Pourquoi former aux diagnostics infirmiers ? - Objectif Soins & Management n° 196 du 01/05/2011 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 196 du 01/05/2011

 

Recherche et formation

Brigitte Taldir  

PÉDAGOGIE → Le “rôle propre” démarque l’infirmier d’une démarche uniquement curative et donne du sens à une approche humaniste du soin. Les formateurs en Ifsi contribuent à développer chez l’étudiant une compétence diagnostique infirmière. Pour être garant de la professionnalisation des futurs infirmiers, il est intéressant de s’interroger sur la logique entre l’apprentissage des diagnostics infirmiers en formation et sur le terrain.

Selon Marchal A. et Psuik T., « diagnostiquer, c’est donner un sens aux difficultés rencontrées par une personne lors d’une situation problématique de santé ou d’événement de vie ». Parler des diagnostics infirmiers dès la première année de formation est une réponse au cadre réglementaire depuis le référentiel de formation infirmière de 1992. Aujourd’hui, le nouveau référentiel de formation renforce le rôle des professionnels infirmiers de terrain auprès des étudiants. Pour les maîtres de stage, tuteurs, référents infirmiers, accompagner l’étudiant en formation se fait en partenariat avec les formateurs d’Ifsi. Si les professionnels de terrain ont régulièrement négligé les diagnostics infirmiers, ils s’engagent dans la mise en place des transmissions ciblées informatisées. Se pose alors la question du lien entre la théorie et la pratique infirmière.

LE LIEN ENTRE L’IFSI ET LE TERRAIN

Selon l’Afedi(1), le diagnostic infirmier est « un jugement clinique sur les réactions aux problèmes de santé présents ou potentiels ou dans les processus de vie d’un individu, d’une famille ou d’une collectivité ». Lors de l’apprentissage en Ifsi, il s’agit pour le formateur de ne pas rester théorique mais de faire des liens entre l’enseignement et le vécu de l’étudiant en stage, dans des unités de soins ou des lieux de vie où coexistent des approches du soin curatif, préventif, éducatif, palliatif. Sans oublier les stages que l’étudiant réalise en santé communautaire.

Pour aborder les diagnostics infirmiers, il apparaît indispensable que l’étudiant, novice et professionnel en devenir, ait développé une réflexion sur les concepts de l’Homme, de ses besoins de santé. Cette réflexion, dès le début de formation, parfois avant toute expérience professionnelle en soin, permet à l’étudiant d’envisager sa fonction soignante comme acteur du soin auprès d’une personne singulière dans une situation qui lui est propre, pour reprendre la théorie de Walter Hesbeen. Pour contextualiser le soin, l’étudiant travaille le recueil de données. Le questionnement, que le formateur demande alors, l’initie au jugement clinique. Il voit son rôle infirmier se complexifier. Réfléchir sur son rôle infirmier en lien avec la prescription est plus aisé pour l’étudiant. L’enseignement en est plus cartésien et fait appel aux sciences dites dures. Aborder le rôle propre et les diagnostics infirmiers fait prendre conscience à l’étudiant de la complexité de l’analyse du problème. La “bonne” réponse seule et unique, transposable au problème, n’existe pas ou… très rarement ! Selon la NANDA(2), « le diagnostic infirmier sert de base pour choisir les interventions de soins visant l’atteinte des résultats dont l’infirmier est responsable ». Sa responsabilité professionnelle en termes de propositions d’actions est engagée en référence au Code de la santé publique qui précise également que l’infirmier « identifie les besoins de la personne, pose un diagnostic infirmier, formule des objectifs de soins, met en œuvre les actions appropriées et les évalue »(3).

Le rôle du formateur est de conduire le futur professionnel à ne pas se positionner dans le soin comme exécutant mais comme un professionnel soignant capable de se poser les bonnes questions pour proposer des actions efficientes en lien avec les bonnes pratiques. Et ce n’est que si l’équipe pédagogique met en place un partenariat avec les professionnels de terrain que l’étudiant pourra se professionnaliser. La relation triangulaire “formateur – professionnel de terrain – étudiant infirmier” prend sens. L’expérience acquise une année après la mise en place du nouveau référentiel de formation infirmière encourage à travailler ensemble au développement de démarches de soins et d’analyses de pratique. C’est un maillon essentiel pour déclencher chez l’étudiant la motivation à s’inscrire dans un processus de recherche pour comprendre, agir et transposer, afin de devenir un infirmier compétent.

LE RÔLE PROPRE ET L’HISTORIQUE DE LA PROFESSION

Pour développer les compétences de l’étudiant infirmier, l’étudiant doit être capable de formaliser son rôle propre dans un objectif de qualité des soins dispensés en équipe interdisciplinaire. Pour cela, il est intéressant de se pencher rapidement sur les circonstances d’apparition du “rôle propre infirmier” en France.

L’exercice infirmier est règlementé dans notre pays depuis moins d’un siècle. En 1922, Léonie Chaptal a formalisé véritablement la profession infirmière. Pour tordre le cou à l’image de l’infirmière “femme soumise et dévouée”, issue de l’histoire religieuse de la profession, il faut attendre les années soixante et les mouvements sociaux qui ont changé la place de la femme dans la société. Ce n’est qu’en 1972 qu’un référentiel de formation donne à l’infirmière une autonomie et une indépendance. Les soins infirmiers sont enfin centrés sur l’homme malade et ses problèmes de santé. Le rôle propre infirmier est inscrit dans la loi de juillet 1978. Il aura fallu plusieurs années pour que l’infirmier se démarque de la conception médicale du soin : soigner un organe. C’est ainsi qu’une autre dynamique du soin s’impose progressivement à la profession infirmière : l’infirmier ne se veut plus seulement “exécutant” du corps médical, il développe également une prise en soin globale de la personne. La réforme hospitalière de 1991 contribue à la reconnaissance des soins infirmiers et valorise la profession. Dans les pays nord-américains, le diagnostic infirmier est devenu officiel en 1960. La NANDA influe sur la profession infirmière européenne qui se positionne. Trente ans plus tard, les pays européens créent leur propre association, l’Afedi, où la France est représentée. Nous sommes en 1992, le décret du 23 mars officialise les diagnostics infirmiers.

DIAGNOSTICS INFIRMIERS ET TRANSMISSIONS CIBLÉES

Pour initier l’étudiant infirmier aux diagnostics infirmiers, le formateur s’appuie sur la mise en valeur du rôle propre infirmier. Le rôle du futur professionnel dans la prise de décision est questionné et développé. Bien que les diagnostics infirmiers soient enseignés dans les Ifsi depuis le référentiel de formation de 1992, leur formalisation sur le terrain reste difficile par certains professionnels. En retour de stage, les étudiants témoignent qu’il demeure une certaine réticence sur le terrain. Mais la mise en place des transmissions ciblées permet aujourd’hui de rétablir le lien : ces transmissions se veulent concises, utiles et efficaces. Les cibles posées ne reprennent pas de diagnostics médicaux. À l’heure de l’informatisation, le défi des unités de soins est de proposer des cibles correspondant à un langage commun. Les diagnostics infirmiers et les domaines de santé, selon la taxinomie NANDA, sont une ressource exploitée pour poser des cibles informatisées. Elle permet une lisibilité commune. Les transmissions ciblées demandent aux infirmiers de poser un jugement clinique avec des actions proposées de façon autonome et non uniquement sur prescription.

MOTIVER L’ÉTUDIANT

La profession infirmière évolue tout comme le contexte de prise en soin des personnes : tarification à l’activité, certification, évaluation des pratiques professionnelles, démographie infirmière préoccupante… La mission des formateurs en Ifsi est d’accompagner l’étudiant dans un processus de professionnalisation. Il est donc important de l’aider à construire son identité professionnelle en partenariat avec les professionnels de terrain tout en développant les compétences que l’usager et les instances lui demanderont. Donner du sens à son rôle propre s’intègre pleinement dans une démarche du “prendre soin” et de continuité des soins, notamment par la gestion des transmissions ciblées. Le nouveau référentiel de formation valorise l’autonomie de l’étudiant. Mais l’une des missions du formateur est bien de diversifier sa pédagogie pour motiver l’étudiant, tout au long de sa formation, afin qu’il se questionne et cherche des réponses. En Ifsi, on s’interroge quotidiennement : en quoi le formateur influe-t-il sur la motivation de l’étudiant infirmier en formation ? Travailler avec les professionnels de terrain à la professionnalisation de leurs futurs pairs doit permettre de préparer l’intégration des nouveaux professionnels compétents et responsables dès la fin de leur formation. D’où l’importance d’échanger, de se comprendre et d’utiliser un langage commun.

(1) Association Française des Diagnostics Infirmiers, définition de 1991.

(2) NANDA : North American Nursing Diagnosis. En français : Association nord-américaine du diagnostic infirmier (Anadi).

(3) Code Santé Publique Art. R4311-3 relatif aux actes professionnels décret n° 2004-802 du 29 juillet 2004.

BIBIOGRAPHIE

Marchal A. et Psuik T., Le diagnostic infirmier, du raisonnement à la pratique, 1995, Éditions Lamarre. → Hesbeen Walter, Prendre soin à l’hôpital, inscrire le soin dans une perspective soignante, Éditions Masson, 1997. → Romeder Florence, Autour de la formation aux diagnostics infirmiers, quelle dynamique d’accompagnement ? Recherche en soins infirmiers, n° 99, Décembre 2009, pp 97-115. → Diagnostics infirmiers définitions et classification 2009-2011, NANDA international, Éditions Masson, 2010.