Questionnement d’un cadre de santé - Objectif Soins & Management n° 206 du 01/05/2012 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 206 du 01/05/2012

 

TÉMOIGNAGE

Cahier du management

Philippe Hardy  

Réfléchir à la fonction de formation du cadre en unité de soins se réfère non seulement à l’idée d’accompagner au mieux les équipes mais aussi et surtout à aider les patients à devenir acteurs de leur prise en charge.

Le cadre de santé doit donc pouvoir développer une approche originale de cet accompagnement au travers d’une véritable démarche d’éducation construite en équipe pluriprofessionnelle.

Voici donc l’exemple d’un retour d’expérience autour de la mise en place d’un programme d’éducation thérapeutique à l’attention de patients bipolaires dont l’équipe est à la base de son développement, de sa mise en application et de son évolution.

L’une des principales questions soulevées dans ce texte se résume ainsi : comment évaluer la qualité et la portée d’une éducation thérapeutique personnalisée (ETP) ?

FORMATION, ACTION ET ORGANISATION

Dans ma position de cadre “manageur”, mes interventions de formation, telles que l’on pourrait les concevoir pour un cadre formateur, sont destinées à l’intention des professionnels infirmiers et, de temps à autre, des étudiants infirmiers. Seulement, à y regarder de plus près, je dirais que l’action de formation – ou devrais-je plutôt parler ici d’action pédagogique – est aussi posée dans l’organisation des soins.

Après quelques années de pratique en hospitalisation complète, j’ai eu le plaisir d’intégrer le centre de jour de mon établissement. L’une des deux unités qui le composent propose une offre d’éducation thérapeutique à destination des patients adultes en grande majorité diagnostiqués bipolaires. Nous sommes ici à la fois dans les champs de l’éducation et du sanitaire préventif et l’action d’ETP en psychiatrie est donc de ce fait particulièrement novatrice et complexe de par son approche systémique (sanitaire, environnementale, psycho-éducative).

ETP ET ÉVALUATION

La finalité de l’ETP est d’apporter une amélioration au patient sur le plan sanitaire, de tendre vers un équilibre qui n’existait pas ou qui était jusqu’alors trop précaire. Ce passage d’un état A actuel vers un état B souhaité est accompagné par une équipe pluridisciplinaire. L’apport éducatif au bénéfice du patient est selon moi assez nouveau dans le champ sanitaire. Pour certains, cela semblera une évidence, mais les professionnels de santé infirmiers et psychologues sont plus souvent formés à soigner, adapter ou analyser qu’à “éduquer”. Cela tient de l’approche curative et hospitalo-centrée des soins telle que nous la connaissions jusqu’à présent(1).

Par cette notion d’éducation, il ne faut pas se tromper de cible et toujours garder en vue que l’objectif est avant tout une thérapie préventive. Cependant, les moyens mis en œuvre pour parvenir à une amélioration de l’état de santé, donc de qualité de vie, seront au cœur de l’évaluation du processus d’ETP. En effet, comment évaluer une éducation thérapeutique ? Pour moi, deux aspects indissociables sont en jeu.

La forme

Il s’agit bien d’un processus par étapes, qui vise à une amélioration de qualité de vie. Cette évolution est évaluable tout au long de ce processus, à la fois de façon subjective (ressenti du patient, de l’entourage), mais aussi de façon objective (diagramme de l’humeur, agenda du sommeil, observance-adhésion au traitement, échelle d’insight, développement de compétences…). Selon moi, il convient d’y associer d’autres indicateurs tels que la réduction du nombre et de la durée des séjours en hospitalisation complète, la satisfaction du patient, la réduction de la peur du patient, un engagement plus important du patient et un sentiment de reprise de contrôle par le patient sur l’expression de sa maladie(2). Pour être pertinente, cette évaluation doit notamment être renouvelée à distance de l’ETP. Soit par courrier-questionnaire, avec un risque de perte non négligeable sur les retours, soit sur indication du médecin référent, en proposant une séance de “check-up” post-ETP.

Le fond

Ici, nous abordons la démarche qualité liée à ce processus. La pertinence et la cohérence des outils utilisés, de l’approche (méthodologies) des professionnels vis-à-vis des patients lors de séances en groupe et/ou en individuel (communication, interactions), donc, au final, la cohérence de l’organisation des soins éducatifs visant à une thérapie préventive. Une évaluation des niveaux de compétences des professionnels se dessine afin de pouvoir répondre aux besoins des patients et des professionnels. Ces compétences, si l’on s’en réfère au séminaire national de 2006(3), « relèvent tout autant des sciences médicales »… « que des sciences humaines et sociales »… « Le professionnel doit aussi et surtout être capable de mobiliser les outils théoriques opératoires pour optimiser les actions éducatives de terrain. » « Une posture réflexive continue permet d’analyser les pratiques et les connaissances mises en jeu, mais elle favorise aussi l’identification des atouts et des limites de chacun. »

C’est tout un questionnement d’équipe qui se pose sur les méthodes et techniques opératoires. Comme je vais tenter de le développer, nous ne sommes pas uniquement ici dans des actes de soins “classiques” en psychiatrie, basés sur des entretiens infirmiers, sur des activités ergothérapiques, ou sur une approche analytique. Ce sont l’interdisciplinarité et le développement de compétences éducatives qui sont activés. « Il ne s’agit plus pour eux d’inculquer au patient de nouvelles compétences, ni de le rééduquer en fonction de normes arbitraires, mais de l’aider, par le biais de la relation, à retrouver ses capacités et à s’équilibrer dans le cadre de sa personnalité afin de l’aider à faire face à sa maladie.(…) Nombreux sont alors les médecins et autres soignants qui rapportent que cette nouvelle façon de s’entretenir avec les patients modifie profondément la représentation qu’ils ont de la maladie, de la personne malade et de leur propre rôle professionnel. »(4)

On repère alors aisément la difficulté supplémentaire induite par la personnalisation de l’éducation thérapeutique. En effet, on peut s’interroger sur la pertinence d’un choix d’outil éducatif plutôt qu’un autre. Comment peut-on affirmer qu’un processus éducatif est efficace ? Même si le résultat obtenu peut paraître probant et satisfaisant pour le patient, qu’en est-il de la méthode ?

ETP : DU SUR-MESURE

Pour ma part, l’expérience que j’en tire me laisse à penser que l’éducation thérapeutique est avant tout un art sur-mesure. Son ambition est de parvenir à développer chez le patient des connaissances fondamentales qui, s’il est en capacité de les accepter, lui permettront de retrouver du pouvoir et une relative autonomie de gestion de sa maladie. C’est de cette façon qu’un parallèle avec la didactique professionnelle m’est apparu intéressant. En effet, l’analyse du travail vise aussi bien celui des formateurs ou des référents que le développement des compétences issues de l’objet acteur de la formation, à savoir : le patient.

Évidemment, si le patient est stabilisé sur le plan des troubles de l’humeur et que les éventuelles comorbidités repérées ne s’expriment pas trop, nous pourrions supposer détenir un tableau idéal pour obtenir un résultat au-delà de toute attente. Cela est formidable en théorie, mais si, dans la pratique, la sphère sanitaire est encourageante, il ne faut pas pour autant perdre de vue l’étroitesse de son lien avec la sphère sociale. Les difficultés d’ordre financier, de relations professionnelles et/ou personnelles sont souvent présentes dans ces pathologies de l’humeur. Oublier cette dimension peut alors faire perdre beaucoup de chances au patient d’accéder à son objectif de consolider la stabilisation de son état de santé.

C’est un lourd travail pour les professionnels qui suivent et accompagnent ces personnes dans leurs évolutions. L’acquisition de savoirs n’est pas sans douleur pour ces patients dès lors qu’ils se rendent compte qu’il leur faudra faire leur deuil de l’état hypomaniaque. La normothymie, comparée au “raz de marée” d’énergie que procure cet état, paraîtra très souvent comme le synonyme de monotonie.

Ici, nous traitons de la psychoéducation, de l’environnement familial et de l’environnement professionnel, aboutissant à une démarche globale d’approche et d’accompagnement faisant référence à une action d’empowerment centrée sur la personne. Je pense à Carl Rogers(5) lorsqu’il pose le principe que « chaque individu a en lui les capacités considérables de se comprendre, de changer l’idée qu’il a de lui-même, ses attitudes et sa manière de se conduire ; il peut puiser dans ses ressources, pourvu que lui soit assuré un climat d’attitudes psychologiques facilitatrices que l’on peut déterminer »(5).

Pour bien comprendre l’action qui est conduite par cette équipe, il est important de définir ce que représente l’empowerment. Je ferai ici référence à l’approche de Rappoport(6) pour qui quatre éléments principaux sont à considérer : la participation, la compétence, l’estime de soi et la conscience critique (conscience individuelle, collective, sociale et politique). Ces notions sont à prendre en considération dans un contexte où s’exprime par ailleurs la maladie psychiatrique. C’est ici toute l’originalité de l’approche proposée. Comment en effet permettre à l’individu d’évoluer, tout en évaluant et tenant compte de son degré de conscience de sa maladie ? Cette question est d’autant plus aiguë si l’on prend en considération que l’expression de cette maladie peut constituer un obstacle non négligeable à cette capacité d’évolution.

Cette évaluation du niveau de la prise de conscience du patient de sa pathologie est fondamentale pour initier une démarche psycho-éducative qui puisse aboutir à terme à la réalisation d’une action d’éducation thérapeutique personnalisée. Les phases suivantes d’acceptation (deuil de l’idée de guérison, des états hypomaniaques), d’appropriation et d’amélioration ne seront pas possibles sans un minimum de prise de conscience du patient. Cette étape peut paraître évidente lorsque l’on est bien portant, mais nécessite cependant un savoir-être et un positionnement des professionnels tout à fait spécifiques pour permettre au patient de développer par lui-même, en lui donnant les outils et par la confrontation aux autres personnes atteintes de cette pathologie (conflits sociaux-cognitifs), la prise de conscience de sa maladie et de la place que celle-ci a pu prendre dans son parcours de vie. Cette étape gagnera à être développée en amont d’une offre d’ETP en préparation à la sortie d’une hospitalisation, par exemple.

LE CADRE ÉQUILIBRISTE

Mon positionnement de cadre dans cet environnement complexe est de guider les équipes dans ce processus et de leur permettre de prendre parfois un peu de recul sur leurs pratiques. Il m’a alors appartenu de développer une relation d’accompagnement de ces équipes pour que celles-ci s’approprient et fassent leurs les concepts qui ont motivé ma démarche. Toute la difficulté est d’obtenir de leur part une forme de “consentement éclairé” pour donner toute sa force et tout son sens au projet d’organisation.

À ce titre, je pense que nous ne pouvons que nous féliciter que la dimension de l’éducation thérapeutique ait enfin pris ses lettres de noblesse au travers du titre III “prévention et santé publique” de la loi HPST(7), ainsi que les référentiels de compétences chez les infirmiers(8) et les ergothérapeutes(9). D’un autre côté, nous ne pouvons que regretter l’absence réelle de financement(10) d’une démarche ambitieuse dont la pérennité risque alors d’être en jeu, avant même de parler de son développement.

En pratique, cela reste pour moi un exercice d’équilibre. Dans un contexte favorable, où l’équipe est partie prenante des projets de service et porteuses de propositions nouvelles, c’est également à moi d’accepter de me former et de me remettre à niveau afin d’élargir mon champ de vision et pouvoir rester compétent dans le management de cette organisation.

Mon master 1 de management et santé peut paraître en décalage avec ce qui est attendu sur le plan purement éducatif. Pourtant, il n’en est rien. Sans la mise en exergue d’éléments statistiques permettant d’objectiver les caractéristiques fines de nos populations de patients, il serait assez difficile d’effectuer une quelconque analyse de celle-ci. L’exemple de l’impact de la comorbidité alcool pour une partie de cette population est assez surprenant à observer si l’on croise l’évaluation médicale avec l’évaluation des autres professionnels.

Les conséquences des différents degrés de stabilité de l’humeur des patients sur l’organisation des séances d’éducation thérapeutique prennent une autre dimension dès lors qu’on les gradue et les quantifie.

Ainsi, de nouveaux besoins émergent et interpellent nos organisations. Les coûts de prise en charge par patient sont aussi un point important à déterminer, ne serait-ce que pour les optimiser. La recherche d’efficience reste une démarche permanente sans que celle-ci ne remette en cause ni la qualité de l’offre, ni la sécurité de l’usager et des professionnels.

Il y a donc bien une part de fonction de formateur dans ma pratique. La seule chose qui me manque est que je ne suis pas vraiment formé pour former. Certains cadres d’unité de soins auront plus de talent (faut-il parler ici de compétence ?) que d’autres dans ces actions.

Mais apprendre à apprendre n’est pas seulement un art, c’est aussi une science. La pratique de l’exercice – et j’en témoigne à titre personnel – ne suffit pas toujours à rendre un cadre réellement compétent en la matière. L’empirisme a aussi ses limites et il me semble important de ne pas l’oublier dans une période où l’on demande aux cadres d’unité de soins de développer un large panel de compétences, y compris dans le domaine de la formation.

Je reste toujours étonné et ne peux que regretter l’absence de démarche qualité (avec certification à l’issue ?) dans les établissements comportant un pôle de formations professionnelles initiales et/ou continues. À ce jour, nous avons les outils pour évaluer la qualité des soins et les compétences des professionnels soignants. Encore que, sur ce dernier point, il me semble qu’un gros travail reste à réaliser dans l’intérêt de tous. Mais, en ce qui concerne les compétences pour former, et en particulier des professionnels de santé, cela reste une interrogation qui, même si elle est soulevée(11), reste à mon sens inquiétante. En effet, ne pas évaluer cette compétence peut conduire à une forme de maltraitance du professionnel. La non-reconnaissance objective des difficultés et des lacunes ne peut que pousser à de la souffrance, tant au niveau de la personne concernée, qu’au niveau de l’organisation et des “clients”. On n’évalue pas, donc on ne reconnaît pas plus les atouts et qualifications que les points à améliorer ou les incompétences. Certains peuvent ainsi rester encore pendant des années (de douleur) sur une approche pédagogique d’une autre époque, plus ou moins au feeling et bien loin des concepts abordés dans la réforme de la formation infirmière.

Ma difficulté principale réside dans mes lacunes sur l’aspect éducatif de l’ETP. Cependant, je dois reconnaître avoir largement profité de mon année de formation à l’IFCS pour explorer ces terres qui m’étaient jusqu’alors inconnues. Par ailleurs, les liens conservés avec des cadres formateurs et directeurs d’Ifsi représentent un soutien non négligeable dans ma progression. Depuis, cette idée d’œuvrer au développement des liens entre management et formation ne me quitte plus. Mon objectif est de travailler sur un projet d’organisation apprenante pour le bénéfice des usagers, des professionnels, des futurs professionnels et bien entendu de l’établissement.

CONCLUSION

Aussi louable puisse être l’intention, le pas pour y parvenir me semble encore énorme. Cependant, je reste persuadé que cette évolution est inéluctable et que nos organisations seront amenées à intégrer dans des processus de formation professionnelle, d’éducation à la santé et d’éducation thérapeutique personnalisée des compétences en lien avec les sciences de l’éducation.

NOTES

(1) “État des lieux de la formation initiale en éducation initiale en éducation thérapeutique du patient en France”, résultat d’une enquête nationale descriptive. INPES, étude d’octobre 2006 parue en avril 2008.

(2) “L’éducation du patient en hôpital, L’autonomie du patient : de l’information à l’éducation”, Godinne, février 2008, Karin Van Ballekom, www.educationdupatient.be/cep/pdf/dossiers/education_du_patient_en_hopital_fr.pdf

(3) “Les formations universitaires en éducation du patient. Quelles compétences ?”, Séminaire national, Lille, 11-13 octobre 2006. INPES, Évolution n° 16, novembre 2008.

(4) Sandrin-Berthon B. Patient et soignant, qui éduque l’autre ? Médecine des maladies métaboliques, septembre 2008, vol. 2, n° 4.

(5) Le développement de la personne. Dunod, 2005.

(6) Rappaport J., (1987). “Terms of empowerment/exemplars of prevention : toward a theory for community psychology”. Américan Journal of Community Psychologie, 15, 121-148.

(7) Loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, http ://petitlien.fr/5vkn.

(8) Arrêté du 31 juillet 2009 relatif au diplôme d’État d’infirmier, www.sante.gouv.fr/IMG/pdf/arrete_du_31_juillet_2009.pdf

(9) Arrêté du 5 juillet 2010 relatif au diplôme d’État d’ergothérapeute http://petitlien.fr/5vkp

(10) Le financement repose actuellement exclusivement sur un forfait de prise en charge en hospitalisation de jour.

(11) http://petitlien.fr/5vkq

(12) http://projetleonardo2011.aphp.fr (consulté le 16/11/2011).