Comprendre le concept de “bientraitance” - Objectif Soins & Management n° 197 du 01/06/2011 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 197 du 01/06/2011

 

Actualités

Sarah Elkaïm  

RÉFLEXION → Lors du dernier Congrès national infirmier(1), Jérôme Pellissier, écrivain(2) et chercheur en psychogérontologie, et Alice Casagrande, déléguée nationale “qualité, gestion des risques et promotion de la bientraitance” à la Croix-rouge, appellent à la prudence dans le maniement de la notion de “bientraitance”, pour se prémunir d’un “effet de mode”.

« Va-t-on en arriver bientôt à un label bientraitance ? », s’interroge Jérôme Pellissier. Une formulation peut-être extrême, mais qui permet de réfléchir à la façon dont on évalue cette bientraitance : « Est-ce que, d’ailleurs, cela peut s’évaluer ? Est-ce qu’on peut la traduire en statistiques ? »

Un concept délicat à définir

Il convient d’abord de questionner la clarté du concept, qui n’est pas, selon le chercheur, « le contraire de la maltraitance, elle-même difficile à définir ». En caricaturant, il énumère ce qui peut être considéré comme des preuves de bientraitance dans une institution pour personnes âgées : « Ici, les résidents ont la clé de leur chambre ; ici, on frappe avant d’entrer ; ici, ils peuvent choisir s’ils veulent être soignés par un homme ou une femme… Est-ce qu’être bientraitant veut dire respecter la loi ? » Néanmoins, en suivant la logique de sa réflexion, Jérôme Pellissier juge positif le flou qui entoure cette notion : « On ne peut pas avoir de recette pour tout. En la matière, les fameux 14 besoins fondamentaux de la pyramide de Virginia Henderson, une référence en soins infirmiers, n’est pas applicable. Quand on parle de prendre soin, je ne suis pas sûr qu’une grille apporte plus que la rêverie ou le relationnel. » Et de citer, comme fondamentaux d’une politique du « soin bientraitant », les nécessaires qualités d’empathie, d’écoute, de disponibilité.

“Habiter l’instant”

Poursuivant la même réflexion, Alice Casagrande souligne l’importance, pour le personnel soignant, de réévaluer sa propre position vis-à-vis des attentes liées à ce concept. Pour elle, dans la construction même du mot “bien-traitance”, « on garde en mémoire la conscience de l’ombre – la maltraitance – donc le souvenir du risque ». Par conséquent, un triple “travail de deuil” est à mener : le deuil du résultat, ramené au principe plus simple, « que puis-je faire pour l’autre ? ». Dès lors, il faut cesser de « rêver un futur radieux pour des personnes à la fin de leur vie, mais habiter l’instant ». Faire le deuil, ensuite, de notre capacité d’action, pour mieux prendre conscience, dans les pratiques soignantes, de l’importance de l’écrit, c’est-à-dire de la capacité à travailler en équipe : « Une personne qui a de la fièvre souhaite autant que le soignant lui donne un Doliprane, que celui qui prend le relais le lendemain sache qu’elle a eu de la fièvre. » Faire le deuil, enfin, de cet idéal formulé par Victor Hugo : « Le jeune homme est beau, le vieillard est grand. » Autant de préalables qui vont guider les pratiques soignantes, accompagner le travail d’évaluation vers une humilité pragmatique.

À l’issue de ces riches réflexions, Alice Casagrande a conclu son intervention sur une citation du philosophe allemand Emmanuel Kant, qui pourrait devenir l’axiome de la réflexion sur la bientraitance : « Que puis-je connaître ? Que dois-je faire ? Que m’est-il permis d’espérer ? »

(1) Tous les propos rapportés dans l’article ont été tenus lors d’une table ronde dans le cadre du Congrès national infirmier des soins à la personne âgée qui s’est tenu du 20 au 22 mars au Palais des congrès de Paris.

(2) Auteur, notamment de La guerre des âges, Armand Colin, 2007, 237 pages et de La nuit, tous les vieux sont gris : La société contre la vieillesse, Bibliophane, 2003.