Le projet “picorage encadré” - Objectif Soins & Management n° 210 du 01/11/2012 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 210 du 01/11/2012

 

Josette Diop

Sur le terrain

Joëlle Maraschin  

Afin de prévenir dépendance et dénutrition des personnes atteintes de maladie d’Alzheimer, Josette Diop, cadre supérieur de santé pour l’Ehpad de Châteauneuf-la-Forêt en Haute-Vienne, a réfléchi avec son équipe à un accompagnement original des repas, le “ picorage encadré ”.

Objectif Soins & Management : Quel est le contexte de ce projet pour les patients Alzheimer ?

Josette Diop : Il s’agit d’un projet d’équipe, une démarche d’analyse réflexive menée à l’occasion de la création au sein de l’Ehpad d’une Unité d’hébergement renforcée (UHR)(1). Cette unité destinée aux patients atteints de la maladie d’Alzheimer doit ouvrir ses portes en novembre 2012. C’est à ce moment-là que nous mettrons en œuvre notre projet “picorage encadré”, lequel a nécessité une architecture adaptée et du personnel formé. Cela dit, nous n’avons pas attendu la création de l’UHR pour analyser nos pratiques. Ayant préparé une thèse de doctorat en sciences de l’éducation, j’ai formé l’ensemble de mon équipe à la démarche d’analyse réflexive, c’est-à-dire observations, questionnements et analyse des pratiques. Car il ne suffit pas de faire, encore faut-il penser le faire. L’équipe a ainsi revu l’ensemble de l’organisation autour des repas des résidents, notamment des malades Alzheimer. Quelques mesures simples ont permis d’éviter anxiété et agitation chez ces patients, comme la présentation des plats un par un, le respect d’une atmosphère calme et d’un environnement neutre, la possibilité donnée aux patients déambulants de se lever de table tout en les accompagnant avec leur assiette… Grâce à l’engagement de l’équipe, le nombre de nos patients dénutris est beaucoup moins élevé.

OS&M : Pouvez-vous préciser la différence entre le “picorage encadré” et l’alimentation “manger-main” ?

J. D. : Les patients Alzheimer se servent le plus souvent de leurs doigts pour s’alimenter, la fourchette leur fait peur. Le picorage encadré utilise l’alimentation manger-main mais il y associe la posture debout et l’accompagnement lors de la déambulation. Ses objectifs sont de maximiser le confort physique et psychique des patients, tout en préservant leurs capacités sensorielles et motrices. Si on oblige les patients déambulants à s’assoir, ils vont s’agiter, crier, refuser de manger… Surtout, un patient qu’on arrête dans sa déambulation devient rapidement grabataire. La déambulation implique une dépense importante d’énergie : il faut donc veiller à prévenir les risques de dénutrition en permettant aux patients de s’alimenter correctement. Par ailleurs, il ne suffit pas de permettre aux patients d’utiliser leurs mains pour s’alimenter, encore faut-il penser aux risques liés à ce type d’alimentation : risques infectieux par contamination des mains ou des aliments, risque de chute par glissade sur un aliment tombé au sol…

OS&M : Comment pensez-vous prévenir ces risques ?

J. D. : Nous avons conduit une analyse des risques pour finaliser notre projet. Toute l’équipe s’est penchée sur ces aspects pendant près d’un an, à raison de deux heures de réunions hebdomadaires. Le premier élément qui a émergé est que ce temps de repas doit être accompagné par des personnels qualifiés et formés. Après lavage des mains par les soignants et soins si nécessaires, c’est-à-dire coupage des ongles ou soins et pansements des plaies éventuelles, nous présenterons aux patients des aliments adaptés au manger-main à l’aide de petits ramequins prévus à cet effet. Nous leur ferons sentir et toucher ces aliments afin de stimuler leur appétit sans jamais leur imposer de se nourrir. Nous considérons que l’alimentation doit rester un plaisir. Le personnel encadrant veillera à ramasser les aliments pour limiter les risques de glissade et de chute. Il est prévu d’installer un support antidérapant dans le couloir de déambulation de l’UHR pour prévenir ce type d’accidents.

OS&M : Avez-vous bénéficié de soutien pour mener à bien votre projet ?

J. D. : En premier, je dois mentionner le soutien et la confiance du directeur de notre Ehpad, monsieur Jean-Michel Bouyat. Nous nous sommes également rapprochés du réseau Linut, réseau ville-hôpital spécialisé dans la prise en charge nutritionnelle des personnes âgées en Limousin(2). Les experts du réseau nous ont conseillé quelques menus et aliments adaptés au manger-main. La direction de la protection des populations, en charge de la surveillance de l’hygiène et de la sécurité des aliments, a par ailleurs donné son accord pour la mise en œuvre de notre projet. Enfin, l’ARS a validé notre démarche dans le cadre de la création de l’UHR, ce qui a constitué pour toute l’équipe une vraie reconnaissance du travail entrepris.

NOTES

(1) Prévues par le plan Alzheimer, les UHR accueillent des personnes souffrant de troubles sévères du comportement. Elles proposent un accueil de jour et de nuit, sous forme de petites unités qui sont à la fois des lieux d’hébergement et d’activités. Le maintien ou la réhabilitation des capacités fonctionnelles et cognitives est prioritaire.

(2) www.sante-limousin.fr/Linut

Le picorage encadré

Le picorage encadré utilise l’alimentation manger-main, en y associant la posture debout et l’accompagnement lors de la déambulation. Les aliments adaptés au manger-main seront présentés à l’aide de petits ramequins prévus à cet effet.

Le programme de formation MobiQual sur la nutrition

Le programme MobiQual (Mobilisation pour l’amélioration de la qualité) de la Société française de gériatrie et gérontologie (SFGG) comporte un volet nutrition et alimentation de la personne âgée en institution ou à l’hôpital.

Ce programme vise à mettre à disposition des professionnels concernés des outils de formation sous forme de mallette pédagogique :

– fiches pratiques (aides aux repas, troubles de la déglutition, alimentation et maladie d’Alzheimer, refus alimentaire…),

– exemples de bonnes pratiques,

– posters,

– outils d’évaluation,

– DVD-Rom avec séquences filmées…

Le kit MobiQual peut être directement demandé par les établissements intéressés, sous réserve de la signature d’une charte d’engagement dans la démarche d’amélioration de la qualité.

NOTE

www.mobiqual.org/outils/nutrition/