Recrutement et fidélisation en gériatrie - Objectif Soins & Management n° 199 du 01/10/2011 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 199 du 01/10/2011

 

Ressources humaines

Sandra Mignot  

ATTRACTIVITE → La gériatrie a besoin de renforts. Encore victime de sa mauvaise réputation, le secteur peine à recruter et à conserver ses professionnels soignants. Même si peu d’initiatives ont été évaluées à ce jour, des équipes planchent sur les moyens de rendre leurs services plus attractifs.

L’hôpital manque de soignants, on le sait. Mais la gériatrie figure parmi les activités les plus concernées. Ainsi, en région parisienne, une enquête de l’Agence régionale d’hospitalisation (ARH) faite en 2007 a montré que 18 % des postes de cadres en établissement gériatrique étaient vacants, ainsi que 9 % des postes d’infirmiers et 6 % des postes d’aides-soignants. « À l’AP-HP, nos dernières estimations fixent le nombre de postes d’infirmières vacants en gériatrie à 8 % (contre 3,5 % dans l’ensemble des établissements), et ceux des cadres à environ 23 % (contre 12 % dans l’ensemble des établissements) », évalue Roselyne Vasseur, directrice des soins et des activités paramédicales à l’AP-HP. Hors Île-de-France aussi, des difficultés peuvent être rencontrées. « Dans certaines régions, nous avons jusqu’à 70 % d’intérimaires au niveau des postes d’IDE, note Philippe Muller, cadre de santé de la Fondation Caisse d’Épargne pour la solidarité qui gère 75 Établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) en France. Dans les départements ruraux, c’est la croix et la bannière pour trouver des IDE. Et il n’est pas rare de voir des infirmières retraitées de la fonction publique venir travailler quelques années en Ehpad avant de s’arrêter réellement. »

C’est notamment le cas lorsque les établissements se trouvent dans une zone richement pourvue en hôpitaux et cliniques. « Lorsqu’il y a un bassin d’emploi fortement concurrentiel, les infirmières peuvent facilement changer de poste pour celui qui leur convient le mieux, géographiquement ou sectoriellement parlant » explique Hélène Archambault, chargée de mission Métiers de la gérontologie auprès de l’Agence régionale de santé d’Île-de-France. Résultat : un turn-over néfaste à la prise en charge de patients qui ont besoin de repères quotidiens, et pour les équipes qui doivent sans cesse former leurs collègues.

UN SECTEUR DIFFICILE

Il faut dire que travailler en gériatrie présente certaines difficultés. Une image peu attrayante tout d’abord. « Les infirmières en Ehpad me le disent régulièrement, souligne Hélène Archambault. Lorsqu’elles annoncent à leurs collègues un départ en maison de retraite médicalisée, celles-ci font la moue parce qu’elles imaginent que le travail sera plus lourd, moins intéressant, moins technique. »

Une autre difficulté qui peut être rapidement dépassée est celle liée à la projection de soi. « Car la vraie souffrance de ces équipes, c’est de travailler avec une population fragilisée qui vous renvoie à votre propre vieillesse ou à la déchéance à venir, souligne Philippe Muller. Il y a des seuils de tolérance très variables en fonction des personnes et des équipes. D’autant que, dans les Ehpad, on ne guérit pas, on peut seulement ralentir le processus ou accompagner l’évolution. Mais, malgré tout ce que vous faites, au final, la personne ne se remettra pas sur pied, elle va décéder. » Et puis, ici comme ailleurs, les personnels souffrent du manque de moyens alloués. « Parfois, on quitte le service en n’étant pas satisfait », regrette François Torres, IDE en psychogériatrie à Bretonneau. L’infirmier reconnaît pourtant que l’établissement qui l’emploie est encore parmi les mieux dotés. « Mais, en psychogériatrie, les patients ont besoin que l’on passe du temps avec eux, et comme on est toujours en service minimum, on ne peut pas. Les médecins ont beau me dire qu’on fait ce qu’on peut, ce n’est pas la qualité que je recherche dans le soin. »

Enfin, l’activité en gériatrie peut être très éprouvante. « Physiquement, d’une part, parce qu’il peut y avoir des contentions physiques avec des patients qui ont des comportements agressifs », note François Torres. Et puis psychiquement, il faut encaisser les deuils successifs, les troubles du comportement. « Si un patient est agressif et qu’il manifeste toute la journée des écholallies, cela peut vite porter sur les nerfs de toute la maisonnée, note Gilda Mitta Saint-Jore. Ce qui a bien sûr une répercussion sur les soignants. »

FIDÉLISER COÛTE QUE COÛTE

Différents établissements et institutions réfléchissent donc aux moyens de fidéliser leurs soignants ou de recruter de nouveaux professionnels. « Bien sûr, il est difficile de mettre en évidence un facteur plus particulièrement déterminant, note Roselyne Vasseur, directrice des soins et des activités paramédicales à l’AP-HP. Ce qui définit l’attractivité d’une spécialité, d’un établissement ou d’un service est plurifactoriel. »

Informer

Pour Évelyne Garo, il convient tout d’abord de bien les préparer à la réalité de l’activité et de ne pas omettre de présenter les difficultés spécifiques au travail en gériatrie. « Nous, nous proposons une visite complète de l’établissement et une journée de formation qui permet de se familiariser avec les outils que nous utilisons (logiciels notamment), mais aussi de faire le point sur les rappels d’hygiène, les pathologies, la surveillance à exercer, etc. » Une période d’essai peut être aménagée à l’entrée dans l’établissement. Un roulement entre les différents services de l’hôpital gériatrique peut également être proposé afin d’éviter l’usure et d’alterner entre des secteurs plus ou moins éprouvants. « En ce sens, notre problème, c’est que nous sommes un hôpital uniquement gériatrique, note Évelyne Garo. Nous avons bien sûr différents services (hôpital de jour, court et moyen séjour, soins palliatifs, etc.). Mais si nous étions intégrés dans un établissement avec des services d’aigus, nous pourrions entretenir un turn-over régulier, sans être trop rapide, afin que les personnels puissent se ressourcer lorsqu’ils en ont besoin. »

Intéresser

Il importe également de ne pas “obliger” les professionnels à intégrer un service de gériatrie. « On ne peut pas faire les difficiles avec les infirmières, mais il est très délicat de gérer les personnels qui sont là par obligation, explique Gilda Mitta Saint-Jore. J’ai eu une infirmière dans ce cas et cela s’est terminé avec un rapport disciplinaire pour maltraitance. » Or, avec le principe de la promotion professionnelle, les hôpitaux du secteur public orientent leurs personnels vers les secteurs les plus en difficulté, comme la psychiatrie ou la gériatrie.

C’est aussi l’un des défauts des procédures mises en place pour faciliter le recrutement de jeunes diplômés. Différents établissements de santé publics ont en effet instauré des contrats de pré-recrutement : en échange d’une allocation de formation, les futurs IDE s’engagent à servir dans des services prioritaires, souvent en gériatrie. Or, comme l’explique Isabelle Richard* dans son mémoire soutenu à l’École nationale de santé publique en 2008 et consacré aux stratégies d’attractivité et de fidélisation du personnel en gériatrie aux Hospices civils de Lyon : « Si l’efficacité sur le plan quantitatif du recrutement est indéniable à court terme, ce procédé de recrutement et de fidélisation dite “négative” aura pour conséquence d’attirer en gériatrie les futurs diplômés ayant besoin d’un financement pour leurs études : il ne permet pas le recrutement et la rétention des personnes les plus intéressées par l’exercice dans cette discipline. »

Rendre le secteur attractif

La solution semble donc résider davantage dans le renforcement de l’attractivité du secteur. Dans cette optique, depuis 2005, l’ARH Île-de-France a engagé diverses actions de communication sur les métiers du grand âge. L’agence a édité des fiches pour faire connaître les fonctions d’aide-soignante et d’IDE en gériatrie. Elle est intervenue dans les Ifsi, les Ifas, s’est déplacée sur les salons professionnels, etc. L’idée : souligner la variété des exercices qui se sont créés (équipes mobiles, fonctions de coordination, unités de jour, unités de court, moyens ou longs séjours, psychogériatrie, oncogériatrie, activité en Ehpad, voire en libéral…) et les perspectives d’évolution, notamment pour les IDE.

« Il va y avoir de belles perspectives pour les IDE, argumente Hélène Archambault. À condition que les professionnelles acceptent de s’engager dans un soin qui ne soit pas uniquement technique, mais qui englobe l’éducation thérapeutique, la prévention de la iatrogénie, la nutrition, etc. » L’enrichissement humain, l’accent mis sur le relationnel et les témoignages des soignants en poste complètent l’opération séduction. Comme l’explique Isabelle Richard : « Le travail infirmier en gériatrie possède un certain nombre d’atouts difficilement contestables : des connaissances étendues et une capacité d’adaptation, du fait de la multiplicité des pathologies appréhendées, l’acquisition plus rapide qu’ailleurs d’un sens des responsabilités, le développement de qualités personnelles telles que l’autonomie et la débrouillardise, l’acquisition de compétences relationnelles, notamment du fait de la pratique de la communication non verbale et la gestion de patients potentiellement agités, désorientés, agressifs. »

FORMER LES IFCS ET IFSI

Des atouts qui peuvent intéresser de jeunes recrues, à condition qu’elles soient convenablement accueillies dès leur premier contact avec l’institution gériatrique. C’est pourquoi l’ARS Île-de-France recommande également des actions auprès des instituts de formation initiale. Elle a notamment élaboré – via des groupes de travail – des recommandations pour la préparation, l’accueil et le suivi des stagiaires en gérontologie.

Inciter et former

Ces instructions, et même davantage, ont notamment été mises en application à l’Ifsi d’Avicennes. Ici, le module de gériatrie a même été déplacé de la troisième à la première année, et il est passé de 80 à 110 heures. Une évaluation avant et à l’issue de la nouvelle séquence de formation a permis de constater la multiplication par deux du nombre d’étudiants qui disent accepter d’exercer auprès de personnes âgées dépendantes.

Accompagner

L’accompagnement vaut également pour les personnels titulaires. Différentes actions peuvent être encouragées : la supervision, les groupes de paroles, les échanges de pratiques. « Nous essayons de réunir nos infirmières coordinatrices (Idec) au niveau régional dans des séminaires où elles peuvent échanger sur leurs pratiques, explique Philippe Muller. Nous organisons aussi annuellement une journée nationale des Idec. L’idée étant qu’elles ne se sentent pas isolées dans un établissement. »

Surtout, l’accompagnement des nouveaux arrivants se développe progressivement. En 2007/2008, l’ARH (remplacée depuis par l’ARS) a même proposé de financer une période de tutorat pour faciliter l’intégration dans le secteur de nouvelles infirmières. « Malheureusement, peu d’établissements ont répondu à notre appel à projet », regrette Hélène Archambault. Mise en place dans sept établissements (publics, privés, et privés à but non lucratif), cette opération a néanmoins permis de former onze tuteurs (des soignants en poste dans l’établissement), mais seules quatre équipes ont développé le programme de tutorat jusqu’au bout. Celui-ci permet d’organiser un accueil personnalisé du nouveau professionnel, de prévoir des temps de transmissions des connaissances sur le temps de travail de l’agent ou du salarié tutoré. Le temps consacré par le tuteur était, lui, pris en charge grâce à un financement ARH. Malheureusement, l’interruption du financement a bien souvent signifié… l’interruption du projet.

FORMATION CONTINUE

Enfin, la formation continue est un autre levier qui permet à la fois de valoriser les soignants en poste tout en en améliorant la qualité de soin. Il y a bien sûr les sessions en interne, qui permettent aux soignants de se sentir mieux préparés à certaines situations (par exemple, communication avec la personne démente, gestion de l’agressivité du patient). Les formations diplômantes de type DU gérontologie sont également très demandées dans les services de soin. « Chez nous, les formations les plus demandées ce sont celles qui concernent l’approche et l’accompagnement de la maladie d’Alzheimer », explique Philippe Muller.

CERTIFICATION

En 2009, l’Agence régionale d’hospitalisation d’Île-de-France a mis en place un dispositif de certification des compétences sur la relation de soin en situation de communication altérée. L’idée reprenait une démarche de l’AP-HP, élaborée en 2005 sur la base d’un référentiel d’activités et de compétences rédigé par le Cnam. « Le dispositif s’inspire de la validation des acquis de l’expérience, explique Hélène Archambault. Les professionnels volontaires, dont l’établissement a souhaité s’inscrire dans la démarche de certification, s’engagent dans un travail écrit d’analyse des pratiques et une semaine de mise en situation professionnelle durant laquelle ils sont évalués. Un jury les interroge ensuite sur leur écrit et leur expérience. » La première “promotion” a certifié 43 soignants (22 IDE et 21 AS). « Cela redonne du dynamisme et permet de reconnaître l’expérience acquise », souligne Hélène Archambault. En fonction du projet de leur établissement, certains ont ensuite été promus infirmiers référents ou ont été nommés en équipe mobile. Fin 2010, 93 candidats dans 32 établissements se sont engagés dans la certification. Un autre projet de certification sur la thématique de la nutrition sera proposé à l’automne 2011 à destination des Ehpad.

DE PLUS EN PLUS ATTRACTIFS

Dans l’enquête d’Isabelle Richard, les jeunes diplômés ont également cité d’autres points d’attractivité comme l’augmentation des aides techniques et des équipements matériels qui permettent d’alléger la charge de travail (argument cité par 26 % des futurs diplômés interrogés, après l’augmentation quantitative du personnel), la réorganisation des services en petites unités et l’aménagement des locaux en de véritables lieux de vie. « La réorganisation actuelle à l’AP-HP nous a permis notamment d’organiser une véritable filière gériatrique, dans laquelle les soignants se sentent beaucoup moins isolés, avec une dimension importante de travail en réseau, précise Roselyne Vasseur. Par exemple, le groupe hospitalier Corentin Celton, HEGP, Vaugirard réunit un SAU, du MCO, une équipe mobile, de la gériatrie aiguë, des unités de long séjour et de réadaptation, etc. C’est intéressant et valorisant pour les soignants, et cela peut faciliter leur mobilité au sein d’une même activité. » Autres points d’attractivité : l’amélioration de la rémunération par une prime de pénibilité ou une augmentation des salaires (23,71 % des réponses). Car les avantages “en nature”, tels qu’un accès au logement social ou semi-social, ou des places réservées en crêche comme au Centre hospitalier Victor-Dupouy d’Argenteuil, ne sont pas à dédaigner. « Il ne faut pas oublier qu’un certain nombre de soignants sont eux-mêmes en situation précaire, notamment des aides-soignantes, résume Hélène Archambault. Quant aux infirmières, sur Paris, elles sont également confrontées à un coût de la vie difficile à assumer. Ces avantages ne sont donc pas négligeables. »

* Richard I. « Les stratégies d’attractivité et de fidélisation du personnel en milieu hospitalier : l’exemple de la profession infirmière en gériatrie aux hospices civils de Lyon ». Mémoire de l’École nationale de santé publique, filière EDH. 89 p. 2007. Téléchargeable sur : ressources.ensp.fr/memoires/2007/edh/richard.pdf.