La dépendance : le cinquième risque de la Sécurité sociale ? - Objectif Soins & Management n° 191 du 01/12/2010 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 191 du 01/12/2010

 

Économie de la santé

FINANCEMENT → La ministre des Solidarités et de la Cohésion sociale vient de lancer le débat sur la création d’un cinquième risque au sein de la Sécurité sociale : la dépendance. En effet, la question de la prise en charge de la dépendance des personnes âgées se pose puisque l’on estime que plus d’une personne sur quatre aura à en souffrir dans les années qui viennent. Soit presque un million de personnes dans l’Hexagone d’ici 2025.

Considérant que les quatre branches actuelles de la Sécurité sociale (maladie, accidents du travail et maladies professionnelles, famille, vieillesse) ne sont pas en mesure de répondre à ce défi démographique, il est envisagé d’assurer la prise en charge de la dépendance par la création d’un cinquième risque, combinant un financement public au titre de la solidarité et la mise en place d’une assurance individuelle encouragée par des incitations fiscales. Dès lors, le débat est lancé sur les modalités de financement de ce risque dépendance : assurance obligatoire ou facultative ? Monopole public de financement ou concurrence entres les assureurs ?

LES DISPOSITIFS ACTUELS DE PRISE EN CHARGE DE LA DÉPENDANCE

Dans la définition retenue par la loi du 24 janvier 1997, la dépendance se dit de « l’état de la personne qui, nonobstant les soins qu’elle est susceptible de recevoir, a besoin d’être aidée pour l’accomplissement des actes essentiels de la vie ou requiert une surveillance régulière ».

La prise en charge des personnes âgées dépendantes et celle des personnes handicapées relèvent de réglementations distinctes : la barrière de l’âge (avant et après 60 ans) explique que deux personnes atteintes du même type de handicap relèvent de dispositifs spécifiques (réglementations, structures d’accueil). Cette spécificité de traitement résulte d’une succession de mesures, initiée en 1962 avec la création de la prestation d’aide ménagère à domicile. La loi du 30 juin 1975 institue l’allocation compensatrice tierce personne (ACTP) en faveur des personnes handicapées. Financée par la solidarité nationale, elle est étendue en 1983 aux personnes âgées, avant d’être remplacée par la prestation spécifique dépendance (loi du 24 janvier 1997), elle-même supprimée lors de la mise en place de l’allocation personnalisée à l’autonomie (Apa) le 1er janvier 2002.

L’Apa est une aide financière attribuée aux personnes d’au moins 60 ans qui, malgré les soins qu’elles reçoivent, ont besoin d’être aidées pour l’accomplissement des actes essentiels de la vie courante ou requièrent une surveillance particulière. Les bénéficiaires de l’Apa peuvent par ailleurs percevoir l’aide personnalisée au logement (APL), l’aide sociale aux personnes âgées, l’allocation de logement à caractère social (ALS) ou l’allocation départementale personnalisée d’autonomie (ADPA).

La loi du 11 février 2005 pose le principe du droit à compensation des conséquences du handicap, quels que soient l’origine de ce handicap, la nature de la déficience, l’âge ou le mode de vie de l’assuré social. La loi précise et renforce par ailleurs les missions de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), créée par la loi du 30 juin 2004 : la CNSA finance et coordonne les actions en faveur des personnes âgées et des personnes handicapées. Elle reverse notamment aux départements une partie des fonds collectés au titre de la cotisation de solidarité pour l’autonomie. Elle crée les maisons départementales de personnes handicapées (MDPH) et instaure en outre la prestation de compensation pour les personnes handicapées (PCH), financée par les départements et à destination des personnes âgées de 20 à 59 ans.

Dans son rapport annuel 2007, la CNSA dresse le constat des limites du système actuel : montant insuffisant de l’Apa pour combler le “reste à charge” des familles, disparités entre départements, complexité des réglementations qui entraîne des ruptures dans l’accès aux droits et l’épuisement des aidants familiaux. Ses propositions conduisent à distinguer, d’une part, la question du contenu du droit universel d’aide à l’autonomie (évaluation personnalisée et pluridisciplinaire des besoins selon un référentiel de biens et services devant fixer les différents éléments de la prestation personnalisée de compensation) et, d’autre part, les options possibles pour le financement de ce droit.

La CNSA souligne ainsi la nécessité d’une triple clarification concernant :

→ la part du financement public et des mécanismes de prévoyance individuelle ou collective ;

→ la prise en compte des ressources du bénéficiaire pour décider de l’accès au financement ou pour décider du niveau couvert par ce financement ;

→ la part du financement dévolue à la solidarité nationale et au département. C’est dans ce contexte que s’ouvre le débat sur le cinquième risque dépendance.

LA NOTION DE SÉCURITÉ SOCIALE ET DE RISQUE SOCIAL

La déclaration universelle des droits de l’homme, dans son article 22, stipule que tout individu a droit à la Sécurité sociale.

La Sécurité sociale repose sur la solidarité nationale. Le Code de la Sécurité sociale détermine le champ d’application de ce principe, c’est-à-dire à la fois les personnes qui sont protégées et les risques qui sont couverts.

Il y a deux catégories de risques qui menacent la sécurité économique :

→ les risques qui empêchent un individu d’exercer son activité professionnelle, qu’ils soient physiques d’origine professionnelle (accidents du travail, maladies professionnelles), non professionnelle (maladie, invalidité, maternité, vieillesse, décès) ou économiques (chômage) ;

→ les risques qui diminuent le niveau de revenu : érosion monétaire, dépenses médicales, charges de famille…

On parle de risque social quand un risque est pris en charge par un système de protection sociale ou de Sécurité sociale. La dépendance est donc en passe de devenir un risque social au même titre que la maladie ou la vieillesse.

TECHNIQUES “PRIMITIVES” DE PROTECTION SOCIALE ET PRISE EN CHARGE DE LA DÉPENDANCE

→ Au premier rang figure l’epargne individuelle : l’individu renonce à une consommation immédiate pour une consommation future. Dans le cas de la dépendance, cela suppose que les individus épargnent dès leur entrée dans la vie active pour assurer la prise en charge de leur dépendance future. Mais l’épargne, technique individuelle de protection, n’est valable que pour les personnes les plus aisées et dans un situation de stabilité monétaire. Le système de l’épargne ne peut donc pas soutenir de manière pérenne un système de protection sociale universelle, compte tenu des aléas économiques et des différences de revenus entre les individus. Il en est de même pour la dépendance : les dépendants d’aujourd’hui n’ont pas épargné et les dépendants de demain ne sont pas tous en capacité d’épargner.

→ Au deuxième rang figure l’assistance, traduction directe du devoir de charité, qu’elle soit institutionnelle ou particulière. Ce qui suppose que celui qui reçoit doit faire preuve de son infortune ou de son indigence. Mais là encore, l’assistance ne peut pas être institutionnalisée et ne peut pas financer un système de protection sociale.

En aucun cas elle ne saurait être suffisante pour assurer la prise en charge de un million de personnes dépendantes.

→ Au troisième rang figure la responsabilite individuelle : la personne qui cause un préjudice à une autre doit le réparer, le poids de l’événement étant transféré de la victime à l’auteur. Mais encore faut-il que le responsable soit identifié et que celui-ci soit solvable. Or dans le cas de la dépendance, il n’y a pas de responsable, si ce n’est l’individu dépendant lui-même (c’est-à-dire que la victime est également le responsable) et pas toujours solvable.

→ Au dernier rang figure l’assurance qui repose sur le principe d’étalement sur tous les individus d’un groupe de la charge du préjudice frappant l’un des membres du groupe. C’est le principe de l’Assurance maladie, et demain peut-être de l’assurance dépendance.

BEVERIDGE VERSUS BISMARK

Bismark est le père des assurances sociales en Allemagne (1877). Il instaure ainsi l’assurance maladie, l’assurance accident du travail, l’assurance invalidité-décès, mais qui sont réservées aux salariés de l’industrie les plus défavorisés avec une part de cotisations à la charge de l’employeur et une à la charge du salarié.

Beveridge quant à lui est le père de la Sécurité sociale au Royaume-Uni (1942). Il considère qu’une société moderne se doit d’éliminer l’état de besoins selon un plan, la Sécurité sociale n’étant qu’un élément de ce plan, l’objectif étant d’assurer le plein emploi. Toute la population doit être couverte par la Sécurité sociale et les risques doivent être pris en charge, selon un système de protection sociale public unifié et étatisé. Le système doit être financé par l’impôt et gratuit pour la population. C’est sur ces fondements qu’est créé le service national de santé (SNS).

Le système de protection sociale français relève à la fois du modèle Bismarckien, dans la mesure où il s’appuie sur les logiques de l’assurance, mais également du modèle Beveridgien, dans la mesure où les assurances sociales sont obligatoires et universelles (toute la population est couverte). À noter cependant qu’il est complété par des assurances complémentaires.

Si on applique les principes qui sous-tendent le système de protection sociale au risque de la dépendance, cela revient donc à créer une assurance obligatoire pour toute la population, mais socialisée, c’est-à-dire financée par l’impôt ou la cotisation sociale. La prestation versée peut être en nature (aides à domicile, par exemple) ou bien en espèces (revenu de complément par exemple). C’est sur ce principe que repose l’APA aujourd’hui.

CONCLUSION

Dès lors que l’on considère le risque dépendance au même titre que le risque maladie ou le risque vieillesse, plusieurs questions doivent être tranchées pour constituer le nouveau régime d’assurance dépendance.

→ Les personnes protégées. Régime obligatoire ou non ? L’ensemble des assurés sociaux (salariés et autres personnes assimilées) ? Qui des assurés volontaires et des assurés personnels ? Nécessité de créer une couverture dépendance universelle à l’instar de la couverture maladie universelle pour celles et ceux qui ne pourront pas s’assurer ? Quel organisme pour la gestion de l’affiliation et de l’immatriculation (création d’une nouvelle caisse ? Nouvelles attributions de la Caisses d’assurance retraite et de la santé au travail (Carsat) ou de la CNSA ? Rôle des collectivités territoriales ?).

→ Les prestations. En nature ? En espèce ? Quelle détermination et comment ?

→ L’organisation financière. Le système traditionnel des cotisations sociales (pourcentage du salaire payé par l’employé et l’employeur) traduit l’idée d’assurance mais reste fragile sur les plans financiers (aléas économiques) et de l’équité ; le système de la fiscalisation (augmentation de la contribution sociale généralisée ?).

→ L’étendue du champ couvert et la place des assurances complémentaires : existence d’un équivalent de ticket modérateur ? Les conditions d’attribution ?

Autant de questions qui vont être débattues au cours des prochains mois qui conduiront peut-être à la création ex nihilo d’une caisse nationale de la dépendance avec ses déclinaisons régionales et locales.