PROSPECTIVE → En raison notamment du vieillissement de la population, des réorganisations hospitalières ou encore des nouveaux modes de prise en charge, les collègues de demain ne seront pas forcément ceux d’aujourd’hui. Des métiers apparaissent dans les établissements, d’autres évoluent en profondeur…
Qui seront demain les collègues des cadres de santé ? Répondre à cette question impose de surmonter deux principaux obstacles : qui désigne-t-on comme collègues et comment mener un tel exercice de prospective ?
Dans le secteur de la santé, la spécialisation médicale et les progrès technologiques justifient un nombre élevé et une diversité des métiers. « Les professions se sont (…) multipliées à l’hôpital depuis deux ou trois décennies », écrivent Françoise Gonnet et Sylvie Lucas
Mais qui désigne-t-on comme “collègues” ? Certains cadres ne goûtent guère ce terme pourtant neutre, préférant évoquer les membres de leur “équipe”, les infirmières, aides-soignants, kinésithérapeutes, manipulateurs radiologiques… auxquels s’ajoutent brancardiers, secrétaires, etc.
La fonction de cadre se pense en fonction d’un collectif. Certains définissent toutefois comme “collègues” de stricts homologues, d’autres cadres donc, mais œuvrant dans d’autres services ou pôles, voire comme formateurs – sur le mode du “confrère” que se donnent les médecins. Le terme de “collaborateur”, lui, s’applique de façon plus formelle aux professionnels choisis, pour l’assister, par le médecin chef de pôle (article L. 6146-1 du Code de la Santé publique).
À ce mot, certains cadres accolent d’ailleurs une idée de hiérarchie, appelant logiquement ainsi leurs responsables – ou encore des interlocuteurs chargés d’une mission distincte de celle de leur équipe. Par “collègue”, nous entendrons, quant à nous, tout professionnel interagissant avec le cadre de santé dans un objectif final de prise en charge du patient.
« Dans notre enquête post-formation, nous interrogeons les cadres, neuf mois après leur prise de fonction, sur les compétences mobilisées dans leur travail de cadre et leur vision de la fonction dans les cinq ans à venir, témoigne Élisabeth Brauer, directrice de l’IFCS de Montpellier. Les réponses portent plus sur leurs besoins actuels… » Certes, les outils ne manquent pas pour anticiper l’état futur du personnel : pyramide des âges, référentiels métier ou encore nomenclature des métiers, en s’appuyant éventuellement sur celle de la fonction publique hospitalière (FPH) mise à disposition par l’Observatoire national des emplois et des métiers de la FPH (Onem-FPH)
Mais toute prospective reste périlleuse. Généralement inscrite dans une perspective de trois à cinq ans, elle est, selon l’Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux (Anap), l’un des aspects « les plus difficiles à aborder » quand il est question de Gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC). Notamment car « il y a autant de GPEC que d’établissements de santé »
En dépit de ces écueils, Caroline Ruillier relève « de plus en plus de recherches, dans les domaines du management et des ressources humaines, sur la prospective des métiers ». La réflexion peut partir d’une statistique, par exemple le fait que 85 % des cadres de santé en exercice en 2000 pourraient être partis à la retraite en 2015. L’analyse prospective peut aussi se fonder sur des réflexions plus qualitatives sur les métiers. Elle est, en tout cas, indispensable pour anticiper besoins et compétences futurs du personnel. « L’avenir ne se prévoit pas, mais il se prépare », souligne l’Association nationale des DRH
Le rôle des cadres dans cette réflexion sur les métiers de demain est d’autant plus légitime que ces professionnels se trouvent à la croisée du médical, du soignant, de l’administratif, de la logistique… « Aller chercher les interlocuteurs et les expertises, repérer tous les liens possibles, connaître et mobiliser toutes les ressources voisines (membres de l’équipe, collègues cadres, personnes en mission transversale dans l’établissement ou situées sur le territoire de santé), ne faire l’impasse sur aucune compétence existante, tout ceci fait partie du travail des cadres », souligne Nicole Pastol, vice-présidente du Comité d’entente infirmières et cadres (Cefiec) chargée de la formation.
Le nombre et la nature des collègues dépendent de plusieurs facteurs. Du domaine d’activité, en particulier. Par exemple, en hospitalisation à domicile (HAD), des cadres travaillent en réseau avec nombre de professionnels situés à l’extérieur de leur hôpital : médecins, infirmières libérales, kinésithérapeutes, ergothérapeutes, prestataires de service (pour la location de lits et de matériel), pharmaciens, services de soins infirmiers à domicile, établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, centre anticancéreux, assistantes sociales, centres locaux d’information et de coordination, conseil général… Le positionnement du cadre compte également. Les cadres paramédicaux de pôle entretiennent – et vont vraisemblablement entretenir – des relations accrues avec le cadre administratif de pôle et le médecin (tous trois formant un trio), ainsi qu’avec les services centraux de l’établissement. Ceux-ci pourraient intervenir davantage en soutien et en conseil si la délégation de gestion aux pôles se concrétise plus souvent.
Plusieurs tendances modifient la liste et la physionomie des collègues des cadres de santé, en conduisant à la création de nouveaux postes, en transformant certains métiers, voire en rendant, peut-être, certaines fonctions obsolètes.
Pêle-mêle, citons la spécialisation médicale, donc, mais aussi le vieillissement de la population et le nombre croissant de patients âgés polypathologiques, les attentes différentes des malades, la diminution de la durée d’hospitalisation, le regroupement, voire l’unification d’hôpitaux, l’organisation par pôles (qui peut modifier la nature des partenaires et même permettre des rencontres entre des cadres qui n’avaient jamais œuvré de concert auparavant), la coopération entre public et privé, la gestionnarisation de la médecine (et la prégnance croissante de la réflexion médico-économique), la délégation de tâches et la mise en place de coopérations, l’organisation plus territoriale, avec notamment le développement des services à domicile, l’accroissement de certains problèmes sociaux (imposant le travail avec des associations ou des collectivités), l’augmentation du nombre de professionnels de santé et la professionnalisation de certaines fonctions, etc. Une prise en charge plus globale se dessine. De nouveaux visages se font jour, plus diversifiés en fonction du parcours du patient. Voici quelques probables futurs collègues des cadres de santé…
L’essor possible de la HAD, l’organisation du retour à domicile et l’éventuel passage par un centre de soins de suite ou de convalescence devraient provoquer « une coopération accrue entre les acteurs sanitaires, sociaux et médico-sociaux, une meilleure coordination entre les opérateurs, voire l’organisation de réseaux de santé, pour une population ciblée (ex. personnes âgées), une pathologie particulière (diabète, cancer…) », indique le ministère. En perspective, donc, une présence plus marquée des services à la personne parmi les collègues des cadres hospitaliers. « Depuis vingt ans, on entend parler du réseau ville-hôpital : il va falloir enfin le développer », résume Christine Le Coz, cadre de pôle à Saint-Lô. Hors des murs de l’unité ou du pôle, des liens devraient aussi se multiplier avec les instituts de formation, en raison notamment de nouvelles façons d’apprendre et de se former, et le développement de l’analyse des pratiques.
« La technicité croissante des soins et des flux de produits (…) ou d’informations (…) exigent des ingénieurs, des informaticiens, des spécialistes de la logistique, de la sécurité », etc., remarque Sophie Divay
Dans son deuxième rapport d’activités
L’Onem-FPH qualifie également de métiers « nouveaux » des professions existant déjà mais appelées à se métamorphoser en profondeur, avec des activités nouvelles, à l’image des secrétaires médicales ou des infirmières. « Ce ne sont pas tant les actes de soins qui changent radicalement que les conditions et le cadre de leur exercice, qui vont exiger davantage de polyvalence », explique l’observatoire. Pour les infirmières, il pronostique de nouveaux champs d’intervention (comme le raisonnement clinique), des responsabilités renforcées (à l’instar de la coordination, effectivement capitale pour mieux organiser le parcours du patient, surtout si la proximité des cadres aux soins s’amenuise), et enfin des pratiques avancées. Des infirmières expertes en plaies, par exemple, existent déjà, et peuvent intervenir de façon transversale dans l’établissement. Parmi les collègues en grande mutation, ajoutons les directeurs de soins, dont la mission s’avère désormais plus stratégique.
L’expertise infirmière, ou plus largement professionnelle, devrait notamment concerner le domaine des personnes âgées. Le ministère évoque des assistants de soins en gérontologie et des auxiliaires de vie sociale, récemment apparus et en développement. L’Onem-FPH, lui, décrit le gestionnaire de cas (destiné à être « le porte-parole de la personne âgée en perte d’autonomie », en vue d’une « meilleure coordination des services autour de la personne, accompagnée dans tous ses parcours (domicile, hébergement temporaire, hôpital)» ; ou encore l’assistant en gérontologie (dont les connaissances sur les pathologies de fin de vie, la douleur ou encore la relation d’aide bénéficient au patient souffrant d’Alzheimer et à sa famille).
En raison des départs à la retraite massifs et du renouvellement du personnel soignant, les cadres eux-mêmes et leurs collègues changeront. « Étant donné que l’expérience de la vie et l’évolution des effectifs façonnent la personne, les employés appartenant à des générations différentes ne partagent pas les mêmes attitudes et valeurs, lesquelles ont été moulées par la formation de leur époque », note Mélanie Lavoie-Tremblay dans une étude sur l’arrivée d’une nouvelle génération d’infirmières au Québec
« Les cadres sont plus autonomes, mais ils ne sont pas tout seuls dans leur coin, relève Nicole Pastol. Ils doivent aussi travailler en bonne entente avec les autres professionnels. » Dans une équipe, l’autonomie ne s’oppose pas à l’interdépendance
En effet, l’apparition ou l’évolution des métiers peut modifier l’activité des cadres de santé, par exemple en la recentrant sur l’accompagnement des équipes. Le management se transforme également, par exemple quand il s’agit, “à distance”, de coordonner des professionnels d’un même pôle ou d’un même territoire répartis sur plusieurs sites. Dresser la liste de ses futurs collègues n’est, finalement, qu’un préambule préalable à l’invention de nouveaux modes relationnels.
(1) L’hôpital en questions, éditions Lamarre, 2003.
(2) “L’organisation du travail à l’hôpital : évolutions récentes”, Études et résultats n° 709, Drees, 2009.
(3) Cf. bit.ly/dE2nqw
(4) “Améliorer la gestion des ressources humaines : la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences”, avril 2011.
(5) Auteur avec Marc Dumas de “Quelles compétences pour le cadre de santé de demain ?”, 2011. Cf. bit.ly/JEbzHP
(6) Dans sa revue Personnel consacrée à la prospective : bit.ly/IOHZLu
(7) Dans sa présentation du répertoire des métiers de la FPH. Pour les infirmières et cadres de santé, lire notamment le tome 2 de l’étude prospective intitulé “Monographie de 10 métiers et groupes de métiers sensibles”, éditions de l’ENSP, 2007.
(8) “Les cadres de santé face à la logique managériale”, décembre 2007. Cf. bit.ly/JMu9N7
(9) “Campagne nationale de valorisation des métiers de la santé”, dossier de presse du 12 mars 2012.
(10) Rapport de 2010, téléchargeable sur bit.ly/Js09SI (4 euros).
(11) Dans Profession infirmière : quelle place et quelles pratiques pour l’avenir ?, éditions Lamarre, 2009.
(12) Hôpitaux. Les vents contraires du changement, éditions Lamarre, 2010.
(13) Sur ce point, lire aussi “Les conditions du travail en équipe”, Document de travail, série “études” n° 49, Drees, 2005.