des procès se gèrent, désormais, sur le plan civil, contre les assureurs des hôpitaux ou des praticiens libéraux, et il est parfaitement possible pour le patient de faire rétablir ses droits sans fragiliser ou remettre en cause la carrière professionnelle des professionnels.

Le sentiment de la vulnérabilité

Vient un dernier frein, purement psychologique. Le patient confronté à des séquelles importantes sait qu’il va devoir, pendant des années, être en lien avec les équipes médicales et paramédicales, et il hésite à engager un recours contre ceux qui sont destinés à le soigner. Le patient a trop besoin de confiance, et il peut redouter ce qu’il découvrira par le procès.

Au final, on voit que c’est souvent la sous-information qui prive le patient de l’exercice de ses droits, soit qu’on lui ait caché l’existence de la faute, soit que, par des visions erronées du procès, il ne s’estime pas en mesure de faire valoir ses droits en justice.

LE PATIENT SAISIT LA JUSTICE

Ici, le patient déclenche l’action en justice. Les droits des patients – dont chacun bénéficie – se sont construits grâce aux patients qui ont eu le courage d’engager des procédures.

Prendre le temps de la décision

Lorsque des faits spectaculaires ont eu lieu, et notamment un décès inattendu, on rencontre ce type de situation. L’incompréhension est telle qu’elle donne le sentiment de la réalité de la faute alors que l’on n’en sait rien.

Il peut arriver également qu’un dysfonctionnement du service, plus ou moins grave, plus ou moins fautif, se soit accompagné d’un faible niveau relationnel, avec des attitudes mal ressenties.

La plainte pénale est alors le moyen de faire bouger cet immobilisme institutionnel, mais cela ne veut pas dire pour autant qu’a été choisi le bon terrain de la procédure.

En toutes circonstances, il est toujours souhaitable de laisser le temps de la réflexion. En matière pénale, le délai est de 3 ans, et en matière civile ou administrative, de 10 ans. Les preuves ne peuvent pas se perdre, car elles résultent du dossier médical et des examens qui sont effectués. De plus, saisi trop tôt, le juge ne peut rien faire, car l’état de santé reste évolutif.

Consulter avant de décider

En droit, le patient peut décider seul et à l’instant même. Convaincu qu’une faute a été commise, il peut, dans l’heure qui suit, se présenter au commissariat et déposer plainte. Ceci est recevable et les services de police et de gendarmerie sont tenus de prendre les plaintes des particuliers. Mais il est bien préférable de consulter préalablement des professionnels, médecins et avocats. Il est inconséquent, voire aventureux, alors qu’il s’agit d’exercer un recours en justice pour une question tout à fait essentielle, la santé, de s’en remettre à des discussions sur des forums Internet, ou à des conseils donnés par des groupes associatifs, certains très honorables, mais qui n’ont pas la pratique des procédures.

Avant de saisir la justice, il faut demander à un avocat une consultation détaillée sur l’analyse des faits, les choix des procédures à effectuer, les délais, les coûts prévisibles des procès. La confiance ne vient pas de la sympathie de la rencontre, mais du professionnalisme de la consultation.

LES MOTEURS DE LA DÉCISION

Il reste à définir les moteurs qui conduiront à engager ou non le recours, et en choisissant la voie civile, plus souple, ou la voie pénale, très rugueuse.

Décider du procès

Le facteur essentiel est la conviction qu’une faute a bien été commise. Le droit de la responsabilité est fondé sur la faute. Chacun doit supporter les aléas de sa vie, mais le recours devient légitime lorsque la faute d’un tiers est venue perturber votre existence. Le recours en responsabilité est une manière de rétablir cet équilibre.

Devant la conviction qu’une faute a été commise, il est certain que le patient est libre de passer outre. Mais l’expérience montre que, lorsque le patient a acquis la conviction qu’il est victime d’une faute, l’inaction devient pesante. Le procès est une manière de rétablir l’histoire.

Il est certain qu’en matière médicale, les procès ont toujours une dimension symbolique. Il peut y avoir de gros enjeux financiers, mais ce qui est d’abord attendu, c’est la fonction cathartique de la justice : se saisir d’une affaire et en purger la charge émotionnelle en disant le droit.

Pour des litiges matériels, le recours en justice peut parfaitement rétablir les droits : on calcule un manque à gagner, le coût d’une réparation ou la compensation financière d’un achat. Lorsque l’on est dans le registre personnel, physique, psychologique, la justice ne peut formuler que des réponses inadéquates. Lorsqu’il y a le sentiment de la faute, il faut encourager les patients à faire la démarche. L’expérience montre que, pour eux, cela fait partie d’un rétablissement personnel.

Parfois, c’est l’importance du dommage qui va conduire à exercer le recours. Heureusement, ces cas sont rares, car les fautes médicales peuvent avoir des conséquences limitées, et les équipes font tous les efforts pour corriger les conséquences d’une faute qui vient d’être commise. Or le droit est pragmatique, et son approche est essentiellement fondée sur les séquelles définitives.

Mais il reste des affaires qui permettent d’envisager des indemnisations importantes, et qui sont de nature à modifier le cours d’une vie. Il s’agit en particulier de tout ce qui concerne le préjudice économique, pour un salarié qui ne peut plus exercer, ou pour des professions indépendantes, mais les affaires les plus significatives concernent les possibilités de retour à domicile, lorsque l’indemnisation permet de financer le processus de soins à domicile, et l’aménagement de la maison. Le procès porte alors en lui-même, de manière très contingente, les perspectives d’une vie meilleure.

Quand choisir le pénal ?

Choisir le pénal peut être présenté comme la voie la plus simple. Porter plainte est gratuit, et il suffit de se rendre au commissariat. La police fera l’enquête puis la justice désignera un juge d’instruction, et celui-ci désignera les experts. La plainte pénale est souvent décrite comme la plus rapide et la plus efficace. Cette présentation, fréquente, ne résiste pas à l’examen des faits.

La réussite du procès pénal suppose de répondre à des qualifications juridiques précises et nombre de situations de fait ne répondront jamais à ces qualifications pénales. Il en est ainsi, par exemple, pour les infections nosocomiales, dont l’origine est trop diffuse pour être imputée à qui que ce soit. On retrouve la même problématique lorsque sont en cause des fautes de surveillance partagée dans une équipe nombreuse. Au pénal, chacun répond de son propre fait, et il faudra démonter pour chacun qu’il y a eu une faute et que l’on est certain que cette faute a participé à la réalisation du dommage.

En outre, si l’enclenchement de la procédure est gratuit, la donnée change lorsqu’un juge d’instruction est saisi, et qu’il faut combattre sur un pied d’égalité avec les personnes mises en examen qui, elles, se défendent, ardemment. La phase d’instruction judiciaire est désormais contradictoire, et la victime doit faire valoir ses droits au cours de l’instruction, ce qui suppose une présence vigilante de son avocat.

Le domaine qui reste privilégié pour la plainte pénale est le décès de la victime. Pour les proches, le recours en responsabilité civile est difficile à percevoir, il est parfois mal ressenti. On vient de perdre un proche et la perspective ouverte serait d’exercer un recours contre l’assureur pour obtenir un dédommagement ? La plainte pénale paraît alors adaptée, car il s’agit de faire juger ceux qui, sans intention de nuire, mais plutôt par maladresse ou négligence, ont causé ce décès.

La procédure pénale trouve alors son utilité sociale, et elle peut répondre aux circonstances de fait, mais un travail précis auprès de l’avocat est nécessaire avant de déposer plainte, et cet avocat saura trouver les conseils de médecins pour procéder à une juste analyse des faits.

Le procès pour de l’argent ?

C’est une remarque que l’on entend, et qui est décevante : accuser les patients d’exercer des recours pour percevoir de l’argent. Dans la pratique française, les indemnisations sont faibles, et il faut que les dommages soient significatifs pour que l’on parvienne à des indemnisations conséquentes.

S’il y a des sommes importantes, c’est que le dommage corporel était considérable. Si cet argent versé permet un retour à domicile avec un service de tierce personne, alors c’est une véritable logique réparatrice, et parler de recherche d’argent est vraiment inconvenant.

Agir pour les autres

C’est une chose que l’on entend souvent. Le patient n’est jamais emballé pour exercer une action en justice. Mais il est aussi souvent animé par le fait que le procès sera aussi le moyen de sensibiliser une équipe qui a pu dériver, par la routine du quotidien ou la suffisance, et que le procès engagé servira aussi à d’autres.

De ce point de vue, l’attitude du patient est juste. Le droit appartient à tous. Une décision de jurisprudence, si elle règle un cas précis, est un enseignement général pour tous les praticiens du droit, et globalement pour toute la société. Merci aux patients qui exercent des recours ajustés…

USAGES ABUSIFS DU MOT PLAINTE

Dès qu’un patient fait la moindre démarche, on entend aussitôt qu’il a “porté une plainte”. Or il faut appeler les choses par leurs noms, sauf à perdre toute compréhension.

– Déposer plainte, c’est ouvrir un procès pénal, donc demander au Procureur de la République d’engager des poursuites contre des personnes supposées avoir violé la loi pénale. C’est la partie rude, mais limitée, limitée de la responsabilité.

– On peut aussi utiliser le mot de plainte en matière disciplinaire lorsque le patient estime que le comportement personnel du médecin est en cause et doit être jugé sur le plan déontologique par l’instance ordinale.

En dehors de ces deux sens, il faut renoncer à l’usage de ce mot.

– Le patient peut avoir recours à la saisine de la Commission des relations avec les usagers pour tenter de dire un certain nombre de choses à l’équipe avant de passer à autre chose.

– Il peut enfin exercer un recours en justice par une assignation civile, ou une requête administrative aux fins d’obtenir la désignation d’un expert en référé.

Analyser la démarche du patient

Il y a souvent, devant les recours des patients, un discours alarmiste, qui est totalement décalé alors qu’il s’agit d’un acte très sain que de faire valoir ses droits en justice.

Derrière ce discours alarmiste, se cache l’idée qu’il faudrait avoir peur de la justice. Mais la justice ne fait peur à personne… Les actions en justice ne sont pas des manières de créer le contentieux, mais, au contraire, de le résoudre.

Ainsi, avant de critiquer le patient qui a porté plainte, il faut procéder à une analyse sérieuse de ce qu’est la réalité de sa démarche.

Les établissements de santé inscrits dans les démarches qualité, ont, à juste titre, mis en place des procédures d’évaluation, avec des questionnaires de satisfaction. Il est donc parfaitement légitime que les patients fassent connaître leurs doléances.

Ces démarches sont des chances pour les établissements de santé car elles permettent de rectifier les erreurs et les dysfonctionnements.