Connaître les Mici pour mieux les combattre - Objectif Soins & Management n° 188 du 01/08/2010 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 188 du 01/08/2010

 

Point sur

Nathalie Mercier  

Votre regard a sûrement croisé ces derniers temps quelques affiches de l’association François Aupetit vous invitant à vous joindre au combat pour vaincre les Mici, mais le sens du terme et la réalité que recouvre ces affections dites “maladies inflammatoires chroniques de l’intestin” restent peut-être un peu vagues pour vous.

Les Mici résultent de l’inflammation, intermittente ou continue, d’une partie de la paroi intestinale. Elles s’opposent à la colopathie fonctionnelle imputable à un dysfonctionnement des commandes nerveuses de l’intestin, sans lésion visible des parois intestinales. Selon son intensité, l’inflammation des Mici peut se traduire par de simples rougeurs et gonflements de la paroi intestinale ou par des pertes de substance plus ou moins profondes : érosions ou ulcères. Ces derniers laissent parfois des cicatrices fibreuses pouvant rétrécir le diamètre de l’intestin (sténose) ou donner lieu à des fistules quand l’ulcération traverse la paroi intestinale et fait communiquer entre eux plusieurs organes.

La rectocolite ulcéro-hémorragique (RCH) représente environ 80 % des Mici et la maladie de Crohn 15 %, les 5 % restant étant des colites indéterminées. La RCH touche toujours le bas du rectum et s’étend plus ou moins vers le haut, sans jamais déborder sur l’intestin grêle, tandis que la maladie de Crohn peut toucher toutes les parties du tube digestif, en théorie, de la bouche à l’anus. Trois localisations sont toutefois plus fréquentes : les atteintes isolées de l’iléon – partie terminale de l’intestingrêle – (25 % des cas) ou du côlon – gros intestin – (35 % des cas), l’atteinte contiguë de l’iléon et de la première partie du côlon (20 % des cas). La distinction entre ces affections paraît facile sur un plan théorique mais elle l’est moins en pratique ; le diagnostic n’est en effet posé d’emblée que huit fois sur dix au début de l’affection.

Pour faire le distinguo entre ces maladies, il y a lieu de s’aider de la clinique, d’examens endoscopiques et/ou radiologiques (transit du grêle), de biopsies et, dans les cas difficiles, de la recherche approfondie d’une atteinte inflammatoire d’un segment intestinal autre que le côlon ou de la recherche d’anticorps : ceux dirigés contre le cytoplasme des polynucléaires neutrophiles (p-Anca) sont généralement positifs au cours de la RCH et ceux contre la levure de bière (ASCA pour anticorps anti-Saccharomyces cerevisiae) caractérisent plutôt la maladie de Crohn..

S’il n’y a pas d’urgence à poser un diagnostic précis au début, le traitement étant globalement le même, il est en revanche impératif de le faire lorsque l’ablation totale du côlon est envisagée, comme le précise le Pr Beaugerie.

À QUOI SONT-ELLES DUES ?

Les Mici peuvent être imputables à l’altération d’un ou plusieurs gènes mais ne sont pas à proprement parler des maladies héréditaires. La probabilité d’en être atteint, qui est de 0,1 % en population générale, passe à 1 % chez les enfants dont l’un des parents est malade, et à 50 % chez ceux dont les deux parents sont touchés.

L’origine infectieuse des Mici a été évoquée mais jamais démontrée à ce jour ; en revanche, il est presque acquis que le système immunitaire de l’intestin réagit anormalement contre certaines bactéries résidentes, notamment dans la maladie de Crohn, ce qui pérennise l’inflammation intestinale.

Le mode de vie occidental est associé à un risque accru de développer une Mici : alimentation plus riche en sucre et pauvre en fibres, amélioration des conditions d’hygiène dans l’enfance, réfrigération des aliments… ces causes restent discutées. La consommation de tabac, quant à elle, a la particularité d’augmenter le risque de développer une maladie de Crohn mais de diminuer un peu celui d’avoir une RCH ; le bénéfice-risque ne justifie pas, bien sûr, de tirer sur la cigarette…

L’hypothèse d’un profil psychologique particulier des personnes atteintes est abandonnée mais il reste vrai que le stress peut aggraver les symptômes voire, dans de rares cas, déclencher des poussées inflammatoires. Un soutien psychologique s’avère toutefois utile, quelle que soit la personnalité, notamment lorsque les symptômes de la maladie ont un retentissement important sur la vie familiale, affective et professionnelle, lorsqu’une intervention est susceptible de modifier le schéma corporel et au cours des périodes d’anxiété et/ou de dépression qui peuvent émailler le cours de la maladie.

LES SYMPTÔMES

La symptomatologie de la RCH varie selon l’étendue de l’inflammation. Lorsqu’elle est localisée aux derniers centimètres du rectum, les symptômes peuvent se limiter à l’émission de sang entourant des selles normales ou dures. Plus importante, elle s’accompagne d’un syndrome dysentérique plus ou moins complet (émission en dehors des selles de glaires et/ou de gouttes de sang et/ou de liquide teinté, faux besoins ou coliques très douloureuses), mais peut aussi se traduire par une véritable diarrhée, hémorragique ou non, généralement associée à des coliques.

En ce qui concerne la maladie de Crohn, le type et l’intensité des symptômes dépendent du segment intestinal atteint et de la nature des lésions des parois. Les deux manifestations les plus fréquentes sont les douleurs abdominales et la diarrhée chronique (plus d’un mois) – souvent hémorragique lors des atteintes coliques. Quand la maladie de Crohn descend très bas et touche la région anale, elle donne naissance, selon les cas, à des fissures, des abcès ou des fistules, plus rarement, à des sténoses.

Les Mici peuvent s’accompagner de signes généraux comme la fièvre au moment des poussées, la fatigue ou la perte de poids. Cette dernière peut être imputable à plusieurs causes : une réduction des apports alimentaires par perte d’appétit ; une peur de manger et de déclencher des douleurs abdominales ou d’aggraver la diarrhée ; une perte de protéines, donc de calories, ou une mauvaise assimilation des aliments par défaut d’absorption au niveau de l’intestin grêle dans la maladie de Crohn.

D’autres organes que de l’intestin peuvent être atteints dans les Mici : un patient sur cinq souffre de douleurs articulaires au moment des poussées (genoux, chevilles, épaules, poignets ou coude), un sur dix présente des manifestations au niveau de la peau et des muqueuses (érythème noueux, aphtes, pyoderma gangrenosum), des yeux (irritation locale, douleurs des globes oculaires ou intolérance à la lumière), des voies biliaires (cholangite) ou des articulations entre le sacrum et le bassin ou la colonne vertébrale (ces dernières ayant la particularité de pouvoir survenir indépendamment des poussées).

L’activité des Mici est parfois comparée à celle de volcans dont l’activité est intermittente et imprévisible. Il faut donc globalement les considérer comme des maladies de toute la vie, comme le rappelle le Pr Beaugerie. Les cas évoluant de façon quasi continue sont heureusement rares (de l’ordre de 10 %) ; les périodes d’extinction apparente, quant à elles, sont de l’ordre de 25 %, sans doute même un peu plus dans les RCH. La prise d’anti-inflammatoires non stéroïdiens peut déclencher une poussée de Mici, de même que les gastroentérites et, dans une moindre mesure, le stress psychologique. Le tabac, ne serait-ce qu’une cigarette par jour, aggrave la maladie de Crohn, surtout chez les femmes. En dépit des complications qu’elles impliquent, les Mici ne retentissent pas ou très peu sur l’espérance de vie.

LES TRAITEMENTS

Les objectifs du traitement des Mici sont, à court terme, de venir à bout des symptômes des poussées (traitement d’attaque) et, à moyen et long termes, d’empêcher la survenue de récidives après une poussée ou de vaincre les symptômes durables chez les patients présentant des manifestations chroniques (traitement dit de fond ou d’entretien).

La “riposte” est adaptée à l’importance de “l’attaque” en matière de poussée. Le traitement repose en première intention sur les dérivés aminosalicylés. Les corticoïdes ne sont requis que si le traitement initial est inefficace ou si la poussée est moyenne ou sévère.

Après la première poussée, la question d’un traitement de fond par dérivés aminosalicylés est discutée. Ce traitement est indiqué au cours de la RCH et se discute au cours de la maladie de Crohn selon que la maladie tend ou non à devenir chronique ou à rechuter.

Le choix des traitements est habituellement guidé par une stratégie dite ascendante ou progressive. Dans l’ordre, on utilise en général : les dérivés aminosalicylés (mésalazine, olsalazine, sulfasalazine), les corticoïdes en comprimés ou en intraveineux (prednisone, prednisolone, budésonide), les immunosuppresseurs (analogues des purines comme l’azathioprine ou la 6-mercaptopurine et méthotrexate notamment) et les nouveaux traitements biotechnologiques de type anticorps anti-TNF-alpha comme l’infliximab (ils agissent en neutralisant le TNF-alpha qui est un médiateur de l’inflammation retrouvé de façon importante dans les Mici).

Cette stratégie est actuellement rediscutée : d’une part, parce que les risques à long terme d’être opéré ne semblent pas avoir radicalement changé ces dernières années malgré une utilisation plus maîtrisée et large des traitements de fond puissants et, d’autre part, parce que, dans le cas de la maladie de Crohn, il pourrait y avoir un intérêt à opter, au contraire, pour une stratégie dite descendante, c’est-à-dire prônant l’utilisation précoce de traitements lourds, quitte à les alléger secondairement. Sur ce sujet, les recherches se poursuivent.

Le traitement d’une poussée grave de Mici, c’est-à-dire d’une poussée qui menacerait la vie si un traitement énergique en milieu hospitalier n’était pas institué, fait appel aux anti-inflammatoires les plus puissants ou à la chirurgie. Ces traitements sont parfois complétés par la prise d’anticoagulants pour éviter les phlébites ou les embolies ou d’antibiotiques pour traiter des infections ou des abcès constitués.

UNE VIE… PRESQUE NORMALE

Avoir une Mici n’empêche pas d’avoir des enfants et ne contre-indique aucune activité professionnelle. Ces affections ne sont toutefois pas anodines et imposent un certain nombre de précautions : solliciter un soutien psychologique pour ne pas se laisser déborder par la maladie ; éviter les activités sportives trop intenses lors des poussées, dans les suites immédiates d’une intervention chirurgicale induisant une ouverture de l’abdomen ou en cas de stomie ; prendre les précautions nécessaires en cas de voyage (avoir la quantité de médicaments nécessaires au traitement et les derniers éléments du dossier avec soi, éviter la turista, vérifier que les vaccinations sont compatibles avec un éventuel traitement immunosuppresseur, savoir quand consulter en urgence).

Sous réserve que la grossesse ait lieu en période d’inactivité de la maladie, les femmes ont toutes les chances de mettre un enfant au monde en bonne santé et dans de bonnes conditions. Le méthotrexate est le seul traitement de fond qui, chez la femme comme chez l’homme, contre-indique formellement le projet de grossesse et impose une contraception efficace pendant la durée du traitement et plusieurs semaines après son arrêt. La plupart des traitements spécifiques des Mici sont utilisables au cours de la grossesse mais incompatibles avec l’allaitement.

Remerciement au Pr Laurent Beaugerie, gastroentérologue à l’hôpital Saint-Antoine, qui consacre plus de la moitié de son exercice à ces maladies

RISQUES

MICI ET CANCER

Au cours des Mici, le risque de développer un cancer du rectum ou du côlon augmente principalement lorsque l’inflammation touche plus de la moitié de la surface du côlon et évolue depuis plus de sept à dix ans ou qu’il existe des antécédents familiaux de cancers du côlon : elle justifie alors une surveillance endoscopique. Par ailleurs, l’utilisation des traitements immunosuppresseurs augmente légèrement la fréquence des lymphomes.

INTERVENTION

Passage au bistouri

→ Au bout de vingt ans, le risque d’ablation chirurgicale d’un segment de l’intestin est de l’ordre de 20 % lors d’une RCH et de 80 % lors d’une maladie de Crohn. Mais les récents progrès dans les traitements vont certainement faire baisser ces chiffres. L’intervention peut être rendue nécessaire en urgence lorsque le traitement médical ne vient pas à bout d’une poussée de la maladie, lorsque les poussées sont quasi permanentes ou que la maladie reste évolutive en dépit des traitements de fond et en cas de dysplasie sévère ou de cancer digestif.

→ Dans la RCH, lorsque l’intervention chirurgicale est nécessaire, l’ablation de la totalité ou de la quasi-totalité du côlon est la règle ; le choix porte alors sur la conservation ou non du rectum. Selon les cas, il s’agira donc soit d’une colectomie subtotale avec anastomose iléo-rectale, soit d’une proctocolectomie totale avec anastomose iléo-anale, c’est-à-dire d’un abouchement de l’intestin grêle, soit au rectum, soit à l’anus. Dans le cas de la maladie de Crohn, la résection d’un segment de l’intestin grêle et/ou du côlon peut être nécessaire, alors que celle du rectum et de l’anus est rare.

→ La stomie ou “poche” peut être nécessaire de façon transitoire (comme pour la RCH) ou définitive dans des situations de dernier recours après des périodes d’évolution de la maladie souvent longues et douloureuses. Dans ce cas, la résection de la partie malade est suivie de l’abouchement définitif du côlon (colostomie) ou – cas le plus fréquent – de l’intestin grêle (iléostomie terminale définitive) à l’abdomen.

→ Après le traumatisme que constituent la confection et le port d’une poche et la période d’acceptation psychologique et d’habituation à celle-ci, la qualité de vie est jugée assez bonne par les patients, la seule contrainte alimentaire étant de boire et de manger salé. Les 500 à 700 ml/j de liquide grumeleux qui coulent par la poche n’ont pas la mauvaise odeur habituelle des selles et un filtre désodorisant laisse passer les gaz, évitant le gonflement de la poche.

À savoir

COMPLÉMENT D’INFORMATIONS

→ AFA (Association François Aupetit)

• Adresse : hôpital Saint-Antoine, 184 rue du Faubourg Saint-Antoine 75571 Paris cedex 12

• Tél. : 01 43 07 00 49

• Fax : 01 43 07 00 63

→ Maladie de Crohn et rectocolite hémorragique

Ouvrage de Laurent Beaugerie, édition médi-text 2005, 25 euros