Des Oqos aux Oros ou des besoins à la régulation de l’activité hospitalière - Objectif Soins & Management n° 195 du 01/04/2011 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 195 du 01/04/2011

 

Économie de la santé

Didier Jaffre  

NOUVEAU DISPOSITIF → Début mars 2011, la Direction générale de l’offre de soins a annoncé, dans le prolongement de la publication du guide méthodologique sur les nouveaux Schémas régionaux d’organisation sanitaire (Sros), la substitution d’Objectifs de répartition de l’offre de soins (Oros) aux traditionnels Objectifs quantifiés de l’offre de soins (Oqos).

Les Agences régionales de santé (ARS) élaborent actuellement leur projet régional de santé. Le schéma régional d’organisation des soins (qui se substitue au Sros de 2006) doit déterminer par territoire de santé des objectifs d’évolution de l’offre de soins en fonction des besoins de la population. Jusqu’à présent, les Objectifs quantifiés de l’offre de soins (Oqos) comprenaient à la fois le nombre d’implantations d’activités de soins et d’équipements matériels lourds et des volumes pour certaines activités (médecine, chirurgie, soins de suite et de réadaptation, psychiatrie…). Ces volumes étaient déterminés sur la base des consommations de soins des habitants d’une région, à partir des bases du PMSI (Programme de médicalisation des systèmes d’information) ou de la SAE (Statistique annuelle d’activité des établissements de santé). Les agences avaient pour mission de répartir ces Oqos par établissement, dans le cadre de la négociation de leur contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens.

Les Oqos relevaient donc essentiellement d’une logique de besoins, avec pour but que les établissements de santé d’une région donnée soient en capacité de répondre à l’ensemble des besoins des habitants de cette même région, indépendamment du lieu de soins in fine. Or le contexte toujours déficitaire de l’Assurance maladie, accentué par la crise économique, s’accompagne d’un changement de logique pour ces Oqos, désormais rebaptisés Oros (Objectifs de répartition de l’offre de soins): ils ont vocation à devenir de véritables instruments de maîtrise de l’activité des établissements de santé, donc de régulation des dépenses d’Assurance maladie. Cinq années auront donc été nécessaires pour comprendre que les Oqos n’étaient pas opérants pour maîtriser l’activité hospitalière, compte tenu de leur nature même et de leur mode de construction.

2006 : DES BESOINS AUX OQOS

Parmi les nouveautés des schémas régionaux d’organisation sanitaire (Sros) arrêtés par les agences régionales de l’hospitalisation en 2006, l’approche davantage centrée sur les besoins en constituait très certainement la plus fondamentale, même si celle-ci restait encore très imparfaite. Les Sros étaient jusqu’alors davantage fondés sur une approche institutionnelle de l’offre que sur une logique populationnelle des besoins, bien que les textes affirmaient le contraire. Partant des établissements de santé en évaluant leur fonctionnement, leurs forces et leurs faiblesses, le Sros avait pour objet de les adapter en fonction des normes et des référentiels préétablis, en se fondant sur l’hypothèse qu’ils répondent aux besoins de la population. À l’inverse, l’approche populationnelle part des besoins de la population en les caractérisant et en les objectivant, le Sros visant à adapter le système hospitalier à ces besoins objectivés. Mais comment évaluer correctement les besoins ? Les difficultés rencontrées expliquent en grande partie que les pouvoirs publics préfèrent agir sur l’offre (cf. encadré ci-dessous).

Véritable innovation des Sros 2006-2011, des Oqos, qui se substituent en fait aux indices de la carte sanitaire, sont exprimés, pour chaque territoire de santé et pour chaque activité de soins et équipements matériels lourds, en termes d’implantations, d’accessibilité ou de volumes, selon l’activité de soins.

Pour illustrer nos propos, prenons l’exemple de la médecine : dans chaque territoire de santé, l’annexe opposable du Sros définit le nombre d’implantations en médecine (nombre de sites géographiques autorisés à délivrer des soins de médecine), ainsi que le nombre de séjours à prendre en charge dans le territoire. Ce nombre de séjours, calculé sur la base des données de consommation des soins (Programme de médicalisation du système d’Information, PMSI) et des évolutions démographiques, correspond à l’estimation des besoins des habitants du territoire de santé donné à prendre en charge. Il ne prend pas en compte les besoins des habitants extrarégionaux qui sont soignés dans les hôpitaux de la région. Ceci s’applique à la chirurgie, aux soins de suite et de réadaptation, à la psychiatrie, à l’insuffisance rénale chronique, aux soins de longue durée, ainsi qu’aux techniques interventionnelles utilisant l’imagerie médicale.

Non seulement le Sros fixe par territoire le nombre d’implantations d’activités de soins à ne pas dépasser, mais il fixe également l’activité de soins que les établissements vont s’engager collectivement à respecter dans le cadre de leur contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens. Autrement dit, dans un système financé à la pathologie (à l’activité), en déterminant les volumes d’activité de soins, le Sros fixe le montant des dépenses de santé par territoire et pour la région globalement : il constitue, sans que cela soit clairement énoncé, une sorte d’Objectif régional des dépenses d’assurance maladie (Ordam) sur le plan hospitalier pour les cinq ans à venir. Sur la base d’une logique fondée sur les besoins de la population, le Sros devient ainsi un puissant outil de régulation économique dans le sens où il détermine a priori les dépenses hospitalières de santé correspondant aux besoins de la population régionale, dans un souci d’efficacité médicale et économique (efficience). Mais cette dimension a-t-elle été véritablement prise en compte par les pouvoirs publics ?

On peut s’étonner de la liberté laissée à chaque région dans la méthodologie d’élaboration des Oqos, et donc de l’estimation des besoins, compte tenu des enjeux mentionnés ci-dessus. Comment s’assurer que la somme des Oqos par région correspond véritablement aux Oqos pour la France entière ? La somme des Sros ou des Ordam est-elle compatible avec l’Ondam (Objectif national des dépenses d’Assurance maladie)? De quels instruments disposent le ministère de la Santé pour juguler le possible effet inflationniste des dépenses de santé prévues dans les Sros dans un système où les règles du jeu n’ont pas été définies au départ ?

Autant de questions que nous soulevions déjà en 2006 dans le numéro d’Objectif Soins de novembre…

2011 : DES OQOS AUX OROS

Cinq ans plus tard, le ministère de la Santé reconnaît l’insuffisance des Oqos en termes de maîtrise des dépenses d’Assurance maladie.

La transformation des Oqos en Oros est principalement justifiée par le fait qu’ils n’ont pas permis de maîtriser l’activité hospitalière. Mais quoi de plus normal puisque tel n’était pas leur but ! Les Oqos n’ont pas été construits pour maîtriser l’Ondam mais pour satisfaire les besoins de la population régionale par leur inscription dans les Sros (schémas régionaux d’organisation sanitaire). D’autant que, d’une région à l’autre, les Oqos n’ont pas été calculés de la même manière.

Par ailleurs, il est constaté de fortes disparités de consommation des soins hospitaliers entre les régions sur certaines activités, et au sein même des régions entre les territoires de santé. Ce qui peut supposer des écarts dans l’accès aux soins hospitaliers mais également la délivrance de soins non pertinents. Dans la mesure où la consommation de soins ne constitue pas une estimation exhaustive des besoins en soins hospitaliers, il apparaît nécessaire de la corriger en prenant en compte les écarts de consommation constatés.

Enfin, la contrainte de plus en plus forte pesant sur l’Ondam suppose que l’activité des établissements de santé soit maîtrisée, et d’autant plus dans le cadre d’une tarification à l’activité. En effet, si les prix sont maîtrisés par le biais de la fixation des tarifs par groupe homogène de séjours au niveau national (système de prix fixes opposables), il convient également de maîtriser les volumes d’activité afin d’éviter un effet inflationniste. Dans le cadre d’une enveloppe fermée, l’augmentation des volumes se traduit nécessairement par une diminution des tarifs en cas de dépassement de l’enveloppe, et vice-versa. Il convient donc de mettre en place un système de maîtrise prix-volume équilibré.

OROS : LA MAÎTRISE DE L’ACTIVITÉ DES ÉTABLISSEMENTS DE SANTÉ

Les Oros s’inscrivent donc dans un dispositif de pilotage de l’activité hospitalière par les ARS, reposant à la fois sur une logique de besoins (les Oros doivent permettre de répondre aux besoins et de répartir au mieux l’offre de soins sur le territoire pour y répondre) et sur une logique de l’offre (les Oros doivent permettre de maîtriser les volumes de certaines activités et de développer des modes de prise en charge alternatifs à l’hospitalisation complète). Ces Oros seront négociés dans un premier temps entre chaque ARS et le niveau national, puis feront l’objet d’un dialogue de gestion entre l’ARS et les établissements de santé au niveau régional.

Trois types d’Oros doivent figurer dans les futurs Sros :

→ des objectifs d’implantation des activités de soins et des équipements matériels lourds (localisation et nombre) par territoire de santé ;

→ des objectifs en volume au niveau des territoires de santé à l’horizon 2016, qui ne seront pas déclinés au niveau des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens des établissements de santé, contrairement aux Oqos ;

→ des objectifs (facultatifs) d’accessibilité géographique (temps maximum d’accès, délai moyen d’attente pour la prise de rendez-vous d’un examen) et financière (ratio du volume d’activité devant être effectué en secteur 1).

Les Oros, en matière de médecine (dont le traitement du cancer, la prise en charge de l’insuffisance rénale chronique), chirurgie, soins de suite et de réadaptation, psychiatrie, et soins de longue durée, reposeront pour chacune des régions sur l’analyse de la consommation de soins de la population domiciliée de la région, quel que soit le lieu de soins. Ils feront l’objet d’un dialogue de gestion entre chaque ARS et le niveau national, en prenant en compte la structure démographique de la région et l’état de santé de la population sur la base des taux de recours constatés et comparés aux taux de recours nationaux.

Même si les Oros ne constituent pas encore de véritables Ordam en matière hospitalière, force est de constater que la logique de l’offre prime désormais sur la logique des besoins (cf. encadré page suivante). Ils doivent permettre aux ARS de maîtriser l’augmentation de l’activité hospitalière, dans le cadre, enfin, d’une méthode de calcul définie au niveau national. D’instrument de planification de l’offre de soins hospitalière, le Sros devient un instrument de régulation économique des dépenses hospitalières.

La notion de besoin hospitalier

• Notion floue, le besoin présente un caractère subjectif. « On a autant besoin de ce qu’on veut, qu’on veut ce dont on a besoin. »(1) L’appréciation d’un besoin, qui traduit un sentiment de manque, dépend de l’environnement de l’individu, de l’évolution des techniques, des mentalités de la société. Le besoin évolue dans le temps et dans l’espace. Cette complexité s’accentue en santé, dans la mesure où la santé couvre elle-même un champ très large. Les déterminants de la santé sont autant biologiques que sociologiques ou économiques. Il convient également de distinguer le besoin ressenti du besoin exprimé : le besoin ressenti ne s’exprime par forcément par une demande de soins. Enfin, le système de soins joue un rôle essentiel dans le processus de transformation du besoin en demande dans la mesure où il induit une majeure partie de la demande de soins(2).

Ainsi, si la demande de soins hospitaliers est couramment utilisée pour évaluer le besoin en soins hospitaliers, il faut garder à l’esprit, d’une part, que le besoin en soins appréhende le besoin de santé par le biais des moyens mis en œuvre et, d’autre p art, que le besoin en soins simultanément sous-estime le besoin réel en santé lorsque le besoin ressenti ne se transforme pas ou pas intégralement en demande, et le surestime si le médecin induit une demande qui ne correspond pas véritablement à un besoin ressenti(3). On distingue aussi les besoins latents (perçus ni par les professionnels de santé, ni par les personnes) et les besoins ressentis (tantôt pas exprimés par les personnes, tantôt exprimés et/ou non reconnus par les professionnels). En fonction de ce caractère subjectif du besoin, nombreuses sont les définitions et les approches du besoin en santé. On peut retenir comme définition du besoin hospitalier les caractéristiques démographiques sanitaires, sociales, économiques et culturelles des populations régionales qui devraient bénéficier des services financés par le système hospitalier.

• Si la définition des besoins est complexe, leur estimation l’est tout autant. Elle nécessite que des efforts spécifiques soient entrepris mobilisant au mieux les données disponibles dans un cadre cohérent. Toute une série d’indicateurs permettent d’appréhender le besoin en santé, mais il n’en existe pas un qui résumerait toutes ces approches :

→ les déterminants de santé : démographie, environnement physique et social, indicateurs socio-économique, comportements, habitudes de vie et facteurs de risque, organisation et activité de l’offre de soins ;

→ l’état de santé : morbidité, mortalité ;

→ les conséquences des problèmes de santé : incapacités, utilisation des services, consommation des médicaments.

Il est toutefois possible d’appréhender les besoins a minima, en partant notamment de la structure par âge et par sexe de la population et de modes de consommation hospitalière. Ceci suppose cependant de disposer d’un système d’information performant sur les besoins, par agrégation des données produites par les multiples organismes des pouvoirs publics.

(1) Le Pen C. (1996), Efficacité et équité en économie de la santé, communication aux XVIIIes journées des économistes de la santé, Dijon, 24 pages.

(2) Béjean S. (1994), Économie du système de santé. Du marché à l’organisation, éditions Économica, Paris, 317 pages.

(3) Gadreau M. et Jaffre D. (1999), Contribution à une nouvelle régulation hospitalière. Une estimation des besoins hospitaliers en Bourgogne, Journal d’économie médicale, tome 17, n °4, pages 219-229.

D’une planification institutionnelle à une planification populationnelle

Deux approches de la planification peuvent être distinguées, l’une institutionnelle, l’autre populationnelle. Davantage complémentaires que concurrentes, elles relèvent de deux logiques différentes, la première centrée sur l’offre, la seconde centrée sur la demande.

• Jusqu’à présent, force est de constater que l’approche institutionnelle a été privilégiée par les pouvoirs publics, mais pas dans les derniers schémas régionaux d’organisation sanitaire, où pourtant une tentative d’approche par les besoins a été appréhendée. Cette prédominance s’explique sans doute par la difficulté à définir, à évaluer et à localiser les besoins de santé.

Alors que l’approche institutionnelle ou organisationnelle sert la logique de l’organisation, c’est-à-dire celle de l’offre de santé, l’approche populationnelle privilégie les besoins de la population.

Or, si la référence à la population et à ses besoins est clairement affichée dans les textes, on constate que la logique institutionnelle est particulièrement présente dans la conduite de la politique de santé, dans la mesure où son objet principal consiste à élaborer et à veiller à la réglementation de l’activité et du fonctionnement des offreurs de santé par l’édition de normes.

Dès lors, la satisfaction des besoins apparaît plus comme une contrainte que comme un objectif à atteindre.

• L’approche institutionnelle pour la planification sanitaire part des offreurs de santé, puis évalue leur fonctionnement, leurs forces et leurs faiblesses, et enfin les adapte en fonction des normes et des référentiels préétablis, en se fondant sur l’hypothèse qu’ils répondent aux besoins de la population.

• À l’inverse, adopter une approche populationnelle pour la planification sanitaire, c’est partir des besoins de la population et adapter le système de l’offre de santé à ces besoins. Ceux-ci sont alors caractérisés par les données démographiques (structure par âge et par sexe), socio-culturelles (catégories socio-professionnelles, niveaux de revenu, d’éducation), épidémiologiques (mortalité et morbidité), comportementales (flux de population). La politique de santé, et en particulier la planification, ont alors pour finalité d’adapter l’offre de santé à ces besoins.

• Il est certain que ces deux approches relèvent plus de la complémentarité que de la substituabilité, et qu’un compromis entre les deux doit être trouvé. La planification sanitaire doit être fondée en premier sur l’étude des besoins de la population, mais il est impossible de faire fi des ressources de santé existantes, de leur localisation, de leur mode de fonctionnement et de leurs spécialités. La solution consiste alors à rechercher l’adéquation entre besoins et offre de santé, en prenant pour appui l’étude des besoins et non l’étude de l’offre.

• L’offre de santé doit s’adapter aux besoins, voire les anticiper. On l’évalue en termes de qualité, de quantité et on apprécie la pertinence. L’étude des besoins vise en quelque sorte à identifier le marché potentiel, sa structure actuelle et son évolution dans le temps.

• On peut retenir trois méthodes pour l’étude des besoins :

→ la méthode des besoins normatifs : des experts définissent des besoins théoriques par rapport à une norme (par exemple déterminer les besoins en personnel et en équipement pour soigner telle maladie). Ces besoins sont ensuite extrapolés au moyen de données épidémiologiques et démographiques ;

→ la méthode des objectifs de prestations : des objectifs de production et de distribution des services médicaux sont élaborés en tenant compte à la fois des besoins théoriques, des souhaits éventuels des individus et des conditions économiques ;

→ la méthode des besoins souhaités par la population, c’est-à-dire tels qu’ils sont ressentis.

Ces trois méthodes soulignent la complexité même de la notion de besoin de santé.

• Un modèle idéal de planification partant de l’identification des besoins et des problèmes à résoudre peut être envisagé :

→ connaître la morbidité de la population générale et les risques auxquels elle est exposée, par l’intermédiaire des outils épidémiologiques existants ;

→ traduire cette connaissance des besoins, qualitatifs et quantitatifs, en actions de prévention, de soins et de réadaptation. La perception des besoins varie selon que l’on se place du point de vue de la population, des élus, des professionnels, ou des gestionnaires ;

→ déduire de ces besoins l’organisation des services et des équipements nécessaires, avec les moyens en personnels suffisants.

• La planification populationnelle part ainsi des attentes des usagers : souhait d’un hôpital plus humain (dimension relationnelle dans la prise en charge), souhait d’une coordination des soins (continuité des soins et de la prise en charge), une exigence d’accessibilité et de proximité.

Mais comment évaluer correctement les besoins souvent assimilés à la demande de soins ?

Les difficultés rencontrées expliquent en grande partie que les responsables de la planification en santé préfèrent agir sur l’offre.