Une retraite toute en action… humanitaire | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 205 du 01/04/2012

 

MARIANNE RAMPON-BOYER

Parcours

Sandra Mignot  

Pour s’investir dans l’action humanitaire, Marianne Rampon-Boyer a décidé de prendre une retraite précoce. À 47 ans, elle s’est envolée pour la première fois avec MSF comme directrice des soins et compte bien renouveler l’expérience.

« Pour les Africains, j’étais bizarre : une humanitaire qui a trois enfants, une vie de famille et qui ne veut pas rester plus de trois mois sur son poste… Ils n’avaient jamais vu ça ! », s’amuse Marianne Rampon-Boyer. Après plus de quinze ans au CHU de Nîmes dans des services d’urgence, une expérience de cadre dans un service de gérontologie puis dans un service de chirurgie traumatologique et orthopédique, et trois ans de Smur, cette cadre de santé nîmoise surdiplômée a finalement décidé de changer de vie en 2011, pour entamer une carrière dans l’humanitaire. Une décision beaucoup moins brutale qu’il n’y paraît, fondée sur plusieurs années de réflexion et d’hésitations…

Des rencontres

« L’idée m’est venue pendant mon DU en 2004/2005 », se souvient Marianne. Dans sa carrière, les diplômes sont comme des jalons tant ils sont nombreux : une licence en sciences sanitaires et sociales, une maîtrise AES mention développement social, un DESS d’évaluation médicale, un DU d’hygiène hospitalière, un diplôme de cadre et enfin le DU de gestion des urgences collectives… « Au cours des enseignements, avait été évoquée la réflexion sur la création d’une sorte de Samu mondial, on parlait aussi de la naissance prochaine de l’Établissement de Préparation et de Réponse aux Urgences Sanitaires (Éprus), se souvient-elle. Il y a eu aussi cette intervention d’un représentant de Médecins du Monde. Et là, je me suis dit : “c’est ce que je veux faire !” » À l’époque, Marianne est cadre dans un service de traumatologie orthopédique au CHU de Nîmes, divorcée, mère de trois enfants, dont le plus jeune a quinze ans. « C’était encore trop tôt pour que je parte, reconnaît-elle. Mais j’étais très attirée par cette perspective humanitaire. » Pendant les années qui suivent, elle rencontre différentes organisations humanitaires. « Beaucoup ne m’ont vraiment pas donné envie de les rejoindre. » Notamment celles, d’inspiration confessionnelle, qui lui expliquent qu’il lui faudra s’intégrer à des groupes de prière ou celles qui pensent qu’à son âge – plus de 40 ans – elle sera trop exigeante sur le cadre de la mission.

« Et puis j’ai rencontré un responsable de programmes chez Médecins sans frontières. On a parlé de parcours professionnel, de gestion de la qualité des soins. Cela a fait tilt, même si je n’étais pas encore tout à fait prête à partir. » L’ONG a besoin de professionnels avec un profil cadre, car près de 50 % de ses programmes consistent à gérer et développer des hôpitaux.

La perspective de modification du système des retraites hospitalières achève de convaincre Marianne. « Avec trois enfants, je pouvais prétendre à un départ anticipé à 47ans, mais il fallait que je parte avant la fin 2011, explique Marianne. C’était une occasion à saisir. » Elle demande son départ en retraite pour le 1er avril 2011, recontacte les ONG qui l’intéressent, et le 19 avril, la voici qui débarque avec MSF à Douékoué, dans l’Ouest de la Côte d’Ivoire, en plein conflit civil qui a suivi l’élection présidentielle de novembre 2010.

Le choc

Un vrai choc pour Marianne Rampon-Boyer, puisqu’elle est partie sans même avoir suivi les journées d’accueil destinées à tout nouveau venu chez Médecins sans frontières. « Je suis arrivée avec un médecin anesthésiste pour la réouverture d’un hôpital et la mise en place d’une mission chirurgicale. C’était juste après que les équipes locales soient restées cloîtrées pendant quinze jours dans l’établissement tandis que des massacres se perpétraient dans les environs. » Marianne, recrutée comme infirmière superviseur, ne connaît rien du fonctionnement interne de MSF, elle n’a pas de supérieur hiérarchique sur place – sa responsable terrain est arrivée deux semaines plus tard. Inutile de préciser qu’elle ne connaît pas non plus grand-chose de la Côte d’Ivoire, de sa diversité ethnique et du conflit politique qui l’agite. Mais il faut avancer, alors Marianne utilise ses bons vieux réflexes de cadre hospitalier. Elle organise le nettoyage de l’hôpital, recrute, prépare ses plannings, participe à la mise en place d’un service de pédiatrie, créé une pharmacie… Elle se confronte aussi à ses limites : le paludisme qu’elle ne sait pas comment traiter, les ravages de la rougeole, ses difficultés à reconnaître les signes épidermiques d’une anémie… « C’était plutôt inconfortable, je ne savais pas jusqu’où je pouvais aller. Mais, en même temps, c’était intense, j’ai beaucoup travaillé et beaucoup appris. J’ai saisi très vite les réalités locales, la présence de tensions entre les populations, même à l’intérieur de l’hôpital, découvert le système sanitaire ivoirien. Donc, au final, le bilan est positif. » Pas échaudée, Marianne décide de renouveler l’expérience avec MSF après un mois et demi de vacances.

Partir, repartir

« Après ces trois mois de mission, j’étais rentrée fatiguée et je n’aurais pas pu rester plus longtemps en Côte d’Ivoire, affirme-t-elle aujourd’hui. Pourtant, j’avais aussi envie de repartir. » Cette fois-ci, direction la République Démocratique du Congo, la région du Nord Kivu. Il s’agit encore d’un hôpital dans lequel l’ONG est présente depuis 2005. L’établissement dispose de multiples services : urgences, soins intensifs, grands brûlés, orthopédie, néonatologie, grossesses compliquées, prise en charge des victimes des violences sexuelles…

« Là, je me suis beaucoup reposée sur le staff local, explique Marianne. Normal, certains travaillaient ici depuis plus de trente ans ! Je les ai d’abord observés et puis je leur ai demandé comment ils pensaient pouvoir faire évoluer l’hôpital, les services rendus aux patients. Et nous avons commencé à parler ensemble des changements possibles dans l’organisation. » Un travail de management essentiel, dans lequel le positionnement et l’expérience de la cadre française comptent beaucoup. « Pendant dix ans, j’ai eu à gérer des conflits de cadres et je me suis retrouvée à Rutshuru avec une mégagrève et des menaces de mort, plaisante-t-elle à présent. Les modalités d’expression du conflit diffèrent, mais sa gestion et sa résolution passent par les mêmes méthodes. »

Le goût des autres

Malgré les difficultés d’adaptation, le rythme intense, la fatigue, la vie en collectivité pas toujours facile, Marianne ne garde de ces expériences que des souvenirs constructifs. « À Rutschuru, j’ai été impressionnée par les capacités de réaction devant les urgences, note-t-elle. La vitesse avec laquelle les professionnels se mobilisent, alors que nos services d’urgence français sont sclérosés, que des situations d’urgence peuvent emboliser tout l’hôpital. » Sur la rencontre avec l’autre, les cultures différentes, Marianne n’y voit qu’un enrichissement supplémentaire. Il y a les patients, les professionnels de santé locaux, mais aussi les expatriés d’autres pays, de plus en plus souvent originaires de pays africains eux-mêmes. « Rencontrer des gens et des cultures variées, je l’ai toujours fait aux urgences, rappelle-t-elle. Ne serait-ce que lorsqu’il vous faut annoncer et gérer un décès dans une famille de Tziganes, il faut bien faire avec les traditions de deuil des autres… » Elle souligne également avec plaisir la qualité des relations infirmières/médecins dans les établissements africains où elle a pu travailler. « Notre voix est vraiment entendue par les médecins, on travaillait vraiment en collaboration, en synergie. » Au retour de sa deuxième mission, Marianne est finalement rappelée à l’hôpital pour un remplacement. Elle envisage désormais de poursuivre son double engagement : puisque l’on a besoin d’elle en France, elle peut continuer d’accepter des missions courtes et intercaler des missions humanitaires, sans s’éloigner trop longtemps de son foyer. « J’ai le luxe de pouvoir vivre les choses comme je les sens. Alors, mon prochain départ, cette fois, j’aimerais que ce soit un peu plus en brousse, même si je sais qu’il y a de gros besoins dans les hôpitaux… »

Quelques dates clés

1985 – Diplôme d’État à l’Ifsi de Nîmes.

1998 – DESS information médicale, mémoire sur le plan blanc et la gestion des produits et matériels médicaux destinés à la prise en charge des victimes.

1999 – Diplôme de cadre de santé à Marseille, suivi par une première expérience comme cadre de santé dans une unité protégée pour patients Alzheimer.

2007 – DU d’expertise dans la gestion des urgences collectives.

2007 – Cadre de santé du Samu/Smur de Nîmes.

2011 – Départ en retraite le 1er avril.

2011 – Première mission humanitaire en avril à Douékoué (Côte d’Ivoire) pour MSF.