Suicide à Bichat : expertise sur la souffrance des cadres - Objectif Soins & Management n° 187 du 01/06/2010 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 187 du 01/06/2010

 

Actualités

Joëlle Maraschin  

LE MAL DU SIECLE ? → Suite au suicide d’une cadre de santé de l’hôpital Bichat Claude-Bernard en 2008, une expertise indépendante diligentée par le CHSCT confirme la souffrance au travail des cadres de l’hôpital.

« Il aura fallu un suicide pour qu’il y ait enfin une expertise sur la souffrance au travail », déplore Catherine Rambaldelli, élue Force ouvrière au Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) central de l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP).

Deux à la place de cinq

En juillet 2008, une cadre de santé de 33 ans s’était suicidée à son domicile en laissant une lettre invoquant son stress professionnel. Une enquête interne de la Direction générale avait alors estimé que le suicide de la jeune femme était davantage lié à des « problèmes d’ordre privé » qu’à son travail. La mobilisation des élus locaux a cependant permis la réalisation d’une expertise indépendante réalisée par le cabinet Secafi. « Estelle avait accumulé pas moins de 170 jours de récupération en neuf mois », martèle Sandrine Desgrugilliers du syndicat Sud de Bichat.

Sans écarter ni confirmer l’origine du passage à l’acte avec l’environnement professionnel de la victime, les experts de Secafi notent cependant qu’Estelle et son supérieur hiérarchique ont assuré à deux les responsabilités précédemment partagés par cinq cadres. C’est sur la base de l’analyse des experts et des témoignages des collègues de la jeune femme que la Commission de réforme de l’AP-HP vient de donner un avis favorable à la reconnaissance du suicide en accident du travail.

Des effets indéniables sur la santé

Le diagnostic de Secafi montre en effet que l’organisation du travail des cadres entraîne une forte fragilisation de leur santé. Beaucoup des cadres de Bichat rencontrés par les experts se sont plaints de difficultés somatiques, mais surtout de troubles émotionnels et comportementaux en lien avec leur travail : irritabilité, agressivité, sensations de mal-être, crises de larmes, épisodes de fatigue, tension, stress, voire idées suicidaires…

Les experts soulignent que le contenu du travail des cadres, allant des tâches les plus simples aux tâches les plus complexes, induit une gestion des priorités fondée sur le tout-venant, un sentiment d’invisibilité du travail, mais aussi une charge de travail trop importante.

Ils évoquent également le manque de soutien et d’écoute de la direction. « Les cadres assument l’autorité qui leur est attribuée mais le décalage entre les moyens et les besoins induit une charge de travail et par là une mobilisation excessive, préviennent les experts. De surcroît, ce surmenage se heurte à une banalisation collective des atteintes à la santé. ».

Maintenant, l’urgence

Selon eux, il serait nécessaire de redéfinir les contours du métier afin d’éviter la dispersion des tâches et des dérives en termes de dilatation du temps de travail.

Rappelant que le malaise des cadres a déjà été pointé par quelques études, notamment l’expertise du Cnam et l’enquête Press-Next, les experts estiment qu’il est urgent d’agir. La direction de l’AP-HP et les élus au CHSCT central se sont lancés depuis quelques mois dans un vaste projet de prévention des risques psychosociaux pour l’ensemble des personnels, des agents des services hospitaliers (ASH) aux médecins, en passant par les cadres. Plusieurs groupes de travail ont d’ores et déjà été convoqués. Mais les élus estiment que la mise en œuvre des mesures de prévention de la souffrance au travail va beaucoup trop lentement. Et la suppression annoncée de milliers de postes est loin de soulager les inquiétudes des uns et des autres.