Accessibilité aux soins et aménagement du territoire - Objectif Soins & Management n° 207 du 01/06/2012 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 207 du 01/06/2012

 

Point sur

Joseph Potot  

À l’heure où le schéma régional d’organisation sanitaire (Sros) de 3e génération arrive à échéance, le plan stratégique publié récemment préfigure une offre de soins complète et variée, mais souligne de fortes inégalités territoriales concernant l’état de santé de la population et l’accès à l’offre de soins. Il semble donc légitime de s’interroger sur l’accessibilité aux soins, car elle constitue une variable d’aménagement du territoire.

Face aux résultats du rapport sur les distances d’accès aux soins de ville et hospitalier établi pour le compte de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), une définition du concept d’accessibilité s’impose. Les limites du modèle géographique en matière d’accessibilité aux soins seront ensuite évoquées, avant de regarder l’influence du modèle économique sur la répartition territoriale de l’offre de soins.

CONTEXTE

Le contexte de diminution de la démographie médicale à venir pendant les prochaines années et la restructuration de l’offre hospitalière placent les questions d’accessibilité aux soins au cœur des débats. Dans l’article Distances et temps d’accès aux soins en France métropolitaine(1), les auteurs proposent une synthèse du rapport de la Drees.

OBJECTIFS DE L’ÉTUDE

L’objectif de cette étude consiste à réaliser un état des lieux de l’accessibilité spatiale au 1er janvier 2007. Les auteurs ont tracé d’abord la méthodologie, ensuite les résultats, et enfin les tendances.

Méthodologie

Pour atteindre cet objectif, les auteurs présentent dans une première partie la méthodologie employée.

La notion de proximité immédiate, qui se définit comme la distance à parcourir par la route pour la population d’une commune afin d’atteindre le service recherché le plus proche, a été retenue. Les distances sont ainsi mesurées en kilomètres et en temps de trajet par la route et ramenées au nombre d’habitants concernés par ce trajet. Elles sont calculées séparément pour les soins de ville et pour les soins hospitaliers.

La localisation géographique des praticiens de ville et des spécialités hospitalières fait appel à diverses sources telles que les statistiques annuelles d’établissement (SAE), le fichier national des établissements sanitaires et sociaux (Finess) ou le programme de médicalisation du système d’information (PMSI).

Résultats

Dans un deuxième temps, les auteurs nous livrent les résultats de cette enquête en détaillant successivement les soins de proximité délivrés essentiellement par les médecins généralistes, puis les soins hospitaliers.

Concernant la médecine de ville, le bilan est satisfaisant, plaçant 95 % de la population à moins de quinze minutes des soins de proximité. C’est principalement l’isolement géographique de communes rurales et montagneuses qui explique une accessibilité aux soins de ville supérieure à quinze minutes pour le reste de la population et il concerne principalement trois régions : la Corse, l’Auvergne et la Champagne-Ardenne.

Concernant les spécialités hospitalières, 95 % de la population peut y accéder en moins de 45 minutes par la route ainsi que les équipements médicaux lourds tels que scanner, IRM…

Toutefois, il faut souligner de fortes inégalités à ce sujet :

→ premièrement, il existe un effet cumulatif concernant l’allongement de la distance d’accès aux soins de proximité et celle d’accès aux soins spécialisés, quelle que soit la spécialité concernée ;

→ deuxièmement, cet effet cumulatif concerne également l’accessibilité à un praticien conventionné qui devient plus difficile lorsque la spécialité concernée devient rare, ce qui définit, selon les auteurs, la notion d’accessibilité financière.

Toutefois, cette accessibilité financière est plutôt conditionnée par la région que par le caractère rural de la commune, puisqu’il est plus difficile en Île-de-France d’accéder à un praticien sans dépassement d’honoraires.

Enfin, l’hospitalisation n’échappe pas à ces inégalités territoriales.

Si 98 % des femmes sont à moins de 45 minutes d’une maternité, quel que soit son niveau, aucune femme en Corse n’a accès à une maternité de niveau 3 en moins d’1 h 30 et la proportion de la population ayant accès à un service d’orthopédie en plus de 45 minutes varie du simple au triple en fonction des régions.

Les spécialités hospitalières de haute technicité sont en moyenne plus éloignées, cependant l’existence de moyens de transport adaptés relativise cette moyenne.

Tendances

Dans une troisième partie, il est question des tendances à venir au sujet de l’accessibilité aux soins. Concernant les soins de proximité, cette distance est en constante diminution en moyenne depuis 1982 malgré des disparités entre différentes professions de santé. Si elle augmente pour les médecins généralistes de 7 %, la distance d’accès à ceux-ci n’étant que de 600 mètres, cette augmentation ne représente qu’une centaine de mètres.

Pour d’autres professions, elle reste stable, notamment pour les radiologues et les infirmières diplômées d’État, grâce à une forte augmentation du nombre de praticiens. Pour autant, cette augmentation d’effectifs n’a pas amélioré le nombre de communes pourvues d’infirmiers ou de radiologues, car ils continuent de s’installer dans les mêmes zones géographiques.

Si les communes périurbaines ont bénéficié d’une évolution favorable de la distance d’accès aux soins à la faveur de leur dynamisme démographique, les communes rurales et isolées ont vu leur distance d’accès aux soins augmenter, signant une redistribution de l’offre de soins au gré des variations démographiques des populations.

En conclusion, les auteurs soulignent que, face aux regroupements de professionnels, favorisés par la loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST) dans un souci de sécurité et de qualité des soins, se pose la question de l’accessibilité pour les populations situées en zones rurale, montagneuse, insulaire…

Ces problèmes d’accessibilité géographique restent des problèmes localisés pour lesquels la solution résiderait dans des décisions locales ou interrégionales lorsqu’il s’agit de zones frontalières.

QU’EST CE QUE L’ACCESSIBILITÉ EN SANTÉ ?

Face à cette approche, force est de constater que les sociétés développées font de la réduction des inégalités une priorité. Le domaine de la santé ne fait pas exception et la question de l’accessibilité aux soins devient un outil d’aménagement du territoire dans le but d’atteindre la réduction des inégalités d’accès aux soins.

Le concept d’accessibilité est issu de nombreuses disciplines, telles que l’économie, la sociologie, la statistique, la géographie, auxquelles il emprunte des notions et des méthodes permettant d’objectiver, de décrire, de quantifier les phénomènes observés et tout particulièrement le concept d’accessibilité aux soins qui touche des domaines comme l’accessibilité financière ou sociale au même titre que l’accessibilité géographique. Ainsi, on peut classer les facteurs concernant l’usage des ressources sanitaires selon le modèle d’Andersen et Newman(cité par (2)) en trois catégories :

→ les facteurs prédisposants, tels que sexe, âge, statut marital, taille de la famille, appartenance ethnique, perception de la maladie ;

→ les facteurs de capacité, tels que revenus, assurances, densité et disponibilité de la ressource sanitaire recherchée, prix du service, région géographique, caractère urbain ou rural ;

→ les facteurs déclenchants, tels que besoins face à la maladie, perception de besoins, symptômes.

On constate donc que la notion d’accessibilité s’appréhende dans de multiples dimensions et que les modèles purement géographiques qui prennent en compte la distance d’accès au service recherché n’offrent qu’une approche du concept d’accessibilité.

Selon Picheral(3), l’accessibilité en santé, « c’est la capacité matérielle d’accéder aux ressources sanitaires et aux services de santé, elle présente au moins deux dimensions : matérielle et sociale. L’accessibilité traduit la possibilité de recourir aux prestataires de soins et n’a donc qu’une valeur potentielle […]. L’accessibilité se dit aussi de la possibilité financière de recourir à des services de santé (couverture, assurance sociale) »(3).

Ainsi, Picheral(3) souligne les deux dimensions du concept d’accessibilité appliqué au domaine de la santé que sont la géographie et l’économie.

Concernant la géographie, il s’agit bien de la notion de distance/temps entre le lieu de résidence de l’usager et le service de soins qui est la variable abordée sous l’angle de la desserte, c’est-à-dire de la mise à disposition d’un recours.

Concernant l’accessibilité financière, la notion d’accessibilité revêtira des formes différentes si le système de santé est privé, concurrentiel et libre, ou si le système est public et gratuit mais contraint. La notion d’accessibilité dépend donc du système économique choisi.

LES LIMITES DU MODÈLE GÉOGRAPHIQUE

Les services de santé, dont l’objet est la prévention des états morbides et l’amélioration de l’état de santé d’une population, nécessitent de prime abord un entretien singulier entre le médecin et son patient.

Pourtant, l’apparition de la télémédecine, de l’interprétation d’examens de laboratoires ou d’imagerie médicale délocalisée montre que l’entretien entre un médecin et son patient peut être jusqu’à un certain point virtuel, obligeant à reconsidérer les notions géographiques d’accessibilité en intégrant la notion d’accessibilité virtuelle.

Les Sros successifs font le plus souvent appel à la géographie de la santé pour planifier l’allocation territoriale des ressources, telle qu’implantation d’équipements lourds, des permanences de soins, etc., et les disparités de l’offre de soins sont présentées comme étant issues du passé et de l’histoire. Ainsi, tous ne seraient pas traités avec égalité et c’est le lieu de résidence qui conditionnerait la qualité et la quantité de l’offre disponible.

Pourtant, c’est bien une plus grande attractivité de certains centres de soins ou une désaffection d’autres qui montre la valeur relative que chacun accorde à la renommée de tel ou tel centre. Ainsi, bien qu’une offre de soins de proximité existe, certains patients n’hésitent pas à se rendre à une plus grande distance pour rejoindre un centre de soins plus attractif à leurs yeux. Cette approche montre bien les limites d’un modèle géographique dans lequel l’égalité d’accès aux ressources constitue la clé de répartition des moyens sans tenir compte de dimensions humaines évoquant l’équité face à la maladie et faisant preuve d’une rationalité limitée dans le recours aux soins. Il est donc légitime de ne pas répartir les moyens en ne se fondant que sur l’étude des ressources et de la desserte, mais en complétant cette approche par l’étude sur les besoins et les consommations de soins qui traduiront l’attitude du patient permettant d’évoluer vers une accessibilité équitable plus qu’égalitaire.

INFLUENCE DU MODÈLE ÉCONOMIQUE

La notion de service est le résultat des économies tertiaires développées dans les pays industrialisés. Face à ce constat, la notion de service public ou privé change le regard que l’on porte sur l’accessibilité. Le domaine de la santé ne fait pas exception.

→ Dans le cas d’une économie de marché de la santé, c’est le libre choix du consommateur de soins et des praticiens offrant des soins qui régit le concept d’accessibilité, et donc la répartition de l’offre de soins. Dans ce système, le montant des soins est à la charge du patient, comme la chirurgie esthétique, et ce sont les moyens financiers du patient qui détermineront son accessibilité à ce type de soins plus que sa localisation géographique. Dans une vision d’entreprise de ce type de centre de soins, c’est l’entreprise qui analyse le marché et optimise sa localisation dans un objectif de profit.

→ Dans le cas d’un État providence, c’est l’État qui régule l’offre et sa répartition, quel que soit le mode de financement. Le montant des soins est couvert par l’Assurance maladie, ainsi l’accessibilité financière est résolue, mais les questions d’accessibilité géographique se posent. Ainsi, la couverture sociale réduit les inégalités financières et c’est l’État qui est responsable de l’organisation d’un service accessible à tous sans distinction face à un même besoin de santé. Les critères de répartition sont donc différents des entreprises et sont équité, qualité, accessibilité géographique…

L’étude de la répartition de l’offre de soins en France est complexe, puisque notre système est mixte et propose une offre publique et privée régie par des règles différentes. Dans un système mixte, l’État tente d’influencer la localisation des praticiens libéraux par des mesures incitatives. Mais la liberté d’installation explique certaines inégalités territoriales de répartition de l’offre.

CONCLUSION

Si l’accessibilité se définit comme un potentiel d’accès à un service donné, il ne préjuge en rien de l’accès comme réalité mesurable par la fréquentation de ce service. Si l’accessibilité et l’accès sont intimement liés, l’un fait appel à l’égalité et l’autre à l’équité.

S’interroger sur l’égalité et la notion d’accessibilité nous renvoie à l’approche géographique, alors que s’interroger sur l’équité et l’accès implique de s’interroger sur la satisfaction des patients qui sont les seuls à pouvoir envisager l’utilité globale du service pour un coût et une accessibilité donnés en une seule réponse.

Envisager la démarche de planification des moyens en sortant des études purement quantitatives basées sur les ressources et en se plaçant du point de vue des patients et des besoins me semble être une approche complémentaire d’avenir dans une approche pluridisciplinaire. O

NOTES

(1) Coldefy M., Com-Ruelle L., Lucas-Gabrielli V., “Distances et temps d’accès aux soins en France métropolitaine”, Question d’économie de la santé n° 164, avril 2011.

(2) Haddad S., “Utilisation des services de santé en pays de développement”, Institut d’analyse des systèmes biologiques et socio-économiques, 1992, université de Lyon Claude Bernard, Lyon p. 362.

(3) Picheral H., Dictionnaire raisonné de géographie de la santé, GEOS, Atelier Géographie de la santé, éd. 2001, Montpellier, université Montpellier 3 – Paul Valéry. 307 p.

BIBLIOGRAPHIE

Bonnet S., Le concept d’accessibilité et d’accès aux soins, DEA GEOS, 2002, université Paul-Valéry, Montpellier 3.