Itinéraire d’un infirmier “désaliéniste” - Objectif Soins & Management n° 206 du 01/05/2012 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 206 du 01/05/2012

 

YVES GIGOU

Parcours

Joëlle Maraschin  

Ancien cadre supérieur de santé en psychiatrie, Yves Gigou est l’un des fondateurs et animateurs du Collectif des 39 contre la nuit sécuritaire. Militant de la Ligue des Droits de l’Homme, il se définit comme un infirmier désaliéniste engagé contre l’exclusion et la stigmatisation des patients en psychiatrie.

Retraité de la fonction publique hospitalière depuis près de six ans, Yves Gigou n’en reste pas moins un citoyen et un soignant engagé. « Je ne battrai jamais en retraite, souligne en souriant ce militant de longue date. Il n’est pas question de laisser la cause de la folie à ceux qui voudraient l’enfermer. » Atterré, comme beaucoup de soignants, par le discours présidentiel de Nicolas Sarkozy en décembre 2008 sur la supposée dangerosité des patients en psychiatrie, il s’est inscrit sans hésiter dans le mouvement de mobilisation pour la psychiatrie baptisé « Collectif des 39”.

Ce collectif, qui rassemble infirmiers, psychologues et psychiatres, mais aussi usagers des soins, se démène sans relâche depuis plus de trois ans pour dénoncer les dérives sécuritaires actuelles en psychiatrie, comme la loi de juillet 2011 sur les soins sans consentement : site Internet, meetings, prises de position dans les médias, pétitions en ligne, interpellation des politiques… Yves Gigou intervient pour l’organisation des meetings, l’administration du site Facebook du collectif ou encore les relations avec les médias. Il participe également aux délégations du collectif reçues par les politiques. « Nous avons des relations déhiérarchisées au sein du collectif, la parole d’un médecin est aussi importante que celle d’un infirmier ou d’un usager », explique-t-il.

Depuis le dernier meeting du Collectif des 39, qui a rassemblé en mars dernier un millier de personnes à Montreuil, Yves Gigou et d’autres animateurs préparent les futures Assises de la folie prévues pour le début de l’année 2013. « L’animation de ce collectif m’occupe bien », reconnaît-il.

La rencontre avec la psychiatrie institutionnelle

Yves Gigou a obtenu son diplôme d’infirmier de secteur de psychiatrique en 1968, à 20 ? ans. « Adolescent, j’ai eu l’occasion d’aller à une kermesse organisé par l’hôpital Les Murets à la Queue-en-Brie. C’était la grande époque du début de la psychothérapie institutionnelle, j’ai été émerveillé et bouleversé par cette humanité des soignants », se souvient-il. Enthousiasmé, il passe le concours de l’école infirmière de l’hôpital psychiatrique de Villejuif (94). Mais il découvre alors une tout autre ambiance dans cet établissement, avec un découpage asilaire et l’absence de mixité dans les pavillons. Il fait son service militaire au sein du service de santé des armées et expérimente l’exercice comme infirmier en soins généraux dans deux hôpitaux militaires. « J’ai ainsi pu affermir mon intérêt pour l’exercice de ma profession en psychiatrie », précise-t-il.

De fait, Yves Gigou fera toute sa carrière professionnelle dans le secteur. De retour à l’hôpital psychiatrique de Villejuif, il se retrouve affecté à l’unité hypersécurisée pour malades difficiles de l’établissement. Soucieux de travailler au sein d’un établissement plus orienté vers la psychothérapie institutionnelle, il rejoint au début des années 1970 le service de Ginette Amado de l’hôpital Les Murets. « Elle prônait une psychiatrie ouverte sur la cité, des structures d’accueil de proximité. C’est elle qui a ouvert l’un des tout premiers centres d’accueil et de crise », raconte Yves Gigou. Il pratique au sein de cet hôpital le packing, une technique d’enveloppement humide pour les patients psychotiques qui vient d’être bannie par la Haute Autorité de santé dans la prise en charge de l’autisme.

Après plusieurs années passées dans cet établissement, il souhaite diversifier ses expériences professionnelles et rejoint la fondation Vallée, un établissement de psychiatrie de l’enfant et l’adolescent à Gentilly. Il y apprend une nouvelle technique de soins, le jeu dramatique. Il découvre aussi les Ceméa (Centres d’entraînement aux méthodes d’éducation active), un mouvement d’éducation nouvelle destiné entre autres aux professionnels intervenant dans le champ de la santé mentale. Il est nommé surveillant au début des années 1980. En 1983, il choisit de se mettre en détachement de la fonction publique hospitalière pour s’occuper de la formation continue des équipes de santé mentale au sein des Ceméa. Formateur permanent au sein du mouvement, il assure également la rédaction en chef de la revue Vie sociale et traitement, une revue du champ social et de la santé mentale dont les colonnes sont un lieu d’accueil des “productions” issues du courant désaliéniste. En réaction à une vision carcérale et asilaire de l’hospitalisation des personnes en psychiatrie, le mouvement désaliénisite s’est battu pour la mise en place de la politique de secteur et la psychothérapie institutionnelle. Yves Gigou rencontre à cette occasion Lucien Bonnafé, psychiatre et désaliéniste, auquel il voue une grande admiration.

De la formation continue au terrain

Après sept ans passés en tant que formateur aux Ceméa, Yves Gigou revient sur le terrain comme cadre de santé dans le service de Guy Baillon de l’hôpital Ville-Evrard dans le 93. « Je suis de ceux qui pensent qu’il faut un aller-retour entre le terrain et les lieux de formation et de réflexion », ajoute-t-il. Il travaille comme cadre de santé au sein d’une maison-relais, une résidence d’accueil des patients. En 1992, Yves Gigou est nommé cadre supérieur de santé au sein du service de Guy-Baillon. Il s’engage à ce titre dans un projet phare du service, la mise en place d’une structure de proximité sur le secteur, la clinique psychiatrique du Bois de Bondy. Puis il choisit en 1996 de terminer sa carrière là où il l’avait commencée, en l’occurrence l’hôpital psychiatrique de Villejuif aujourd’hui groupe hospitalier Paul-Guiraud. Pendant dix ans, Yves Gigou est cadre supérieur de santé dans différents services de Paul-Guiraud. Il assure même la direction des soins de l’établissement en intérim, une expérience qui lui a beaucoup plu, même s’il se souvient de quelques difficultés. « J’ai toujours différencié mon métier du rôle ou du statut. Mon métier, c’est infirmier avant tout, et ce, quels que soient les rôles que j’ai pu occuper au sein de l’institution », affirme-t-il.

Yves Gigou dit avoir terminé sa carrière dans d’excellentes conditions en participant notamment à la création de l’Unité mobile d’évaluation et de soins (Umes) de Paul Guiraud. L’Umes est constituée d’une équipe susceptible d’intervenir auprès de patients résidant sur les communes du secteur. L’objectif de la démarche est de favoriser le suivi des patients en initialisant ou en renforçant les prises en charge sur les centres médico-psychologiques du secteur, tout en limitant les hospitalisations aux situations indispensables.

Yves Gigou a pris sa retraite en juillet 2006, tout en continuant une activité temporaire de formateur en santé mentale pour les Cemea. Mais il n’a pas abandonné pour autant ce qui fut au cœur du combat de sa vie de soignant, l’hospitalité de la folie au sein de notre société.