L’endettement des hôpitaux publics, facteur d’inquiétude ? - Objectif Soins & Management n° 210 du 01/11/2012 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 210 du 01/11/2012

 

Économie de la santé

Didier Jaffre  

Le contexte bancaire actuel très tendu. La crise financière mondiale relance la question de l’endettement des hôpitaux publics français. De récents articles dans les médias insistent sur la situation financière de certains établissements publics de santé qui n’arrivent plus à assumer leurs charges courantes, faute d’une trésorerie suffisante. Et l’intervention en urgence des pouvoirs publics pour remédier à ces situations.

Par circulaire interministérielle en date du 14 septembre 2012, la ministre des Affaires sociales et de la santé et le ministre de l’Économie et des Finances demandent ainsi aux directeurs généraux des ARS et aux directeurs régionaux des finances publiques de mettre en place des comités régionaux de veille active sur la situation de trésorerie des établissements publics de santé. Car les établissements publics de santé rencontrent de plus en plus de difficultés pour renouveler leurs lignes de crédit de trésorerie, liées à une situation financière difficile et un niveau d’endettement très élevé.

En avril 2012, Dexia Crédit Local a publié une note de conjoncture sur les finances hospitalières publiques à partir des résultats de l’année 2010 et des grandes tendances 2011. Elle indique que les marges d’exploitation – marge brute et capacité d’autofinancement (cf encadré n° 1) – pour l’ensemble des hôpitaux publics se stabilisent et que le déficit se maintient à son niveau de 2009.

Toutefois, cette situation masque des situations très hétérogènes avec plusieurs établissements qui restent dans une situation financière fragile, marquée par un déficit cumulé élevé et une trésorerie très tendue.

Les investissements, après une croissance soutenue depuis plusieurs années, enregistrent une baisse liée à la fin du plan hôpital 2007, l’autofinancement restant la première source de financement de ces investissements devant un recours à l’endettement en léger repli. Mais, en 2011 et 2012, les hôpitaux publics doivent faire face à une contrainte budgétaire resserrée, dans le cadre du contexte restrictif des finances publiques, doublée d’une raréfaction des crédits bancaires.

CAPACITÉ D’AUTOFINANCEMENT DES HÔPITAUX PUBLICS STAGNANTE

La CAF n’évolue pas en 2010 par rapport à 2009 et se situe toujours à environ 3,9 milliards d’euros. Ce qui signifie que les produits et les charges ont évolué de la même manière, et surtout que le supplément de produits ne s’est pas accompagné d’un supplément moindre de charges. Mais la situation reste très disparate : la moitié des établissements enregistrent en fait une évolution négative de leur CAF. Or il convient de rappeler que lorsque la CAF est négative, cela signifie que l’exploitation fait apparaître un besoin de trésorerie, entraînant à terme des difficultés d’équilibre financier et l’incapacité de l’établissement à faire face à ses charges courantes. Ainsi une cinquantaine d’établissements publics de santé présentent une insuffisance d’autofinancement, c’est-à-dire qu’ils ne sont plus en capacité de faire face au financement de leurs charges courantes.

NIVEAU DE DÉFICIT IDENTIQUE MAIS ACCROISSEMENT DU DÉFICIT CUMULÉ

En 2010, les hôpitaux publics en France enregistrent un déficit équivalent à celui de 2009, soit environ 200?millions d’euros, rapporté à un chiffre d’affaires total de 67,3 milliards d’euros, soit 0,3 %. Mais le déficit cumulé atteint lui près de 3 milliards d’euros, soit 4,5 % du chiffre d’affaires annuel des hôpitaux publics. Là encore, les évolutions sont très contrastées d’un établissement à l’autre. Le niveau de déficit sur un exercice n’est pas significatif de la situation financière d’un hôpital : c’est son déficit cumulé qu’il convient de prendre en compte rapporté à sa CAF. Car plus le niveau de déficit cumulé s’accroît, plus la CAF de l’établissement se détériore, et moins l’établissement peut faire face à ces investissements et plus il rencontre des difficultés en termes de trésorerie.

INVESTISSEMENTS ET ENDETTEMENT : UNE CORRÉLATION CERTAINE

Importants, les investissements hospitaliers s’élèvent encore à 6,5 milliards d’euros, même si ceux-ci sont en recul par rapport à 2009. Ceci s’explique d’une part par la fin du Plan hôpital 2007, mais également du fait que certaines opérations ne sont toujours pas terminées pour un montant d’environ 5 milliards d’euros. Par ailleurs, le Plan hôpital 2012, qui devait prendre le relais, a été d’une ampleur moins conséquente, 5 milliards d’euros au lieu de 10.

L’autofinancement constitue encore la première place de financement des investissements (rappel 3,9 milliards d’euros de CAF) à hauteur de 60 %. Mais si jusqu’en 2002 l’endettement, c’est-à-dire le recours à l’emprunt, était marginal, les opérations du Plan hôpital 2007 ont été en majeure partie financées par le recours à l’endettement, avec des niveaux d’emprunts largement supérieurs aux prévisions. L’endettement a été multiplié par huit en huit ans et représente 36 % du financement des investissements hospitaliers. Mais, là encore, la situation des établissements est très disparate et certains hôpitaux ont eu massivement recours à l’emprunt, ce qui les conduit à un niveau de dépendance financière très alarmant dans un contexte bancaire restrictif. En particulier, les CHU ont massivement recours à l’emprunt.

Ainsi l’encours de la dette des hôpitaux publics a fortement évolué ces dix dernières années pour atteindre 24,1 milliards d’euros, soit 36 % des produits hospitaliers, ou bien encore 1,2 % du produit intérieur brut (PIB) de la France. À titre de comparaison, l’encours de la dette de l’État français atteint 85 % du PIB. Si cette forte progression n’est pas en soit surprenante puisqu’elle correspond aux investissements massifs qui ont été réalisés dans le secteur hospitalier, la question qui se pose est en fait la capacité des établissements à rembourser cet endettement dans un contexte de crise et de réduction des recettes. Le ratio de taux de couverture de la dette s’est ainsi dégradé et 150 hôpitaux publics sont aujourd’hui dans une situation plus que préoccupante, car dans l’incapacité de rembourser leurs emprunts compte tenu de leur activité.

CONCLUSION

Le parc immobilier des hôpitaux publics avait besoin d’être modernisé pour répondre aux impératifs de qualité de la prise en charge des malades. D’importants investissements ont donc ainsi été réalisés au cours des dix dernières années (plus de 15 milliards d’euros). Ce qui s’est traduit de manière automatique par un accroissement de l’endettement, car, faute d’autofinancement suffisant, les établissements publics de santé ont eu massivement recours à l’emprunt. En soit, ce niveau d’endettement n’est pas alarmant, à la condition exclusive que les établissements soient en capacité de rembourser leurs emprunts.

Or, aujourd’hui, de nombreuses opérations ont été sur-calibrées par rapport à l’activité réelle des établissements de santé. Et dans un système de financement fondé pour majeure partie sur la tarification à l’activité, les plans de financement pluriannuels se trouvent aujourd’hui déséquilibrés, les établissements ne disposant pas des ressources nécessaires pour faire face à leurs charges d’emprunts. Cette situation est d’autant plus difficilement supportable si l’établissement se trouve depuis plusieurs années dans une situation financière fragile, avec un niveau de CAF faible et un déficit cumulé ne cessant de s’accroître. Le risque pour ces établissements est de ne plus pouvoir faire face aux remboursements d’emprunts, et, à terme, à leurs charges courantes. Or la crise sur le secteur bancaire n’est pas pour arranger la situation, car les banques refusent de prêter désormais aux établissements en difficulté financière, même publics. D’où des situations de rupture de trésorerie à très court terme pour certains, et, du coup, un risque de cessation de paiement de certains établissements. Sans compter que certains établissements sont déjà dans une situation de surendettement, c’est-à-dire qu’ils ont emprunté pour pouvoir faire face à leurs emprunts initiaux. D’où l’idée de création d’une banque nationale d’aide à l’investissement.

Autrement dit, un certain nombre d’opérations d’investissement hospitalier ont été lancées sans s’assurer de la capacité de l’établissement à les rembourser, ou sur la base de projections de recettes surévaluées. D’où la nécessité désormais de disposer d’un plan global de financement pluriannuel d’investissements réaliste fondé sur des hypothèses prudentes. Seul bémol : les opérations sont déjà parties pour certaines et la question de les arrêter faute de financement est d’actualité, avec toutes les conséquences et les impacts qui en découleront. Avant d’investir, un hôpital public doit s’assurer de sa capacité à supporter son investissement, ou tout du moins prendre les dispositions nécessaires pour y faire face, notamment par une maîtrise drastique de ses charges et une évaluation réaliste de ces recettes. C’est la gestion du « bon père de famille » qui doit aussi s’imposer à l’hôpital public : on ne peut pas investir au-dessus de ses moyens.

[Pour en savoir plus : Note de conjoncture finances hospitalières, avril 2012, Dexia Crédit Local

LES RATIOS D’APPRÉCIATION DU NIVEAU D’ENDETTEMENT DES HÔPITAUX PUBLICS

→ La durée apparente de la dette : c’est le rapport entre l’encours de la dette et la capacité d’autofinancement, qui permet de mesurer la capacité de l’hôpital à rembourser ses emprunts. Elle ne doit pas excéder dix ans. Or pour certains établissements, elle se situe entre quinze et vingt ans.

La capacité d’autofinancement représente le potentiel de l’hôpital à dégager, de par son activité de la période, une ressource (un enrichissement de flux de fonds).

Cette ressource interne pourra être utilisée notamment pour financer la croissance de l’activité, de nouveaux investissements, rembourser des emprunts ou des dettes et augmenter le fonds de roulement.

La CAF est le flux potentiel de trésorerie (sans tenir compte des décalages temporels) dégagé par l’ensemble de l’activité normale de l’hôpital. Dans le secteur public, la CAF représente en fait directement l’autofinancement de la structure.

Les banques, en comparant la CAF au montant des dettes financières, mesurent la capacité de remboursement de l’hôpital. Le ratio indique la capacité de l’hôpital à rembourser ses dettes. Par exemple, un ratio égal à 10 indique que l’hôpital met dix ans à les rembourser.

→ Le taux d’indépendance financière : c’est le poids de l’endettement financier par rapport aux capitaux permanents ou encore le taux de dépendance des établissements vis-à-vis des emprunts. Il ne doit pas excéder 50 %. Or il est de 47,5 % sur la France entière.

Plus un hôpital présente un ratio d’indépendance financière élevé, plus il est en bonne santé financière. En revanche, si l’hôpital est fortement endetté, le risque financier est élevé et la capacité d’autofinancement s’affaiblit. Autrement dit, cet indicateur mesure la dépendance des hôpitaux vis-à-vis des partenaires bancaires de part leur montant d’emprunts contractés.

→ L’encours de la dette rapporté au total des produits. Il ne doit pas être supérieur à 30 %. Or, dans certaines régions, il est proche de 50 % (49,7 % en Bourgogne, taux le plus élevé).

Dans le secteur public, l’encours de la dette correspond à l’ensemble des engagements financiers pris sous forme d’emprunts par l’hôpital. Un déficit apparaît lorsque les produits (recettes) sont inférieurs aux charges (dépenses). La dette augmente à chaque fois qu’un déficit est financé par l’emprunt. La dette représente donc l’accumulation des besoins de financement des périodes successives de l’hôpital. La dette prend le plus souvent la forme d’emprunts. La capacité de remboursement des emprunts contractés au titre de la dette par les hôpitaux, au même titre que les États et autres collectivités publiques, est évaluée par les agences de notation financière.

LIMITES ET RÉSERVES DU RECOURS À L’EMPRUNT PAR LES ÉTABLISSEMENTS PUBLICS DE SANTÉ

Le décret n° 2011-1872 du 14 décembre 2011 relatif aux limites et réserves du recours à l’emprunt par les établissements publics de santé modifie, entre autres, l’article D.6145-70 du Code de la Santé publique.

→ ARTICLE D. 6145-70 DU CODE DE LA SANTÉ PUBLIQUE

« Le recours à l’emprunt des établissements publics de santé dont la situation financière présente au moins deux des trois caractéristiques suivantes est subordonné à l’autorisation préalable du directeur général de l’ARS :

– le ratio d’indépendance financière, qui résulte du rapport entre l’encours de la dette à long terme et les capitaux permanents, excède 50 % ;

– la durée apparente de la dette excède dix ans ;

– l’encours de la dette, rapporté au total de ses produits toutes activités confondues, est supérieur à 30 %.

Ces critères sont calculés à partir du compte financier du dernier exercice clos de l’établissement selon des modalités définies par arrêté des ministres chargés du Budget, de la Santé et de la Sécurité sociale. La procédure d’autorisation n’est pas applicable aux emprunts dont le terme est inférieur à douze mois. Le directeur de l’établissement adresse sa demande d’autorisation assortie d’un plan global de financement pluriannuel mis à jour afin d’évaluer l’impact prévisionnel du projet d’emprunt sur l’équilibre financier de l’établissement. Si l’établissement est soumis à l’obligation de produire un plan de redressement conformément à l’article L. 6143-3, le directeur présente une actualisation de ce plan en précisant la trajectoire de désendettement qui en résulte. Dès réception de la demande d’autorisation, le directeur général de l’Agence régionale de santé saisit, pour avis, le directeur régional des finances publiques qui dispose d’un délai de quinze jours pour se prononcer. À l’issue de ce délai, le directeur général de l’Agence régionale de santé dispose d’un délai d’une semaine pour notifier sa décision au directeur de l’établissement. »