Rayons ionisants : puissants mais à double tranchant ! - Objectif Soins & Management n° 197 du 01/06/2011 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 197 du 01/06/2011

 

Qualité, hygiène et gestion des risques

Anne-Lise Favier  

TECHNIQUE → Depuis la découverte des rayons X par Röntgen, la médecine utilise les rayons ionisants à des fins diagnostiques et thérapeutiques. Si leur utilité ne peut être remise en cause sur le plan médical, reste qu’ils constituent la première source d’origine artificielle d’exposition à la radioactivité.

Radiothérapie, curiethérapie, médecine nucléaire, radiographie, radiologie interventionnelle… L’éventail d’utilisation des rayons ionisants est très large en médecine. Mais, plus d’un siècle après leur découverte, on continue d’en percevoir les dangers : que ce soit pour le patient ou pour le soignant, leur utilisation n’est en effet pas exempte de contraintes et de dangers dont il faut pouvoir s’affranchir au maximum. Un rapport conjoint de l’Institut national de veille sanitaire (InVS) et de l’Institut de radioprotection et de sûreté nuclaire (IRSN), paru il y a un an, montrait que près de 75 millions d’actes de diagnostic utilisant les rayons ionisants avaient été réalisés en 2007 : des chiffres qui confirment que l’exposition à ces rayons est en constante augmentation. Parmi ces actes diagnostiques, 63 % de radiologie conventionnelle (à peine 25 % en radiologie dentaire) et 10 % de scanners. La médecine nucléaire (dont fait partie la scintigraphie), elle, ne concentre que 1,6 % de l’exposition diagnostique. Conséquence directe de ces chiffres, la dose efficace reçue en moyenne par les patients s’élève à 1,3 mSv (unité de mesure de la radioactivité, le millisievert) par an et par individu : une augmentation de 57 % par rapport au précédent rapport de 2002. Une situation qui, couplée à la radiologie interventionnelle, a récemment alerté André-Claude Lacoste, président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), lors de la présentation de son rapport d’activité pour 2010 : « C’est un sujet de préoccupation pour l’ASN. Des doses élevées peuvent en effet être délivrées aux patients et la radiopro­tection du personnel n’est pas toujours correctement assurée, notamment lorsque les actes sont réalisés au bloc opératoire. »

RADIOPROTECTION DES TRAVAILLEURS ET DES PATIENTS

D’autant que l’ASN recensait 419événements significatifs en radioprotection sur les patients, contre 318 en 2009 et moitié moins en 2008. Le personnel médical n’est pas épargné par ces événements indésirables liés à l’utilisation des rayons : en 2010, 31 le concernaient. « Ces chiffres sont en progression et reflètent des pratiques particulièrement exposantes (ndlr : par exemple avec des actes de radiologie interventionnelle de longue durée ou des préparation de traceurs radiopharmaceutiques) et des professionnels régulièrement exposés du fait de leur expertise ou de leur compétence », résume le rapport de l’ASN.

Trois principes

La réglementation est pourtant claire et drastique en ce qui concerne la radioprotection : on ne badine pas avec les rayons. Trois principes la régissent :

→ la justification, c’est-à-dire que les rayonnements ionisants ne doivent pas être utilisés s’il existe d’autres alternatives – un principe pas toujours facile à appliquer en raison du manque de matériel d’imagerie (IRM par exemple) ;

→ l’optimisation avec une exposition minimale pour chaque utilisation (Alara, As Low As Reasonably Achievable) ;

→ la limitation d’exposition notamment au niveau annuel (un principe de limitation qui ne s’applique pas au patient, du fait du bénéfice qu’il en retire pour sa santé, puisqu’une certaine dose est requise, précise l’ASN).

Directive Euratom

Au niveau européen, c’est la directive Euratom 96/29 du 13 mai 1996 qui régit la protection des travailleurs. Ce texte a été transcrit en droit français à travers les décrets 2003-296 du 31 mars 2003 et 2007-1570 du 5 novembre 2007. Le premier fixe la somme des doses efficaces reçues par exposition externe et interne sur douze mois consécutifs ainsi que les missions de la personne radio-compétente. Le second texte les inscrit dans le Code du travail, avec toute la surveillance ad hoc, notamment en ce qui concerne le suivi médical spécifique. Enfin, chaque travailleur potentiellement exposé aux rayons est soumis au respect de l’arrêté du 15 mai 2006 qui définit les zones de travail réglementées.

Les travailleurs hospitaliers

En France, il existe 253 000 travailleurs exposés aux rayons ionisants, dont 111 000 dans le secteur médical, secteur le plus dense devant le nucléaire. Il faut néanmoins savoir que les travailleurs hospitaliers maniant les rayons ionisants sont moins exposés que les salariés de l’industrie avec un équivalent de 7,6 homme.sievert* à l’hôpital contre 37 dans l’industrie nucléaire ou 21 dans l’industrie classique. Ils sont également étroitement surveillés avec une mesure de l’exposition externe (par les dosimètres poitrine, les bagues TLD, les dosimètres opérationnels et les dosimètres d’ambiance) et de l’exposition interne (par mesure radiotoxicologique des urines ou anthroporadiamétrie).

LA PRUDENCE EST DE MISE

Du côté des patients, l’exposition médicale est la principale source d’irradiation artificielle des populations (légèrement devant l’exposition naturelle au radon), c’est pourquoi elle est strictement encadrée. C’est la directive Euratom 97/43 qui consigne les directives relatives à la protection des usagers et elle a été transcrite en droit français à travers le décret 2003-270 du 24 mars 2003. Si le principe de limitation ne s’applique pas au niveau des patients, les radiologues, médecins ou personnels paramédicaux pratiquant des examens irradiants doivent néanmoins se familiariser avec la notion de niveau de référence pour évaluer leur pratique en matière de radioprotection des patients.

Attachés aux examens les plus courants, les niveaux de référence diagnostiques (NRD) sont des indicateurs pour optimiser les doses délivrées et réduire ainsi l’écart des valeurs maximales par rapport à la moyenne. Et même si ces systèmes sont largement assistés par l’outil informatique, certains récents incidents survenus lors de radiothérapies incitent à la plus grande prudence sur le tout automatisé.

VERS DES SYSTÈMES ALLÉGÉS EN DOSE

Enfin, l’utilisation des rayons ionisants pose une question supplémentaire de taille. Quid des déchets ? Fort heureusement, nombreux sont les isotopes utilisés à avoir une demi-vie courte. Pour les effluents liquides, il existe des cuves de décroissance spécialement utilisées pour les entreposer, et, pour les déchets solides, des zones spécifiques sont entièrement dédiées à leur stockage. Après la phase de décroissance, les déchets sont contrôlés avant de sortir de la zone d’entreposage pour finir incinérés si le risque radioactif est écarté.

QUEL AVENIR ?

Si le parc d’appareils d’IRM tarde à décoller (à peine 500 appareils en France, trop peu pour la Société française de radiologie), le salut pourrait venir du développement de systèmes utilisant les rayons à très faible dose d’irradiation. De tels dispositifs existent déjà. Né du génie du prix Nobel Georges Charpak, le système EOS, qui consiste en une radiographie en trois dimensions à base dose, permet en deux prises d’éviter plus de 300 clichés requis avec un scanner classique. Utilisé notamment en pédiatrie, ce système est largement reconnu en imagerie orthopédique : en France, ce sont environ une dizaine d’établissements qui bénéficient des avantages apportés par le système EOS.

NOTE

* L’homme.sievert est l’unité de dose collective d’un groupe d’individus. La dose individuelle moyenne, 0,1 mSv, est faible, mais l’étendue des doses est grande.

Des rayons de différentes natures

En médecine, la source la plus répandue de rayons ionisants est constituée par les rayonsX utilisés en radiodiagnostic. Les scanners utilisent des rayonsX de même énergie que le diagnostic classique, mais sous une forme différente (coupes de 1 à 32 millimètres d’épaisseur). En médecine nucléaire, les sources radioactives non scellées utilisées sont pour l’essentiel le technétium 99 m, le thallium 201, l’iode 131 (traitement ou diagnostic), l’iode 123 et le fluor 18. Les faisceaux de rayonnements ionisants utilisés en radiothérapie sont produits par des accélérateurs d’électrons de 5 à 20 MeV (le méga-électron-volt est l’unité de mesure de l’énergie des rayonnements) ou des sources de cobalt60 (cobalthérapie). En curiethérapie, on utilise notamment le césium 137 sous forme de grains et l’iridium 192 sous forme de fil.

Source : IRSN.