La Cour de cassation renforce les droits des patients - Objectif Soins & Management n° 188 du 01/08/2010 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 188 du 01/08/2010

 

Droit

Gilles Devers  

CONSENTEMENT ÉCLAIRÉ → Une décision de justice qui va faire du bruit. Dans un arrêt du 3 juin 2010 (n° 09-13591), la Cour de cassation bouleverse la donne au sujet de l’information préalable, affirmant que tout manquement cause un préjudice, même s’il n’a pas modifié la décision du patient. Un revirement de jurisprudence.

UNE INTERVENTION BIEN CONDUITE, MAIS AVEC LA RÉALISATION D’UN ALÉA

Un patient, souffrant depuis plusieurs années de troubles de la miction, présente début avril 2001 une rétention urinaire aiguë l’amenant à se rendre aux urgences du CHU, où est installée une sonde vésicale. Il consulte le 17 avril un médecin urologue, exerçant en libéral, qui le 20 avril pratique une adénomectomie prostatique dans une clinique.

Se plaignant d’impuissance depuis cette intervention, le patient obtient en référé la désignation d’un expert. La problématique est connue. En effet, la rétention d’urine, complication de l’adénome prostatique, impose un traitement d’urgence par la sonde urinaire ; mais laisser celle-ci en place fait courir un risque d’infection. Aussi, on traite le plus rapidement possible l’adénome prostatique afin de rétablir la perméabilité et enlever la sonde.

Pour l’expert, l’impuissance sexuelle est une conséquence de l’intervention, mais cette intervention, nécessaire, a été pratiquée dans les règles de l’art. Il explique que le risque d’impuissance après une adénomectomie prostatique est inférieur à 5 % et ajoute qu’il n’y avait pas d’alternative à cette intervention, étant donné le risque infectieux. Ainsi le préjudice est réel, mais l’expert ne fait pas le lien avec une faute médicale.

PAS DE RESPONSABILITÉ S’IL N’Y A PAS DE DOMMAGE

→ Le tribunal. Malgré ce rapport d’expertise défavorable, le patient engage un recours en responsabilité devant le tribunal de grande instance compétent car l’intervention a été pratiquée par dans un établissement privé. Son action est fondée sur le défaut d’information. Pour le tribunal (7 février 2007), le geste chirurgical n’est pas fautif, et la survenance de l’impuissance n’est qu’un aléa, ce qui ne permet pas l’indemnisation. En revanche, le médecin a manqué à son devoir d’information, alors que ce risque était connu, et le patient avait perdu une chance d’échapper au risque, évaluée à 30 % du préjudice. Le patient et le médecin font appel.

→ La cour d’appel. La cour (9 avril 2008) s’intéresse d’abord aux conditions de l’information, telles qu’elles ressortent du dossier, sachant que cette preuve incombe au médecin. Celui-ci justifie son habitude de remettre à ses patients à la suite de la consultation préopératoire un document standardisé d’information qu’il leur fait signer et le patient reconnaît avoir été informé du risque d’éjaculation rétrograde généré par l’intervention. En revanche, le médecin ne justifie pas avoir informé du risque de troubles érectiles. Ce fait acquis, il faut déterminer s’il s’agit d’une faute et donc quel dommage en résulte.

Pour la cour, l’adénomectomie était nécessaire, compte tenu des risques d’infection, et devait être effectuée rapidement. Mais ceci ne dispense pas le médecin de son devoir d’information quant aux risques inhérents à l’intervention. En effet, une intervention chirurgicale est toujours justifiée par une nécessité médicale, et cette nécessité ne peut faire disparaître celle de l’information. De telle sorte, la faute du médecin est établie.

Mais il n’y avait pas d’alternative et il fallait faire vite. Si le patient avait été averti des risques de troubles érectiles encourus, il n’aurait pas renoncé à l’intervention pour choisir de porter une sonde vésicale, avec la gêne et les risques que cela comprend. Aussi, le défaut d’information ne lui a pas fait perdre de chance d’échapper au risque qui s’est réalisé, et la cour écarte toute indemnisation. C’est la jurisprudence établie : la faute dans l’information, mais pas de conséquences dommageables.

REVIREMENT : LA VIOLATION DE LA LOI CAUSE UN PRÉJUDICE

La Cour de cassation (3 juin 2010) vise les articles16 et 16-3 du Code civil. N’oublions jamais que, s’agissant des règles fondamentales, le Code de la Santé publique intervient après le Code civil et le Code pénal. Je rappelle l’article16 : « La loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie. » Et l’article16-3 : « Il ne peut être porté atteinte à l’intégrité du corps humain qu’en cas de nécessité médicale pour la personne ou à titre exceptionnel dans l’intérêt thérapeutique d’autrui. Le consentement de l’intéressé doit être recueilli préalablement hors le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle il n’est pas à même de consentir. »

La Cour reprend le classique : toute personne a le droit d’être informée, préalablement aux investigations, traitements ou actions de prévention proposés, des risques inhérents à ceux-ci, et que son consentement doit être recueilli par le praticien, hors le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle elle n’est pas à même de consentir. Mais suit la révolution, ou tout au moins le revirement de jurisprudence : « Le non-respect du devoir d’information qui en découle, cause à celui auquel l’information était légalement due, un préjudice, qu’en vertu du dernier des textes susvisés, le juge ne peut laisser sans réparation. »

La cour d’appel avait établi la faute dans l’information, mais relevé qu’il n’y avait pas d’alternative, et qu’il était improbable que le patient, avisé du risque de troubles érectiles, aurait renoncé à l’intervention.

La Cour de cassation répond non. L’obligation du médecin d’informer son patient avant de porter atteinte à son corps est fondée sur la sauvegarde de la dignité humaine, et le médecin qui manque à cette obligation fondamentale cause nécessairement un préjudice à son patient, fût-il uniquement moral, que le juge ne peut laisser sans indemnisation.

L’affaire va donc revenir devant la cour d’appel de Bordeaux, qui devra statuer. Pour un préjudice purement moral, le chiffre restera faible, mais la portée de cette jurisprudence est considérable : tout manquement à l’obligation d’information ouvre droit à indemnisation, et la machine à procès peu repartir.

CE QUI DISAIT LA COUR DE CASSATION…

La jurisprudence ancienne résultait de l’affaire Hédreul, jugée par la Cour de cassation le 20 juin 2000 (n° 98-23046). Un médecin n’avait pas informé son patient d’un risque grave de perforation intestinale inhérent à une coloscopie avec ablation d’un polype, risque qui s’était réalisé. Le patient, dont le père était mort d’un cancer du côlon, souhaitait se débarrasser de troubles intestinaux pénibles et de craintes pour l’avenir : la rectocolite dont il était atteint favorisait la survenue d’un cancer et le polype découvert devait être enlevé compte tenu du risque de dégénérescence en cancer. La Cour avait jugé que le médecin n’avait pas informé correctement, mais avait ajouté qu’informé du risque de perforation, le patient n’aurait refusé ni l’examen, ni l’exérèse du polype, de sorte qu’il ne justifiait d’aucun préjudice indemnisable.

On voit ici l’ampleur du changement d’analyse, la Cour jugeant dix ans plus tard, par son arrêt du 3 juin 2010, que le manquement à la loi, même sans conséquences physiques, crée un dommage qui ne peut être laissé sans réparation. Les équipes doivent donc adapter leurs pratiques. La seule limite reste l’urgence, réelle, et l’impossibilité pour le patient de comprendre.

Une dernière chose : ce revirement ne vaut que pour le secteur privé. Pour les établissements publics, la jurisprudence reste celle posée par le Conseil d’État le 15 janvier 2001 (n° 184386). Le défaut d’information du patient quant aux risques encourus est une faute susceptible d’engager la responsabilité du centre hospitalier ; mais si l’état de santé de l’intéressé nécessite l’intervention et qu’il n’existe pas d’alternative thérapeutique moins risquée que l’opération réalisée, la faute commise n’entraîne pas de perte de chance pour le patient de se soustraire au risque qui s’est réalisé, et aucune indemnisation n’est due.

Une même loi, deux interprétations différentes par deux cours… Mais le Conseil d’État pourra-t-il rester sur cette ligne, qui confère une moindre protection aux patients ? Affaire à suivre. Et le débat continuera si le gouvernement maintient, dans la réforme de la psychiatre, cette inacceptable notion de “soins sans consentement”. Non, on ne soigne pas sans consentement, parole d’infirmier !