Actualité de jurisprudence - Objectif Soins & Management n° 191 du 01/12/2010 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 191 du 01/12/2010

 

Droit

CAS PRATIQUES → La jurisprudence désigne l’ensemble des arrêts et des jugements qu’ont rendu les Cours et les Tribunaux pour trancher une situation juridique donnée par une solution particulière. Présentation des dernières décisions qui ont récemment fait jurisprudence.

PROTECTION DU CORPS

Interdiction de l’exposition Our Body

Cour de cassation, 1re chambre civile, 16 septembre 2010, n° 09-67456

Une société a organisé une exposition de cadavres humains “plastinés”, ouverts ou disséqués, installés, pour certains, dans des attitudes évoquant la pratique de différents sports, et montrant ainsi le fonctionnement des muscles selon l’effort physique fourni. Des associations, militant pour les droits de l’homme en Chine, soupçonnant un trafic de cadavres de ressortissants chinois prisonniers ou condamnés à mort, ont demandé en référé la cessation de l’exposition.

L’exposition a été annulée pour objet illicite. Aux termes de l’article 16-1-1, alinéa 2, du Code civil, les restes des personnes décédées doivent être traités avec respect, dignité et décence, et l’exposition de cadavres à des fins commerciales méconnaît cette exigence. Cette exposition s’est tenue sans difficulté dans d’autres pays, et cet arrêt montre l’importance pour le droit français de la protection du corps.

QUALIFICATION D’AIDE-SOIGNANTE DANS LA CONVENTION DE L’HOSPITALISATION PRIVÉE

Un niveau de connaissance est toujours nécessaire

Cour de cassation, chambre sociale, 22 septembre 2010, n° 08-45608

Une femme engagée en qualité d’employée de collectivité par une société gérant une résidence pour personnes âgées a revendiqué l’application du coefficient correspondant à celui d’aide-soignante, au motif qu’en pratique elle exerçait comme une aide-soignante.

Était en cause l’application de l’article 91-2-1 de la convention collective nationale de l’hospitalisation privée du 18 avril 2002, qui, pour la qualification d’aide-soignante, exige : « Emploi consistant dans l’exécution et/ou la conduite d’opérations et/ou d’actes qualifiés, exigeant une formation dans le métier et impliquant le respect de directives précises. Les connaissances requises sont sanctionnées par un diplôme d’État reconnu en matière normative (Cafas…) ou, lorsque le poste ne l’exige pas, correspondant au BEP ou CAP ou à un niveau équivalent acquis par formation non diplômante ou expérience professionnelle. Le titulaire du poste doit être capable de transmettre des informations simples au niveau du service. Il est placé sous le contrôle direct d’un agent de niveau 3 (employé hautement qualifié) ou de position II (technicien, agent de maîtrise) ou sous le contrôle direct ou indirect d’un cadre. »

La cour d’appel avait donné raison à la salariée, en relevant qu’elle effectuait de fait des tâches d’aide-soignante au-delà d’une exécution ponctuelle et partielle, qu’elle était reconnue en cette qualité par les résidents et l’employeur. La cour ajoutait que l’employeur, qui n’avait pas craint de lui confier des tâches d’aide-soignante, ne pouvait la maintenir dans une qualification qui ne correspond pas aux tâches « effectivement effectuées ».

La Cour de cassation casse cet arrêt. En effet, la salariée n’était pas titulaire des diplômes nécessaires à sa classification en qualité d’aide-soignante. Aussi, il fallait s’assurer qu’elle avait acquis les connaissances requises correspondant au BEP ou au CAP, ou un niveau équivalent obtenu, soit par une formation qualifiante, soit par expérience professionnelle. La simple pratique, même organisée par l’employeur, ne suffit pas.

MALTRAITANCE

Un acte de maltraitance, même isolé, peut être la cause d’un licenciement pour faute grave

Cour de cassation, chambre sociale, 30 juin 2010, n° 09-65255

Une salariée exerçait en qualité d’aide médico-pédagogique par une structure médico-sociale depuis 1996. Le 2 mars 2005, elle avait eu des actes de maltraitance à l’égard d’une personne handicapée résidente de l’établissement. Ces faits ont été portés à la connaissance de l’employeur le 22 mars 2005 et celui-ci avait diligenté une enquête interne. Il en est ressorti que la salariée avait volontairement, et non pas accidentellement, jeté de l’eau sur une résidente handicapée particulièrement vulnérable Le 30 mars, les faits lui paraissant établis, il a prononcé une mesure de mise à pied conservatoire et a convoqué la salariée à l’entretien préalable pour le 6 avril et licenciement pour faute grave le 11 avril. La Cour de cassation valide la procédure et le motif de licenciement.

FAUTE DISCIPLINAIRE

Des problèmes de comportement d’un étudiant constituent des fautes disciplinaires, mais ne justifient pas l’exclusion d’un Ifsi

Cour administrative d’appel de Paris, 28 juin 2010, n° 08PA04697

M. Éric A. a été intégré en qualité d’étudiant infirmier au cours de l’année 2006 dans un Ifsi et, durant sa deuxième année, il a fait l’objet d’une mesure d’exclusion définitive du 30 avril 2007, prise à la suite d’un entretien préalable le 30 mars 2007 et de la convocation d’un conseil de discipline le 5 avril suivant.

Les pièces du dossier, et notamment le rapport ainsi que la relation des faits par M. A, établissent l’existence de difficultés relationnelles, qu’il reconnaît lui-même, notamment dans l’usage de propos familiers. Mais il s’est engagé à adopter à l’avenir une attitude plus discrète, courtoise et conforme à la profession. Il y a eu des absences et des retards, mais non répétés. L’étudiant souligne avoir été à l’heure, sauf deux fois, et il avait prévenu son service pour signaler le retard. De même, ces absences ont été récupérées selon les possibilités de service. Un autre grief visait la tenue de propos grossiers, mais la preuve n’était pas rapportée : le seul témoignage était celui d’un cadre infirmier qui ne faisait qu’une relation indirecte de l’incident.

Par ailleurs, les appréciations émises au cours des stages antérieurs de première année et celles du début de la deuxième année ne relevaient pas d’incident particulier et se concluaient par des annotations très souvent favorables avec de bonnes notes jusqu’à la fin de l’année 2006. Enfin, on ne voyait aucune démarche antérieure à la convocation du conseil de discipline. Cette exclusion définitive est donc manifestement disproportionnée et a été annulée.

CHUTE

Chute avec de graves conséquences d’un patient largement autonome

Cour administrative de Lyon, 22 juillet 2010, n° 08LY02711

Un patient âgé de 71 ans a été opéré dans un centre hospitalier d’un cancer du bas rectum le 8 octobre 2003, avec opération de reprise le 7 novembre 2003. Le 19 novembre 2003, à l’issue d’un examen radiologique, il a fait une chute, qui a entraîné une tétraplégie avec spasticité. Il a engagé un recours en responsabilité.

Agriculteur retraité, il ne présentait, jusqu’à ces interventions, aucun antécédent médical notable. Il était sportif et très actif. Il avait souffert des suites immédiates de la seconde intervention, mais le traitement pratiqué a rapidement amélioré son état qui n’appelait aucune inquiétude particulière dans les jours qui ont précédé l’examen radiologique du 19 novembre. Il avait d’ailleurs pu bénéficier de plusieurs permissions de sortie d’une demi-journée, et, lors de l’examen, il a indiqué à la manipulatrice être autonome et n’avoir pas de problème de mobilité. Il est descendu seul de son lit, s’est allongé sur la table d’examen, puis est resté debout pour la suite de l’examen sans aucune difficulté. Il s’est rendu aux toilettes et est revenu seul pour se prêter à la suite de l’examen sans formuler la moindre réserve ni qu’aucun signe extérieur ne fasse apparaître de problème particulier. Il est brusquement tombé alors que l’examen s’achevait et que la manipulatrice récupérait les cassettes de cet examen.

L’expert souligne que rien, dans les antécédents de M. A, ni dans son état, ne permettait d’estimer qu’il était soumis à un risque de malaise. L’hôpital a pris toutes les précautions préalables pour conduire M. A dans la salle d’examens, la manipulatrice ne l’ayant laissé se déplacer seul qu’après qu’il l’ait assurée être en mesure de le faire, et alors qu’aucun signe ne révélait de risque et qu’il n’a jamais fait part de la moindre difficulté. Dans ces conditions, sa chute ne peut être imputée à un défaut de surveillance. En l’absence de faute, cette chute n’engage pas la responsabilité de l’hôpital.

RETOUR À DOMICILE

Accident cardiaque lors retour à domicile

Cour administrative d’appel de Nancy, 5 juillet 2010, n° 09NC01373

Un homme a été admis aux urgences au centre hospitalier le 21 janvier 2004, en raison d’un infarctus. Il a été transféré le 25 janvier dans un autre établissement pour y subir une coronarographie. Le 27 janvier 2010, il a regagné son domicile, où il est décédé le 30 janvier 2004 d’un œdème aigu du poumon.

Les soins donnés ont été conformes aux données acquises de la science médicale, les traitements administrés étaient adaptés à son état, et il n’y a eu aucune imprudence, erreur ou négligence, retard ou faute des praticiens impliqués dans la prise en charge du patient lors de son hospitalisation. L’atteinte cardiaque ayant été bien tolérée sur le plan fonctionnel, et aucun symptôme clinique pulmonaire ou cardiovasculaire n’ayant été décelé, la décision du retour à domicile au septième jour de l’infarctus, muni d’une prescription correspondant au traitement de référence pour un infarctus aigu et alors qu’aucun soin ne devait plus lui être prodigué, était conforme aux règles de l’art.

Si l’œdème aigu pulmonaire est une complication connue susceptible de survenir chez tout porteur d’une insuffisance cardiaque, cette complication est imprévisible et la seule possibilité de sa survenance, dont la probabilité est au demeurant plus réduite après la prise du traitement médicamenteux, ne saurait justifier à elle seule le maintien du patient en observation à l’hôpital.

RESPONSABILITÉ

Hôpital de jour et responsabilité du fait des agissements du patient

Cour administrative d’appel de Lyon, 23 septembre 2010, n° 09LY00692

Un patient, qui était suivi dans le cadre d’une hospitalisation de jour au sein d’un centre hospitalier spécialisé, s’est rendu coupable d’incendies criminels au cours de l’été 2004, entraînant la destruction de huit véhicules d’une société de transport.

Pour ces faits, l’intéressé a été condamné, par un jugement du tribunal correctionnel de Lyon, à une peine de 18 mois d’emprisonnement ainsi qu’au versement d’une somme de plus de 600 000 euros en réparation des préjudices subis par la société.

La société de transport affirme que le centre hospitalier, qui ne conteste pas avoir eu connaissance des agissements de pyromanie de M. A, a commis une faute tant en ce qui concerne sa mission que dans son obligation de surveillance en décidant son placement en régime libre, lui laissant une totale liberté pendant la nuit, alors que sa dangerosité était connue. Elle affirme que si le centre ne pouvait avoir l’initiative d’une aggravation des conditions d’hospitalisation, rien ne l’empêchait de prévenir les services préfectoraux à cette fin.

Pour le centre hospitalier, l’hospitalisation en placement libre ne constitue par une méthode thérapeutique créant un risque spécial pour les tiers susceptible d’engager la responsabilité sans faute de l’administration. Par ailleurs, la pathologie de M. A ne justifiait pas un placement sous contrainte, et il incombait d’ailleurs au seul préfet du Rhône, s’il l’avait estimé nécessaire, de prendre un arrêté prononçant son hospitalisation d’office. En outre, il n’avait pas eu connaissance, au moment des faits, des agissements qui étaient alors perpétrés par M. A. Dans ces conditions, il ne peut lui être reproché de ne pas avoir averti les autorités préfectorales. En tout état de cause, le simple fait que M. A avait un passé de pyromane n’aurait pu, à lui seul, justifier une hospitalisation sous contrainte, et l’état clinique de l’intéressé ne nécessitait pas une telle hospitalisation. Aucun défaut de surveillance ne peut lui être reproché alors même que M. A a commis les faits reprochés la nuit, alors qu’il n’était pas placé sous sa responsabilité.

L’hospitalisation en service libre, régime duquel relevait M. A, ne constituant pas une méthode thérapeutique créant un risque spécial pour les tiers, la société de tranport ne saurait s’en prévaloir pour soutenir que la responsabilité de l’établissement hospitalier serait engagée sans faute à son égard.

Ensuite, si cette société soutient que M. A aurait dû faire l’objet d’un internement d’office en raison de sa dangerosité, il résulte de l’instruction, et en particulier du rapport d’expertise diligenté par le Tribunal de grande instance de Lyon, que l’état de santé psychiatrique de l’intéressé paraissait globalement stabilisé, notamment en raison de la prise en charge institutionnelle antérieure. Par suite, et bien que l’intéressé présentât encore une perturbation relationnelle nette, le centre hospitalier n’a pas commis de faute en le plaçant dans un régime d’hospitalisation de jour, le laissant libre de ses mouvements le soir venu. Pour les mêmes raisons, M. A ne relevait pas de l’hospitalisation sous contrainte. Ainsi, il ne peut être reproché au centre hospitalier de ne pas avoir averti les services préfectoraux de l’état de santé de ce dernier.