L’accès aux médicaments dans les pays moins favorisés - Objectif Soins & Management n° 196 du 01/05/2011 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 196 du 01/05/2011

 

Point sur

Olivier Hurstel  

L’opinion publique des pays développés est régulièrement interpellée par la situation dramatique des pays les moins favorisés confrontés à des pandémies d’une ampleur sans égale. La mise à disposition de ces pays des médicaments les plus récents et les plus efficaces domine un débat qui met en cause les laboratoires pharmaceutiques suspectés de jouir d’un monopole excluant de fait l’accès à ces médicaments à des coûts acceptables. La production de copies, souvent évoquée, est-elle une solution viable ?

Le débat sur la mise à disposition des médicaments dans les pays les moins favorisés (nouvelle désignation des pays en voie de développement par l’ONU) a récemment rebondi suite à l’annonce de la négociation d’un accord de libre échange entre l’Inde et l’Union européenne. En effet, dans cet accord figureraient des dispositions concernant la protection de la propriété intellectuelle incluant de fait les brevets sur les médicaments. Or l’Inde fait partie des pays qui ont fait le choix de ne pas reconnaître la législation sur les brevets permettant à son industrie pharmaceutique de prendre son essor et de se placer comme un opérateur majeur dans le domaine. Les associations de patients ont vivement réagi car, parmi les médicaments produits en Inde, figurent des copies de médicaments anti-rétroviraux essentiels à la lutte et au traitement des patients atteints par le VIH. Certes, ces copies étaient parfois commercialisées à des prix inférieurs au prix des médicaments princeps (cf. encadré page suivante) dans leur pays de production mais cet aspect tarifaire n’est pas aussi simple que semblent le dire les associations.

La question plus vaste qu’il convient d’aborder est la lutte contre les pandémies qui ravagent les pays les moins développés et en particulier le VIH/sida, la malaria et la tuberculose, pour ne citer que les principales. Des millions de personnes ont perdu la vie et meurent encore du fait de ces maladies pour lesquelles l’Afrique sub-saharienne paye un tribut particulièrement lourd. La mise à disposition de médicaments récents et efficaces est un élément à prendre en compte. Pour des populations dont le revenu moyen journalier est souvent inférieur à 1dollar, le prix de ces médicaments est une condition majeure d’accès aux soins.

Mais, dans la lutte engagée contre ces pandémies, il s’inscrit dans un ensemble de positions et de mesures qui doivent être abordées simultanément si l’on souhaite aboutir à des résultats tangibles dans ce domaine.

LA VOLONTÉ POLITIQUE

Et en premier lieu la volonté politique des pays concernés. Les choix budgétaires, en particulier la place consacrée à la santé, sont déterminants. La volonté de voir la réalité de l’infection à VIH, de ne pas la nier, de mesurer son ampleur est un point de départ incontournable dans l’avancée vers des solutions concrètes. De nombreuses enquêtes ont ainsi montré que si, dans les grandes capitales africaines, on a pu parvenir à concevoir des structures efficaces, dès que l’on quitte ces centres urbains, la situation se dégrade du fait de l’absence de personnel médical et soignant, de logistique, de centres d’accueil et de soins. De nombreuses associations ont partiellement pallié ce manque dramatique de structures et de personnel. Mais elles ne peuvent à elles seules combler un tel vide. L’existence d’une volonté politique aboutissant à un programme national de lutte contre une pandémie peut conduire à des résultats mesurables : c’est un des plus petits et des plus pauvres pays du continent africain, l’Ouganda, qui en a fait la meilleure preuve en réussissant à stabiliser puis à faire reculer le taux de prévalence de l’infection à VIH dans son pays. A contrario, un pays qui est supposé disposer de moyens financiers plus conséquents, l’Afrique du Sud, a vu sa lutte contre l’infection à VIH retardée par des déclarations et prises de positions de responsables politiques allant même jusqu’à accuser les médicaments d’être responsables de la propagation de l’infection elle-même.

L’ENGAGEMENT INTERNATIONAL

L’engagement dans la lutte contre les pandémies ne peut se concevoir sans une implication réelle et efficace de la communauté internationale. La décimation des personnes dans les pays de l’Afrique sub-saharienne est une catastrophe mondiale qui ne peut ni ne doit laisser indifférent. Avec la création du fond Onusida a été mis en place le premier dispositif volontariste. Mais, s’agissant d’un fond essentiellement financier, sont rapidement apparus deux obstacles propres à ce genre de fond : la récolte des financements auprès des États donateurs et la redistribution aux pays concernés. Des progrès sensibles sont à noter mais l’efficacité de cet apport financier reste encore limitée.

D’autres initiatives, comme celle avancée par le Président Chirac avec la taxe sur le voyage aérien, sont à saluer. Mais, une fois encore, si l’apport financier est essentiel, il n’arrivera pas à combattre ces pandémies sans un effort particulier sur l’éducation des populations, la formation de personnels médicaux, la création et l’entretien de structures d’accueil pour les malades mais aussi pour les victimes collatérales que sont les orphelins atteints ou non par l’infection.

Dans ce domaine, ce sont d’ailleurs surtout les associations, souvent d’origine religieuse (ce qui n’est pas sans poser d’autres problèmes comme le prosélytisme de certaines congrégations évangéliques), qui font vivre des structures d’accueil et proposent des programmes d’éducation et de formation de bénévoles locaux, ayant connaissance des particularités sociales, des croyances propres aux diverses ethnies et maîtrisant les langues vernaculaires. Car ces particularismes sont très souvent un des premiers obstacles à surmonter et l’un des plus difficiles, surtout si l’on essaie de plaquer des solutions propres aux pays occidentaux, ignorant la prégnance des structures sociales locales (en particulier la place des femmes répudiées, pour ne citer qu’un exemple).

Enfin, parlons également des conflits armés dont la solution dépend pour une bonne part de la volonté de la communauté internationale d’y mettre fin. Ces conflits, en particulier dans la région de grands lacs en Afrique de l’Ouest, s’accompagne d’un cortège de viols faisant progresser l’infection à VIH de façon dramatique.

LA LUTTE INTÉGRÉE ET ADAPTÉE AUX EXIGENCES LOCALES

Cette lutte s’inscrit dans une séquence dont nous avons déjà évoqué les éléments indissociables :

→ l’éducation : la connaissance de l’infection, de ses moyens de transmission, des moyens de prévention ;

→ la formation de personnels médicaux et soignants ;

→ la création de structures d’accueil et de soins adaptés ;

→ la mise en œuvre de traitements adaptés.

En ce qui concerne l’infection à VIH, la plus souvent citée dans ce cadre, on sait aujourd’hui que le diagnostic peut revêtir des aspects complexes. L’absence de laboratoires aptes à développer les méthodes sophistiquées de diagnostic est un obstacle qu’il convient de surmonter par la conception et la mise en œuvre de méthodes simples et efficaces adaptées aux conditions locales.

Le traitement par les nouveaux anti-rétroviraux inclus dans des trithérapies reste également délicat. Là encore ont été développés des traitements plus adaptés. Un autre point sensible est l’observance au long cours des traitements. Nous avons cité le travail remarquable de certaines associations par le truchement de bénévoles locaux. Reste la question de l’accès aux médicaments des populations dont le revenu est hors de proportion avec le coût de ces médicaments. Des programmes internationaux se sont impliqués dans le financement de la lutte contre l’infection à VIH, notamment dans l’achat de médicaments. Citons aussi l’action de grandes fondations humanitaires dont celle de Bill Gates et de son épouse, ainsi que celles des nombreuses associations de médecins, de pharmaciens ou de bénévoles de santé.

Mais toujours revient l’antienne de la responsabilité des laboratoires dans le coût de ces médicaments essentiels, obstacle à leur utilisation vitale.

DE LA RESPONSABILITÉ DES LABORATOIRES

Avant toute chose, il faut reconnaître et saluer la recherche très active des laboratoires impliqués dans la conception de médicaments innovants. Cette recherche a radicalement modifié le pronostic de l’infection, en particulier depuis la mise au point de traitements combinés incluant deux, trois ou quatre antirétroviraux. La diversité des cibles de ces médicaments est à l’origine de leur efficacité combinée. Cette recherche a un coût qui se traduit par des prix exorbitants pour des populations démunies.

Conscients de leur responsabilité, les laboratoires innovants ont pour la plupart défini des politiques spécifiques à destination des pays les moins favorisés :

→ non-dépôt de brevet dans ces pays ;

→ renoncement aux royalties dans ces pays même quand une législation des brevets existe ;

→ politiques tarifaires définissant un prix coûtant sans marge ;

→ accord de licences de fabrication dans les pays disposant d’industries pharmaceutiques aptes à produire dans le respect des bonnes pratiques (Inde, Brésil, Afrique du Sud…).

Les laboratoires innovants se sont trouvés en conflit avec les entreprises pharmaceutiques de certains pays ne reconnaissant pas le droit des brevets et produisant des copies des médicaments princeps. Le litige portait sur la vente à des pays tiers de ces copies. Le conflit s’est apaisé du fait que ces laboratoires producteurs de copies ne sont pas des philanthropes et que leur politique tarifaire ne conduit pas toujours à des prix inférieurs à ceux proposés par les laboratoires princeps, dans le cadre de leurs politiques évoquées plus haut. Mais les associations restent souvent convaincues que les laboratoires innovants devraient définitivement renoncer à tout droit sur des médicaments essentiels. Difficilement admissible pour les laboratoires innovants, ce qui mettrait en cause l’existence même de leur entreprise et, au pire, pourrait les faire renoncer à toute recherche dans les domaines concernés.

D’autant plus que les laboratoires ont eux-mêmes initié des programmes de lutte intégrée, incluant des efforts d’éducation, de formation, la création de centres dédiés, en complément d’une dispensation de médicaments.

CONCLUSION

Les pertes humaines dues aux pandémies qui frappent cruellement les pays les moins favorisés nous interpellent. On ne saurait limiter la charge de la responsabilité aux seuls laboratoires innovants du fait du coût des médicaments efficaces qu’ils ont su développer. L’implication de la communauté internationale via des fonds destinés à financer la lutte contre ces pandémies ne saurait exclure la responsabilité des gouvernements locaux. Ils doivent faire preuve d’une authentique volonté politique de s’attaquer à ces pandémies par la formation de cadres médicaux et infirmiers, la construction de structures dédiées, afin d’assurer le diagnostic et le suivi thérapeutique avec de bonnes chances de succès. Dans ce paysage, les laboratoires se doivent toutefois de poursuivre leurs efforts de politiques tarifaires idoines et de programmes de soutien permettant un accès aux traitements les plus récents et les plus efficaces pour tendre vers une régression notable de ces pandémies dramatiques.

DÉFINITION

MÉDICAMENTS PRINCEPS, GÉNÉRIQUES ET COPIES

Un laboratoire pharmaceutique qui conçoit, développe, produit et commercialise un médicament, dispose d’un droit exclusif d’exploitation couvert par un brevet déposé précocement et portant principalement sur la molécule active. Ce brevet court pour vingt à vingt-cinq ans selon les diverses législations en vigueur. Au terme de cette période, le principe actif tombe dans le domaine public et tout autre laboratoire pharmaceutique est autorisé à produire un médicament utilisant ce principe actif. On parle alors de médicament générique par opposition au médicament original qualifié de “princeps”. Certains pays ont fait le choix de ne pas reconnaître la législation des brevets, permettant à leur industrie pharmaceutique de produire des copies considérées de fait comme illégales par les laboratoires titulaires de brevets. De cette situation sont nés des conflits portés régulièrement devant la justice.

LABORATOIRES

LE COÛT DU MÉDICAMENT

La conception d’un nouveau médicament est un processus très long qui s’échelonne sur douze à quinze ans, de l’identification d’un principe actif à sa mise en œuvre dans un médicament administrable aux patients pouvant en bénéficier. Elle suppose un investissement considérable estimé entre 800 millions et un milliard de dollars. L’espérance d’un retour sur investissement du laboratoire tient donc essentiellement à cette période d’exclusivité qui lui est concédée du fait du brevet déposé précocement.

Compte tenu de la durée de la phase de recherche et développement, la vie “commerciale” du médicament se trouve réduite à dix-douze ans. Le prix final dépendra donc des investissements dans la recherche et le développement, des coûts industriels qui parfois impliquent la conception d’unités de production spécifiques (médicaments biotechniques), des coûts de mise à disposition (logistique, distribution), et de la définition d’un niveau de réinvestissement assurant la poursuite de la recherche et du développement de nouveaux médicaments.

Cette part consacrée à la recherche et développement représente de 15 à 20 % du chiffre d’affaires pour les laboratoires engagés dans la recherche de molécules innovantes. S’agissant de firmes privées, elles consacrent évidemment une part de leur résultat à la rémunération des actionnaires. Et c’est souvent sur ce point que portent les accusations de certaines associations de patients dénonçant des profits indus sur un bien considéré comme “public” : le médicament.