Hygiène des mains : haro sur les bijoux ? - Objectif Soins & Management n° 206 du 01/05/2012 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 206 du 01/05/2012

 

Qualité, hygiène et gestion des risques

Anne-Lise Favier  

Alors que s’est déroulée le 5 mai la Journée mondiale de l’hygiène des mains, sous l’égide de l’OMS, les établissements de santé préparent déjà la Journée nationale de l’hygiène des mains en novembre 2012.

Dire que l’hygiène des mains est primordiale pour réaliser un soin propre et sécurisé pour le patient peut sembler trivial. Et pourtant, si, dans notre pays, cette pratique est de plus en plus automatique, elle n’est cependant pas encore réalisée de manière systématique dans tous les pays du globe.

En effet, d’après l’Organisation mondiale de la santé (OMS), les personnels de santé l’omettent en moyenne dans le monde dans 60 % des situations où elle est requise ! Un chiffre colossal qui permet de mesurer le chemin qu’il reste encore à parcourir.

DES AUTOPSIES … AUX JEUNES ACCOUCHÉES

C’est en 1847 qu’est découvert, pour la première fois, le lien entre hygiène des mains, asepsie et propagation de maladies, lorsque Ignace Semmelweis, obstétricien austro-hongrois, rapproche les cas de fièvres puerpérales qui déciment les jeunes accouchées des autopsies réalisées par les mêmes médecins dans les salles voisines.

Avec Pasteur, cette hypothèse est confortée, mais ce n’est qu’en 1962 qu’Edward Mortimer met directement en évidence le rôle des mains des soignants dans la transmission de germes pathogènes, en l’occurrence des staphylocoques chez les nouveau-nés. Plus près de nous, en 2000, une étude a évalué le lien entre l’observance de l’hygiène des mains et le taux d’infections nosocomiales : elle montre, sur une période de quatre ans, que le taux d’infections diminue (ainsi que le taux de transmission de Staphylococcus aureus résistant à la méticilline) quand l’hygiène des mains augmente. Un résultat observé grâce à une campagne de promotion de l’hygiène des mains comportant la mise en place de solutions hydro-alcooliques (SHA).

Des bénéfices qui ne s’arrêtent pas là puisque de nombreuses études corroborent le fait que l’augmentation de la consommation des SHA et de l’observance des gestes d’hygiène des mains entraînent une diminution du nombre d’infections nosocomiales et de bactéries multirésistantes.

C’est pourquoi, depuis 2008, l’OMS a mis sur pied une Journée mondiale de l’hygiène des mains, Save lives, clean your hands, à laquelle adhère plus de 5 000 établissements de santé à travers plus de 120 pays. L’objectif ? Informer un maximum de personnes (soignants et soignés) sur l’importance de ce geste simple mais indispensable qu’est le lavage des mains. Car, en plus de protéger le patient, ce geste protège également les soignants, vecteurs de possibles infections si le lavage des mains n’est pas correctement réalisé.

INÉGALITÉS DANS LE MONDE

Côté observance, de nombreuses inégalités sont rapportées à travers le monde : taux insuffisants ou très faibles dans les pays en développement comme dans les pays développés avec une adhésion du personnel soignant aux procédures d’hygiène des mains variable en fonction de la profession (médecin, infirmier, aide-soignant), du sexe, etc., avec des taux d’observance allant de 5 % à 89 %, et une moyenne de 38,7 %, souligne une étude de l’OMS.

Lors d’études d’observation conduites dans les hôpitaux, il en ressort que le personnel soignant pratique l’hygiène des mains en moyenne de 5 à 42 fois par équipe et de 1,7 à 15,2 fois par heure. De plus, la durée des pratiques d’hygiène des mains oscille entre 6,6 secondes et 30 secondes (voir encadré page ci-contre). L’OMS espère ainsi, avec cette campagne, parvenir à l’horizon 2020 à l’instauration d’une véritable culture de l’excellence en matière d’hygiène des mains.

En France, cela fait quelques années que cette culture est en passe de devenir religion. Avec les indicateurs du tableau de bord des infections nosocomiales mis en place depuis 2004, on dispose notamment d’un Indicateur de consommation des solutions hydro-alcooliques (ICSHA) qui donne une vision de la mutation qui s’est déroulée dans les établissements de santé ces dernières années. On est passé en quelques années d’une majorité d’établissements dans les catégories C, D ou E (la classe ? C correspond à une consommation comprise entre 40 et 60 %, D à une consommation comprise entre 20 et 40 % et E inférieure à 20 % de l’objectif personnalisé) à une majorité d’établissements situés en classe ? A, soit une consommation effective supérieure de 80 % à l’objectif personnalisé. Aujourd’hui, la solution hydro-alcoolique est présente dans tous les hôpitaux, dans tous les services et jusqu’au lit du patient. Une étude menée au CHRU de Lille a montré que, chaque jour, en moyenne, ce sont 53 mL de SHA qui sont utilisés auprès de chaque patient autour de 18 ? gestes d’hygiène des mains.

UNE JOURNÉE SANS BIJOU ?

Reste-t-il du chemin à parcourir ? Oui, si l’on en croit les derniers résultats du tableau de bord des infections nosocomiales qui montrent les différents niveaux d’utilisation des SHA : ce sont les CHRU et les centres de lutte contre le cancer qui sont les meilleurs élèves en tant qu’utilisateurs de SHA avec une grande majorité de classe ? A. Néanmoins, du côté des établissements de santé mentale ou de soins de suite et de réadaptation, il reste du chemin à parcourir (30 % des établissements en classe A), tout comme auprès des petits établissements (hôpital local, établissements de moins de 300 lits).

Reste également certains points à régler, comme le port de bijoux (bagues, bracelets) et des montres : il a été prouvé que celui-ci (y compris le port d’une alliance lisse) était associé à des contaminations persistantes des mains. De même, une revue de la littérature montre que des épidémies ont été associées à des écarts quant aux recommandations relatives aux ongles longs, vernis ou décorés au port de faux ongles : tous ces artifices diminuent l’efficacité du geste d’hygiène des mains.

Ces arguments appuient la recommandation « tolérance zéro pour les bijoux » que certains prôneront en novembre pour leur Journée nationale d’hygiène des mains. De son côté, la Société française d’hygiène hospitalière* préconise de ne porter aucun bijou aux mains et aux poignets dans la mesure où il est difficile d’organiser une politique différenciée entre les alliances lisses et les bagues non lisses. Quant aux radiologues ou professionnels exposés aux rayons ionisants devant porter une bague dosimètre, leur choix doit se porter vers des modèles étanches et lisses. La prochaine journée d’hygiène des mains sera-t-elle placée sous le signe de la tolérance zéro en matière de bijoux ? Le Cclin Sud-Ouest, dans une brochure mise en ligne sur son site (www.cclin-sudouest.com) propose en tout cas un guide méthodologique (avec des fiches outil d’audit et de recueil) sur ce thème pour sensibiliser les soignants à ces réalités, comme il l’avait déjà fait en 2011 lors de la Journée mondiale d’hygiène des mains (en mai) sous le slogan Déshabillez-moi.

* Dans son guide paru en 2009 concernant les recommandations sur l’hygiène des mains. Voir également le site de l’OMS (www.who.int/gpsc/5may/fr/) sur ce thème.

RENDEZ-VOUS → Les établissements de santé sont invités à s’engager dans la quatrième Enquête nationale de prévalence des infections nosocomiales, organisée par l’Institut de veille sanitaire, du 14 mai au 28 juin 2012. Cette enquête aura une dimension européenne et permettra de comparer les taux de prévalence des différents pays participants.

L’hygiène, quand et comment ?

Selon l’OMS, il existe différentes situations dans lesquelles l’hygiène des mains est recommandée, indispensable et évidente.

→ Le lavage des mains “eau+savon” est indispensable lorsque les mains sont visiblement sales ou souillées par du sang ou d’autres liquides biologiques ou après être allé aux toilettes. Il est également recommandé lors d’exposition suspectée ou effective à des agents pathogènes sporulés.

→ La friction des mains avec un produit hydro-alcoolique est la méthode de choix pour l’antisepsie des mains dans toutes les situations cliniques où les mains ne sont pas visiblement souillées.

→ Le lavage des mains est indispensable avant de manipuler des médicaments ou de préparer des aliments.

→ Les savons et les produits hydro-alcooliques ne doivent pas être utilisés simultanément.

Concrètement, un bon lavage des mains doit durer de 20 à 30 secondes pour l’utilisation de la solution hydro-alcoolique (sans oublier les espaces interdigitaux) et 40 à 60 secondes pour un lavage des mains classique, au savon. Avec utilisation d’un sèche-main jetable à usage unique.

En chirurgie, des recommandations plus spécifiques existent, avec notamment une friction plus longue au savon.

À noter : les produits hydro-alcooliques présentant une activité antimicrobienne optimale contiennent habituellement de 75 à 85 % d’éthanol, d’isopropanol ou du n-propanol ou encore une association des trois. Les produits contenant plus de 90 % d’alcool ne sont pas plus efficaces, ils le sont même moins.