Étiquetage et sécurisation du circuit - Objectif Soins & Management n° 196 du 01/05/2011 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 196 du 01/05/2011

 

Qualité, hygiène et gestion des risques

Anne-Lise Favier  

MÉDICAMENTS INJECTABLES → Si les accidents liés aux médicaments injectables représentent un risque, celui-ci n’est pas inéluctable et il existe différents moyens de l’encadrer. Notamment par un étiquetage adéquat des solutions injectables et un circuit du médicament sécurisé.

Octobre 2004, un enfant de 12 ans succombe à une surdose de morphine administrée pour calmer les douleurs post-opératoires d’une banale appendicite. En cause, une injection de morphine dix fois trop dosée pour un enfant de cet âge, qui le plonge dans un coma dont il ne se réveillera jamais. L’enquête révèle que plusieurs types de dosage de morphine sous forme injectable co-existent – 1 mg et 10 mg notamment – et que c’est en partie la raison de cette erreur médicamenteuse. Décembre 2006, dans l’Essonne, un enfant de 5 ans et demi décède des suites d’une injection de potassium alors que la prescription faisait état de bicarbonate de sodium. L’infirmière aurait confondu les ampoules des deux solutions injectables.

Les accidents de ce type sont identifiés comme des Événements indésirables graves (EIG) et consignés dans un répertoire des erreurs médicamenteuses qui remontent jusqu’à l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps). Une Enquête nationale sur les événements indésirables graves associés aux soins (Eneis) dont les résultats ont été publiés l’année dernière recense l’ensemble de ces EIG : sur 31 663 jours d’hospitalisation observés lors de l’étude, on compte 214 EIG, dont 80 en médecine et 134 en chirurgie. En appliquant les données du Programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI) à ces statistiques, on estime le nombre d’EIG survenus en cours d’hospitalisation dans une fourchette de 275 000 à 395 000 par an, dont 95 000 à 180 000 évitables. Dans l’enquête, 24 EIG évitables sont imputés à un médicament, sans précision sur la forme galénique du médicament.

HARMONISER L’ÉTIQUETAGE

C’est pour faire face à ces erreurs que l’Afssaps a mené, dès la fin de l’année 2004, une réflexion pour minimiser les sources d’erreurs médicamenteuses du fait d’un étiquetage compliqué ou d’une défaillance humaine. Réflexion qui a abouti en mars 2007 à un plan d’harmonisation des étiquetages pour les produits injectables, en fonction de leur concentration et de leur volume. Ce plan concernait les médicaments « de marge thérapeutique étroite », c’est-à-dire liés à des doses très précises, ainsi que les substances utilisées en anesthésie-réanimation.

Depuis ce dispositif, en vigueur depuis deux ans et demi, les mentions sont désormais inscrites en noir sur fond blanc, sauf pour l’adrénaline et le chlorure de potassium qui apparaissent en rouge, selon une disposition type. Et pour bien différencier les trois substances les plus à risque, adrénaline, atropine et éphédrine, les caractères d’accroche ont été inscrits en lettres capitales. Autre modification importante, l’expression en pourcentage : source de confusion, elle a été remplacée par le dosage exprimé en mg/mL. Des mesures qui, à l’époque, étaient censées éviter les accidents liés à la confusion entre deux conditionnements ou deux substances et minimiser les risques liés à une mauvaise interprétation des dosages, d’autant que ces solutions injectables sont souvent utilisées dans l’urgence. Mais attention : « L’harmonisation des étiquetages ne devra en aucun cas dispenser le professionnel de santé qui administre le médicament d’une lecture attentive de l’ensemble des mentions de l’étiquetage de l’ampoule afin d’éviter tout automatisme lors de l’utilisation de ces médicaments », prévenait à l’époque Anne Castot, responsable du département de la surveillance des risques et du bon usage des médicaments à l’Afssaps. Une mise en garde utile : l’Afssaps indiquait en décembre 2010 une douzaine de signalements d’erreurs ou de risques d’erreurs dus à une confusion entre des ampoules de néosynéphrine et néostigmine, agitant la nécessité d’une ré-évaluation des étiquetages en vigueur depuis 2009.

SÉCURISER LE CIRCUIT

Mais l’étiquetage n’est pas seul en cause : en décembre 2008, le petit Yliès, 3 ans, décédait dans un hôpital parisien, suite à l’injection d’une solution de chlorure de magnésium en lieu et place du sérum glucosé destiné à le réhydrater. L’enquête avait alors conclu à une suite de dysfonctionnements dans le circuit d’acheminement du médicament. Le chlorure de magnésium n’aurait jamais dû se trouver là où il était : si l’étiquetage pouvait constituer une source d’erreurs, il n’était qu’un maillon d’une chaîne soumise à défaillances.

Une étude d’impact de la DHOS parue en octobre 2009 fait état d’une grande hétérogénéité dans l’organisation de la sécurisation du circuit du médicament. Si 70 % des établissements de santé ont mis en place des dispositifs de déclaration des événements indésirables médicamenteux (EIM), c’est dans le secteur privé que ces dispositifs sont les plus nombreux (41 % des cliniques et 48 % des établissements participant au service public hospitalier contre 15 % des CHU et 35 % des CH). Un tiers des établissements publics et privés dispose d’une solution informatisée pour le circuit du médicament, de la prescription à l’administration, en passant par la dispensation. Mais seulement 15 % des lits (et journées d’hospitalisation) bénéficient d’une analyse pharmaceutique de la prescription complète du patient. Enfin, concernant les formes injectables (hors chimiothérapie), « la préparation est trop rarement protocolisée dans les unités de soins », estime la DHOS : 44 % des établissements dressent des protocoles pour les modalités de préparation, 29 % pour la stabilité des principes actifs et 30 % des compatibilités physico-chimiques.

LA SITUATION À L’AP-HP

Un constat général à l’échelle de l’AP-HP a été réalisé dans le rapport rendu par l’Igas en juillet 2010 sur la sécurisation du circuit du médicament sur l’ensemble des 37 sites : « La qualité du circuit du médicament ne fait pas l’objet d’une démarche stratégique cohérente globale et programmée, faute d’une gouvernance claire et opérationnelle en la matière », indiquent les rapporteurs. Un plan d’actions a donc été mis en œuvre et s’appuie sur quelques points forts : déployer les compétences pharmaceutiques auprès du patient et améliorer la présence de la pharmacie auprès des prescripteurs, automatiser pour libérer du temps au profit des échanges entre les prescripteurs et pharmaciens et consolider les contrôles informatiques visant à sécuriser la prescription ou l’administration des médicaments. Rappelons que le circuit du médicament est un processus transversal qui repose sur certaines bases législatives (cf. encadré ci-après) : il prend en compte l’interdépendance des professionnels de santé et place le pharmacien dans un rôle central. Le Syndicat national des pharmaciens des établissements publics de santé estime que « l’informatisation est le moyen le plus adapté à la sécurisation du médicament et le seul qui permette un partage réel de l’information au sein de l’établissement ». Mais pas uniquement. Le professionnel de santé reste le dernier maillon de la chaîne.

À côté de la vigilance organisationnelle figure la vigilance “produit” : l’étude Eneis montre que les deux sont indissociables si l’on veut conduire une surveillance épidémiologique des accidents médicamenteux en France et mettre en place des actions correctives pour renforcer la sécurité du patient. Gageons que, dans ce cadre, la récente affaire du Mediator risque d’apporter son lot de remises en question !

BIBLIOGRAPHIE

Les événements indésirables graves associés aux soins observés dans les établissements de santé, étude de la Drees, n° 17, 2010.

Vigilance !

En début d’année, l’Afssaps appelait à la vigilance les médecins et infirmières susceptibles d’administrer une ampoule de morphine des laboratoires Aguettant. Ces derniers venaient en effet de procéder au retrait d’un lot de 18 000 boîtes d’ampoules de morphine suite à la découverte d’une ampoule d’atropine à l’intérieur d’un de ses paquets. L’ampoule d’atropine, substance qui modifie le rythme cardiaque, s’est retrouvée par erreur dans le lot d’ampoules de morphine et a été découverte juste avant injection. L’hôpital a immédiatement signifié au laboratoire la présence de l’intruse. La prudence reste de mise.

Bases législatives et réglementaires

• L’arrêté du 31 mars 1999 fixe les modalités de prescription, de dispensation et d’administration des médicaments soumis à la réglementation des substances vénéneuses dans les établissements de santé disposant d’une pharmacie à usage intérieur.

• Le décret du 26 décembre 2000 concerne les pharmacies à usage intérieur et leur organisation.

• La loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 fixe les missions de la commission des médicaments et le consolide le rôle du pharmacien hospitalier (garant de la sécurisation du circuit du médicament).

• Le décret du 24 août 2005 dresse le contrat de bon usage des médicaments.

• L’arrêté du 6 avril 2011 encadre le management de la qualité de la prise en charge médicamenteuse et les médicaments dans les établissements de santé (arrêté dit “Retex”).