Quelle place en Ifsi pour l’éthique du “care” ? - Objectif Soins & Management n° 204 du 01/03/2012 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 204 du 01/03/2012

 

Recherche et formation

Marie-Chantal Durier  

RÉFLEXION → Le nouveau référentiel de formation des infirmiers constitue une occasion de se questionner sur la place de l’enseignement de l’éthique en Ifsi. Cette réforme met l’accent sur l’acquisition de la démarche éthique par les étudiants. L’éthique du care est actuellement peu abordée pendant les études. Pourtant, ne constitue-t-elle pas un incontournable en matière d’éthique soignante ?

Le nouveau référentiel de formation des études infirmières du 31 juillet 2009(1) permet de repositionner l’éthique dans la formation, de retravailler les contenus en fonction d’objectifs précisés. Il offre la possibilité aux étudiants de mener une réflexion sur leur pratique, sur celles observées, mais aussi sur leur “savoir être”.

Dans l’enseignement de l’éthique, nous pouvons distinguer deux axes.

→ Un premier est de l’ordre de l’acquisition d’une démarche de questionnement éthique face à une situation de soin complexe.

→ Le second axe serait davantage en lien avec la posture soignante au quotidien. L’éthique du care a sa place dans ce contexte.

L’enseignement de l’éthique se révèle source d’interrogation pour les formateurs en Ifsi, car comment transmettre aux étudiants toute la richesse de cette discipline et leur permettre de se l’approprier ? Une enquête a été menée. Elle avait pour objectif d’avoir une représentation de l’enseignement de l’éthique tel qu’il est pratiqué dans sept Ifsi de la région Rhône-Alpes. Une à quatre formatrices par Ifsi ont été sollicitées et interviewées sur leur vision de l’éthique du care, du “prendre soin” et sur leur situation dans la profession.

ENSEIGNER OU FORMER À L’ÉTHIQUE ?

Les philosophes depuis Socrate se sont questionnés sur l’enseignement de l’éthique car, contrairement à d’autres disciplines, il n’est pas composé uniquement de connaissances. Il fait appel à une remise en question des valeurs de chacun.

Le Comité consultatif national d’éthique dans l’avis 84 invite lors des études médicales, plutôt qu’à enseigner l’éthique à « ébranler les convictions »(2), mais aussi à uniformiser cette formation au niveau national.

Il est vrai que l’éthique n’est pas une science, ni a fortiori une science exacte, mais elle correspond à une démarche réflexive, que tout soignant se doit de mener.

La formation infirmière, du fait du nouveau référentiel de formation, développe le raisonnement clinique chez les étudiants infirmiers. Le formateur est celui qui permet au formé de découvrir des savoirs, qui favorise leur appropriation et le transfert des connaissances.

Des cours sous forme de travaux dirigés permettent aux étudiants de s’interroger sur leur vécu en stage et ainsi de parfaire leur positionnement de soigné. Apprendre à entrer en relation avec le patient, réfléchir à la parole à dire ou à éviter, identifier ce que signifie notre attitude générale pour lui, le ton de notre voix, tout cela s’apprend… De même, l’éthique s’appuie sur la législation, la déontologie. La philosophie se révèle indispensable, car elle alimente la réflexion éthique par l’apport d’éclairages d’auteurs. L’anthropologie est intéressante à prendre en compte dans le domaine de l’éthique. Ainsi, des apports théoriques sont nécessaires en lien avec l’éthique.

En revanche, l’étudiant va cheminer à son propre rythme en termes de questionnement éthique. En fonction du dispositif mis en place par les formateurs, l’étudiant pourra enrichir et avancer sa réflexion. L’importance de respecter le cheminement personnel de l’étudiant a clairement été soulignée dans les réponses des formatrices rencontrées.

La formation des enseignants en éthique paraît indispensable, car elle permet d’accroître les connaissances, de mener une réflexion, mais est également source d’investissement et de dynamisme. Cette formation permet un arrêt sur la pratique en cours et une réelle remise en question des priorités poursuivies. Les formatrices interviewées sont persuadées de l’intérêt de se former.

L’enquête a montré que l’enseignement de l’éthique est différent d’un Ifsi à l’autre, mais aussi à l’intérieur d’un même établissement. La continuité, selon les équipes enseignantes, n’est pas toujours présente. Cependant, ce qui caractérise cette formation à l’éthique est certainement sa transversalité, c’est-à-dire qu’elle se retrouve sur les trois années d’études, dans des unités d’enseignement précisées par le programme, mais aussi de manière informelle, dans tous les apports en lien avec les soins infirmiers, les situations rencontrées en stage et qui sont reprises à l’Ifsi.

Le nouveau référentiel des études infirmières précise les objectifs, le contenu et l’évaluation des unités d’enseignement, notamment de l’éthique, ce qui devrait permettre dans l’avenir d’homogénéiser l’enseignement. Les différents moyens pédagogiques utilisés constituent une richesse, mais certains outils semblent plus adaptés que d’autres aux étudiants. Pour les identifier, il s’avère nécessaire d’évaluer nos pratiques et de les harmoniser.

Les évaluations écrites demandées par le référentiel de formation sont des outils probants en lien avec l’acquisition de la démarche éthique. D’autres critères d’évaluation semblent importants à considérer : l’étudiant adopte-t-il une posture éthique, est-il capable de mobiliser ses connaissances en éthique dans la situation de soin, comment est-il perçu par les professionnels qui l’entourent ? Ces éléments peuvent être évalués au cours des stages de l’étudiant. L’avis de la personne soignée est également à prendre en compte, car elle est le premier bénéficiaire de cet enseignement.

Mais n’oublions pas que, concernant la posture éthique, chacun avance à son propre rythme et qu’il est nécessaire d’avoir un regard bienveillant sur l’étudiant.

Les formatrices rencontrées ne sont pas toutes d’accord sur le fait d’évaluer l’étudiant en éthique. Pourtant, certains Ifsi pratiquent déjà des évaluations à partir de cas concrets. Les démarches éthiques des étudiants sont alors présentées à l’oral ou parfois à l’écrit, ces évaluations sont notées quelquefois, ce qui permet d’observer pour les formatrices concernées davantage d’investissement de la part des étudiants.

LA PROFESSION AUJOURD’HUI

Dans un contexte social, culturel, économique en mutation, le paradigme infirmier se doit lui aussi d’évoluer. « La dimension éthique est devenue une composante majeure de l’exercice professionnel ; la reconnaissance des droits de la personne s’accroît, et donc aussi la reconnaissance de son autonomie… »(3)

L’éthique fait partie intégrante du professionnalisme, elle est porteuse du sens des actes infirmiers et garante du respect des valeurs, dont en tout premier lieu le respect de la dignité humaine. Les infirmiers ont besoin de partager des valeurs humaines communes. Celles-ci leur permettent de donner du sens à leur action.

Dans le travail que chaque soignant doit mener, il ne doit pas rester tourné vers lui-même, mais bien au contraire apprendre à être attentif à l’autre, en l’occurrence le patient qui a besoin de lui. Être pertinent dans l’action implique de posséder des compétences acquises au préalable.

ACCOMPAGNER VERS UNE ÉTHIQUE DU “CARE”

Pascale Molinier, Sandra Laugier et Patricia Paperman reprennent la définition du care donnée par Carol Gilligan : il « se définit par un souci fondamental du bien-être d’autrui et centre le développement moral sur l’attention aux responsabilités et à la nature des rapports humains »(4).

Cette relation avec l’autre est de l’ordre de la singularité. Il s’agit bien d’une rencontre dans un contexte particulier, où le soignant va prendre soin de l’autre.

Le care commence là où débute la vie humaine, avec le souci de l’autre en tant que membre de la famille, élément de notre quotidien. C’est bien l’attention que nous allons lui donner de manière toute simple, dans la rencontre au jour le jour qui va constituer la base du care. Il concerne chacun d’entre nous, car nous nous retrouvons tous dans un état de dépendance à un moment ou à un autre.

Accompagner dans cette éthique du care, c’est marcher à côté de, avancer au même pas que celui que l’on accompagne. Il est à noter que les compagnons ont en commun non seulement une pratique, mais aussi une philosophie de vie, un partage des valeurs.

Maela Paul a écrit qu’accompagner est fondé « sur une disposition humaine à être en relation avec autrui… »(5) et que la relation entre un « maître expérimenté et un disciple tient à ce désir de grandir en humanité »(6).

Sous le terme d’accompagnement, il y a réflexion de l’accompagnant, cheminement sur la place donnée à l’accompagné. L’accompagnant conduit l’accompagné, sans le dominer, afin de lui permettre d’arriver à l’objectif fixé. Il guide aussi, facilite la communication, permet les choix de l’accompagné, les tâtonnements, tout en restant vigilant.

En effet, l’accompagné se voit progressivement responsabilisé, prêt à agir. Cette démarche est singulière, puisqu’elle se construit en fonction de ce que sont les deux protagonistes.

Pour accompagner une personne, il faut la connaître, accepter de la découvrir et se laisser découvrir par elle. Le sujet accompagné se trouve dans un environnement qui lui est propre, avec des valeurs qui lui sont personnelles.

Cette posture d’accompagnement semble adaptée à l’éthique du care. En effet, il s’agit bien à la fois d’une réflexion sur la place donnée à l’autre dans le soin, avec l’objectif d’être prêt à agir et à prendre soin de l’autre en état de vulnérabilité.

Il est souhaitable que l’accompagnant soit un acteur de terrain, qui lui-même a vécu ce cheminement. Cela signifie aussi que cette découverte de l’éthique du care se réalise au lit du patient, dans le quotidien du prendre soin. La posture de l’aîné semble également intéressante à considérer par la réflexion qu’elle implique chez l’accompagnant.

DÉVELOPPER L’ÉTHIQUE DU “CARE”

Il s’agit de diffuser ce qu’est l’éthique du care, ce qu’elle apporte dans la prise en soin de la personne soignée, mais aussi pour l’autre, de façon générale. Notre société individualiste nous incite à nous centrer sur nous-mêmes. L’éthique du care nous ouvre à l’autre, différent de nous par ses valeurs, ses croyances.

L’enquête a mis en évidence que les formatrices interrogées ne connaissent pas ou très peu l’éthique du care. Elles parlent très facilement du “prendre soin”, mais sont dans une grande difficulté pour définir l’éthique du care.

Diffuser l’éthique du care, c’est en parler, réaliser des recherches sur le sujet, publier des articles. En Ifsi, c’est faire intervenir des personnes compétentes, qui la mettent en œuvre, dans leur quotidien, pour la présenter aux étudiants. Surtout, c’est permettre à ceux-ci d’être accompagnés sur leurs lieux de stage dans la découverte de l’éthique du care par ceux qui la vivent.

Nous avons avancé au préalable que l’idéal, pour former à l’éthique du care, consiste à accompagner l’étudiant. Un aîné, marchant au même rythme que l’initié, est intéressant en théorie, mais cette approche est parfois difficilement réalisable.

Avec le nouveau référentiel de formation, le rôle du conseiller pédagogique en Ifsi est majoré et ce dernier constitue vraiment, de par sa relation privilégiée avec l’étudiant, un élément important de la diffusion de l’éthique du care. Le conseiller pédagogique anime des temps d’analyse de la pratique clinique avec le groupe d’étudiants qu’il suit. Des rencontres individuelles sont également organisées : elles permettent une relecture des stages réalisés par l’étudiant. Cette approche réflexive de la formation est l’occasion pour ce dernier de s’interroger sur sa posture soignante et de se familiariser à l’éthique du care.

Des rencontres ont lieu également sur les terrains de stages. Le formateur “responsable du terrain” anime des séances d’“accompagnement clinique” auprès des étudiants en stage en présence d’un professionnel. Ces échanges sont l’occasion d’un questionnement de la part des étudiants sur leur vécu en stage. L’interaction entre étudiants, ainsi que la participation du professionnel, constituent des ressources à exploiter. Ce compagnonnage collectif s’avère une richesse pour diffuser aux étudiants l’éthique du care notamment. Dans notre société individualiste, travailler l’éthique du care, c’est permettre de nous ouvrir davantage à autrui, ce qui relève d’un véritable challenge chez les jeunes que nous formons en Ifsi. Malgré tout, les étudiants, du fait de leur jeunesse, ont un potentiel que les formateurs se doivent d’exploiter : leur dynamisme, leur regard critique, leur intérêt pour l’éthique sont à prendre en compte.

NOTES

(1) Arrêté du 31 juillet 2009 relatif au diplôme d’État d’infirmier, JORF n° 0181 du 7 août 2009 page 13203, texte n° 18.

(2) Comité consultatif national d’éthique, avis 84, avis sur la formation à l’éthique médicale, 29 avril 2004.

(3) Marchal Arlette, Psiuk Thérèse, Le paradigme de la discipline infirmière en France, Paris, éditions Seli Arslan, 2002, p. 9.

(4) Molinier Pascale, Laugier Sandra, Paperman Patricia, Qu’est-ce que le care ? Souci des autres, sensibilité, responsabilité, Paris, éditions Payot et Rivages, 2009, p. 159.

(5) Paul Maela, L’accompagnement : une posture professionnelle spécifique, Paris, éditions L’Harmattan, 2004, p. 8.

(6) Ibid. p. 13.