Encadrer les initiatives en plaies et cicatrisation - Objectif Soins & Management n° 206 du 01/05/2012 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 206 du 01/05/2012

 

Actualités

Thierry Pennable  

RÉFLEXION → Les spécialistes en “plaies et cicatrisation” de Montpellier ont organisé la première Rencontre nationale des IDE référents le vendredi 30 ? mars, dans le but d’harmoniser les niveaux de compétences des paramédicaux pour être mieux identifiés.

Logiquement, la première Rencontre nationale des IDE référents “Plaies et cicatrisation” se tenait à Montpellier le 30 mars 2012. C’est en effet au CHRU de Montpellier qu’ont été créées l’appellation “plaies et cicatrisation” en 1994 et la première unité médico-chirurgicale dédiée au traitement des plaies en 2010. Organisatrice de la rencontre, Sylvie Palmier, infirmière référente au CHRU de Montpellier et responsable formation du Réseau ville-hôpital plaies et cicatrisation du Languedoc-Roussillon (RVHPCLR), veut amorcer une réflexion commune sur « une harmonisation du rôle des “experts” dont le nombre progresse parallèlement à l’épidémiologie des plaies et à l’évolution des techniques de soins ».

Un besoin d’information

Les intervenants aux parcours variés s’accordent sur une motivation commune : améliorer la prise en charge peu satisfaisante des plaies et le manque de connaissance des paramédicaux en la matière (qui ont pourtant acquis un droit de prescription). En cause, une formation initiale jugée insuffisante dans ce domaine et une évolution constante des techniques qui impose une actualisation régulière des protocoles de soins recommandés. « La prévention des plaies est prise en compte dans les services, mais le matériel utilisé, souvent mal connu, n’est pas toujours le mieux adapté », constate Maryline Crepin, IDE référente en plaies et cicatrisation au CHU de Poitiers. Les spécialistes ajoutent qu’une formation théorique n’est pas suffisante et doit être associée à une solide expérience pour la prise en charge des plaies complexes.

Surmonter les difficultés

Pour intervenir, les référents doivent se faire reconnaître par leurs collègues (au-delà de leur propre service), mais aussi par le corps médical parfois réticent à l’idée d’une consultation infirmière. « Le référent doit acquérir un pouvoir d’influence en prouvant son expertise par des résultats », explique Christophe Debout, responsable pédagogique de master 1 à l’École des hautes études en santé publique (EHESP). Une fois positionné, le référent doit gérer les limites de sa compétence face aux demandes des services. Dominique Boisrobert, IDE référente au CH de Bourges, prend l’exemple d’une plaie à l’abdomen chez un patient souffrant de cellulite infectieuse. « Ce cas relevait d’une prise en charge spécialisée. En accord avec le médecin référent, on a orienté rapidement le patient vers le service d’infectiologie. » Dans ce cas, le référent doit aussi savoir orienter le patient si nécessaire, alors « qu’il est parfois isolé, notamment lorsque le référent médical n’est pas disponible », fait remarquer Dominique Boisrobert. La charge des référents est alourdie par le turn-over important dans les équipes. Elles sont souvent obligées de relayer et répéter les mêmes informations dans les mêmes services. S’ajoute un manque de temps des IDE en services qui ont tendance à demander souvent un conseil “miracle” et immédiat. L’infirmière spécialisée doit rappeler que le traitement d’une plaie implique une prise en charge globale de la situation et que le choix d’un pansement ne suffit pas.

Une articulation médicale nécessaire

Le RVHPCLR collabore avec le CHRU de Montpellier pour une prise en charge des plaies en amont et en aval des hospitalisations. À sa création en 1999, les infirmières référentes, toutes titulaires d’un DU plaies et cicatrisation, contactaient les médecins traitants parfois réticents à reconnaître leur compétence. « Il nous manquait un référent médical », insiste Évelyne Ribal, infirmière libérale, coordinatrice au sein du réseau. Depuis 2006, le financement d’un médecin référent permet de répondre aux questions posées par les plaies complexes qui nécessitent parfois des prescriptions d’examens ou de traitements complémentaires. Cette articulation médicale est autant souhaitable à l’hôpital où l’activité de référent expert en plaies requiert une volonté institutionnelle. « L’activité doit être inscrite dans le projet médical et dans le projet de soins, intégré au contexte et aux enjeux financiers actuels », précise Françoise Estric, directrice des soins, responsable de l’organisation paramédicale au CHRU Montpellier.

Harmoniser les compétences

De nombreuses formations se sont développées depuis les premiers diplômes universitaires en 1998 dans les facultés de Paris et Montpellier. Il y a les formations universitaires avec des DU dans de nombreuses facultés. Très différents les uns des autres, certains se spécialisent par exemple sur l’ulcère de jambe ou l’escarre, d’autres abordent tous les types de plaies. Les organismes de formation développent régulièrement des enseignements sur une journée ou sur trois à quatre jours. Enfin, le marché du traitement de la plaie intéresse les laboratoires qui organisent aussi des sessions animées par des spécialistes de la cicatrisation, mais centrées autour de leurs produits… « Actuellement, le problème est que toute IDE titulaire d’une de ces formations peut se revendiquer experte en plaies et cicatrisation, soulève Sylvie Palmier. Il faut réfléchir à identifier qui est expert et qui ne l’est pas, à partir d’un niveau de compétences attendu. »

La spécialiste préconise une harmonisation des formations avec des niveaux différents. « Toutes les IDE ne veulent pas faire un master ou de la recherche », répond-elle à ceux qui souhaiteraient une formation uniquement au niveau master. Malgré les difficultés, les intervenants ont tous soulevé les points positifs de leurs expériences. En premier lieu, l’amélioration de la qualité des soins et de la prévention apportés aux plaies dans une prise en charge globale. Dominique Boisrobert apprécie « la complémentarité entre les services et les experts dont les compétences sont reconnues ». Lorsque l’activité hospitalière est couplée avec un réseau ville-hôpital, la prise en charge permet le traitement cohérent d’une plaie chronique à domicile et à l’hôpital. Au CHRU de Montpellier, un staff hebdomadaire réunit hospitaliers et membres du réseau. « Lorsqu’un cas problématique à domicile nécessite une hospitalisation, elle est organisée directement à partir du staff », explique Sylvie Palmier, détachée à 20 % pour son activité dans le réseau avec l’accord de sa direction hospitalière. Comme souvent dans la profession, l’investissement et la charge de travail supplémentaire engendrés par cette activité ne font pas l’objet d’une reconnaissance financière. Au risque d’épuiser les bonnes volontés….

Épidémiologie des plaies

« La population prise en charge en chirurgie comme en médecine est de plus en plus âgée. La physionomie des patients porteurs de plaies a donc évolué ces dernières années. Par exemple, depuis ma formation initiale, je n’avais vu des gangrènes que dans les livres. Aujourd’hui, des situations d’ischémie critique sont observées plusieurs fois par mois. En cardiologie, les chances de survie à un infarctus du myocarde sont augmentées, en conséquence, les problèmes artériels comme l’ulcère de jambe sont plus fréquents. En cancérologie, l’amélioration des cytotoxiques amène des cancers à proliférer après une troisième ligne de chimiothérapie. Des plaies cancéreuses qui avaient disparu ont tendance à réapparaître. Enfin, les durées moyennes de séjour sont plus courtes. »

Sylvie Palmier. Infirmière référente en plaies et cicatrisation au CHRU de Montpellier, responsable formation du Réseau ville-hôpital plaies et cicatrisation du Languedoc-Roussillon (RVHPCLR).

Des pistes pour l’avenir

« L’activité des infirmiers référents en plaies et cicatrisation rentre parfaitement dans le champ des pratiques avancées et des protocoles de coopération définis par l’article 51 de la loi HPST du 21 juillet 2009. Fondée sur l’expertise clinique de l’infirmière, elle a pour objectif une amélioration de l’organisation ou de la prise en charge des soins. Ces nouvelles fonctions peuvent requérir ou pas des activités dérogatoires. Elles nécessitent alors une adaptation de la réglementation sous la forme d’un protocole de coopération. À l’heure d’une augmentation de la demande en soins et d’une forte pression économique, le rapport Hénart-Berland-Cadet* incite les décideurs à prendre des décisions plus claires sur l’introduction de pratiques avancées qu’ils appellent métiers intermédiaires. Aussi, la FHF réagit et s’apprête à promouvoir des recommandations au niveau national en faveur du développement des pratiques avancées chez les paramédicaux. L’expertise en plaies et cicatrisation est un thème qui devrait intéresser beaucoup d’infirmières. En se réunissant, elles donneraient du pouvoir à leurs revendications financières et statutaires. »

Intervention de Christophe Debout, responsable pédagogique de master 1 à l’EHESP

*“Rapport relatif aux métiers en santé de niveau intermédiaire”, Laurent Hénart, Yvon Berland, Danielle Cadet, janvier 2011.