La ventilation non invasive en réanimation - Objectif Soins & Management n° 187 du 01/06/2010 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 187 du 01/06/2010

 

Point sur

Brice Pellegrini*   Isabelle Mialon**   Ali Mofredj***   Belinda Maioli****  

La ventilation non invasive (VNI) est une assistance ventilatoire sans mise en place de sonde d’intubation ou de trachéotomie. Il en résulte une nette réduction des complications mécaniques et infectieuses liées à la canulation de la trachée. L’absence de sédation laisse également au patient la possibilité de s’exprimer et de s’alimenter, améliorant ainsi son confort.

Si les modalités ventilatoires sont superposables à celle de la ventilation conventionnelle, la réalisation d’une VNI implique la prise en compte de trois paramètres : le patient, les interfaces et le ventilateur. Le succès de cette thérapeutique accorde un rôle prépondérant à l’infirmière dès sa mise en route, mais aussi lors de la surveillance.

INDICATIONS

Les indications peuvent être multiples. La conférence de consensus de 2006 les a scindées en des indications validées et potentielles (cf. tableau page suivante). Parmi les indications formelles, la décompensation de broncho-pneumopathie chronique obstructive (BPCO) (acidose respiratoire et pH < 7,35) constitue la situation la plus fréquente. Dans l’œdème aigu pulmonaire cardiogénique, la VNI se conçoit en complément d’un traitement médical adapté et optimal, ou en cas d’échec de ce dernier. Elle doit être débutée dès l’apparition des signes cliniques de détresse respiratoire ou en présence d’une hypercapnie.

Chez le patient immunodéprimé, en détresse respiratoire, la VNI révèle tout son intérêt en évitant les complications infectieuses liées à l’intubation orotrachéale. La VNI trouve également un intérêt dans les sevrages ventilatoires difficiles comme chez les patients souffrant de BPCO et/ou hypercapnique. Un relais VNI de la ventilation invasive permet ainsi une extubation relativement précoce et une réduction des complications liées à l’intubation.

De nombreuses autres situations cliniques pourraient bénéficier de la VNI à l’avenir. Elles ont été citées comme potentielles, sans caractère exhaustif, par la conférence de consensus de 2006.

CONTRE-INDICATIONS

Si les indications ont été clairement définies, le succès de la VNI repose avant tout sur le respect des contre– indications (cf. tableau page suivante). Celles-ci peuvent être présentes dès l’admission du patient ou apparaître après la mise en route de la VNI. L’infirmière doit rester vigilante tout au long du traitement, et particulièrement les trente premières minutes. L’initiation du traitement doit être précédée par une information claire et une explication de la technique au patient, dans l’optique d’obtenir sa totale coopération. Une insuffisance de moyens humains et matériels ou de formation doit faire renoncer à la VNI.

INTERFACES

L’interface idéale devrait avoir une bonne étanchéité, ne pas entraîner d’irritation cutanée, être la plus confortable possible, de faible poids et facile à mettre en œuvre.

Les interfaces disponibles sur le marché sont multiples et possèdent plusieurs tailles par modèle. Elles offrent des solutions diverses afin d’être les plus ergonomiques et efficaces possible pour chaque patient. Le choix de l’interface la mieux adaptée est prépondérant pour l’efficacité et la tolérance de la VNI.

Le masque nasal

Léger et d’un faible espace mort, il permet au patient de s’alimenter et de parler. Ce confort appréciable oblige, en revanche, le patient à garder la bouche fermée pour limiter les fuites et améliorer l’efficacité de la VNI. Il est donc déconseillé lors de situations aiguës.

Le masque naso-buccal

Il doit être recommandé en première intention dans les situations aiguës. Il permet de limiter les fuites liées à une respiration buccale. D’un faible poids, il demande moins de coopération au patient. En revanche, ses nombreux points d’appui sont responsables d’inconfort, de douleur et de lésions cutanées. De nouveaux modèles, intégrant une jupe et/ou une coque souples, réduisent nettement l’appui nasal et améliorent la tolérance clinique de la VNI. Les irritations oculaires par fuites d’air (conjonctivites) et le risque d’inhalation de liquide gastrique, en cas de vomissements, sont importants. Ils appellent à une vigilance accrue de l’infirmière.

Le masque facial "Full face"

Il permet un meilleur confort du patient par une meilleure répartition des points d’appuis. Mais les fuites peuvent être très importantes, fonction de la morphologie du visage des patients. La sensation de claustrophobie peut aussi être plus importante qu’avec le masque naso-buccal. L’augmentation significative de l’espace mort est à prendre en compte lors de la prescription des modalités ventilatoires. Le risque d’irritations oculaires est superposable à celui des précédentes interfaces.

Le casque type Helmet

Il est plus confortable que les autres interfaces par son absence de contact avec le visage des patients. Mais l’espace mort est considérablement augmenté, pouvant diminuer l’efficacité de la VNI par réinhalation des gaz expirés et/ou par défaut de pressurisation. Sa fixation au niveau des aisselles peut entraîner des lésions cutanées. Par ailleurs, des otites, induites par l’arrivée du flux d’air au niveau des oreilles, ont été décrites. Ce masque est à proscrire en cas de claustrophobie.

Autres

D’autres interfaces sont disponibles sur le marché. Elles sont cependant peu ou pas utilisées en réanimation. L’embout buccal nécessite une grande coopération du patient pour limiter les fuites. Son usage est déconseillé à la phase aiguë. Le masque Bacou ou "masque pompier" a les avantages du masque facial avec une étanchéité supérieure et un confort accru lors d’utilisations prolongées. On ne l’utilise cependant pas en réanimation à cause du risque trop important de claustrophobie de part la conception de cette interface.

Le choix de l’interface est aussi conditionné par la nature du ventilateur disponible. Un ventilateur conventionnel disposant d’un module VNI ne tolère pas les fuites et exige un circuit à double branche. Les ventilateurs à fuites (BiPap Vision) imposent un circuit monobranche avec une valve expiratoire sur l’interface. Cette dernière ne tolère donc pas les interfaces à double branche type Helmet.

COMPLICATIONS

Les complications de la VNI peuvent être liées à l’interface et/ou à la technique ventilatoire elle-même. Le tableau en page suivante en liste les plus fréquentes ainsi que les solutions à apporter.

MODALITÉS VENTILATOIRES

La VNI utilise deux modes ventilatoires principaux : la VS-PEP et les modes assistés (VS-AI-PEP et VAC).

La VS-PEP

La ventilation spontanée avec pression expiratoire positive (VS-PEP) est le mode le plus simple et le plus connu. Il nécessite uniquement une valve expiratoire sur l’interface avec des niveaux de pressions préréglés selon chaque valve. Le niveau de pression est habituellement compris entre 5 et 10 cm H2O. Cette technique est parfois connue sous le terme de CPAP (Continuous Positive Airway Pressure) de Boussignac. Elle est beaucoup plus utilisée en préhospitalier et ne nécessite pas forcément de ventilateur. Toutefois, les nouveaux modèles de respirateurs, équipés d’un module VNI, peuvent disposer de cette modalité ventilatoire. La préférence doit cependant aller aux modes assistés dont la tolérance clinique est meilleure en offrant une réelle aide inspiratoire.

Les modes assistés

Ils nécessitent l’utilisation d’un ventilateur permettant le réglage du trigger inspiratoire (effort demandé au patient), d’une pente de pressurisation (ou débit), du temps inspiratoire maximal, du cyclage (trigger) expiratoire et d’une PEP. En outre, le ventilateur permet l’affichage du volume courant expiré et des pressions. Le trigger inspiratoire doit être le plus bas possible pour diminuer le travail des muscles inspiratoires. La pente est dépendante du profil de patient. Elle ne doit cependant pas être trop douce, au risque d’allonger la période inspiratoire et empêcher l’expiration du patient. Le temps inspiratoire correspond à la période où la pression d’insufflation est maintenue au niveau de l’interface, et donc des voies respiratoires. Elle ne doit pas excéder 1,2 seconde au risque d’empêcher l’expiration du patient. Le cyclage ou trigger expiratoire permet de couper l’insufflation et laisser le patient expirer passivement. Idéalement, le temps expiratoire doit être le double du temps inspiratoire (I/E : 1/2). Ce paramètre, quand il est disponible, améliore considérablement le confort du patient et ainsi le succès de la VNI.

La VNI sera utilisée soit dans un mode volumétrique (volume assisté contrôlé, VAC), soit dans un mode en pression (aide inspiratoire, PEP). La VS-AI-PEP est la modalité la plus utilisée, notamment en situation aiguë. Elle correspond à une ventilation avec deux niveaux de pression. Elle présente plusieurs avantages. En cas de fuites, la pression consignée sera maintenue et permettra de délivrer un volume courant approprié. La synchronisation patient/machine est habituellement bonne, justifiant l’utilisation initiale des modes en pression. L’association d’une PEP à l’aide inspiratoire a montré son efficacité pour réduire l’effort et le travail respiratoire. Enfin, l’utilisation de modes en pression possède l’intérêt potentiel de limiter la pression dans le masque, un facteur jouant probablement un rôle majeur à la fois dans les fuites, dans le risque d’insufflation gastrique et dans le confort et la tolérance de la ventilation.

Dans un mode volumétrique, le volume courant est habituellement délivré en réglant, en plus du volume lui-même, le débit de pointe, la forme du débit et le temps inspiratoire. Cette modalité présente l’avantage de délivrer un volume prédéterminé. Au-delà de s’avérer inconfortable, cette modalité ne trouve d’avantage qu’en cas d’atteinte neuro-musculaire ou dans des indications particulières. En somme, la VS-AI-PEP devrait être la modalité ventilatoire de choix dans la quasi-totalité des indications de la VNI.

MISE EN PLACE DE LA VNI ET RÔLE INFIRMIER

L’instauration d’une VNI nécessite du temps, de la patience et de l’empathie. Le patient doit se sentir en confiance, compris et entouré. L’infirmière prépare le matériel nécessaire. L’idéal est de disposer d’un charriot dédié à la VNI, avec pour avantage d’avoir à portée de mains tous les modèles d’interfaces disponibles dans le service.

Le patient est informé de la thérapeutique à mettre en place, de son but, et des intérêts potentiels pour sa maladie. Sa collaboration est requise pour le succès du traitement. Les inconforts éventuels qu’il risque de ressentir lui sont explicités, en insistant sur l’existence de solutions. On peut aussi solliciter son avis sur le choix de l’interface.

Il est ensuite installé de manière confortable et adaptée, en position demi-assise. L’infirmière vérifie la présence d’un appareil dentaire qu’il peut être utile de garder pour éviter les fuites. Le premier essai se fait sans ventilation, le masque tenu par le patient. Ensuite, une ventilation mécanique est introduite. L’infirmière peut aider le patient en lui maintenant le masque le temps qu’il se synchronise avec la machine. Quand il se sent prêt, une protection cutanée de type hydrocolloïde est placée sur l’arête nasale en fonction de l’interface choisie. Le harnais est fixé en contrôlant l’absence de fuites et en surveillant sa tolérance.

L’infirmière reste auprès du patient les quinze à vingt premières minutes afin de le rassurer, de réajuster le positionnement du masque et les réglages du ventilateur avec l’aide du médecin.

La contention est à proscrire car elle augmente le stress du patient et son inconfort.

La VS-AI-PEP est le mode à préférer en situation aiguë. Sa mise en œuvre privilégie l’augmentation progressive de l’AI en débutant par 4 à 6 cm H2O environ. Un faible niveau d’assistance permet ainsi d’être mieux toléré et accepté par le patient. On augmente ensuite, et si nécessaire, l’aide jusqu’à un niveau optimal 15 à 20 cm H2O. Celui-ci permet d’obtenir le meilleur compromis entre l’importance des fuites et l’efficacité de l’assistance ventilatoire.

Un volume courant expiré cible autour de 6 à 8 ml/kg est recommandé. Une pression inspiratoire totale dépassant 20 cm H2O expose à un risque accru d’insufflation d’air dans l’estomac et de fuites.

Le niveau de la PEP le plus souvent utilisé se situe entre 4 et 10 cm H2O selon l’indication de la VNI. Il doit être atteint progressivement, en commençant à 0. La PEP est recommandée en cas d’hypoxémie majeure et pour contrebalancer l’effet délétère de la présence d’une PEP intrinsèque importante avec hyperinflation dynamique.

Pour affiner ces réglages, le médecin et l’infirmière interrogent régulièrement le patient : « Avez-vous assez d’air ou non, la fréquence est-elle trop lente, trop rapide, avez-vous le temps d’inspirer, avez-vous le temps d’expirer, l’insufflation est-elle trop rapide ou trop lente ? »

La durée de la séance de VNI est variable selon la pathologie traitée. Quand elle peut être courte (quinze à soixante minutes), l’adhésion du patient au traitement est beaucoup plus importante. Cependant, elle peut dépasser plusieurs heures ou être continue, particulièrement chez des patients ayant des antécédents de pathologies respiratoires chroniques (BPCO).

L’humidification de l’air insufflé permet une meilleure tolérance de la VNI. Elle peut être réalisée par un humidificateur chauffant ou un filtre échangeur de chaleur et d’humidité. Si la durée des séances de VNI est prolongée, l’utilisation d’un humidificateur chauffant doit être privilégiée.

LA SURVEILLANCE

L’infirmière évalue l’efficacité des séances : amélioration ou dégradation de l’état clinique. Elle trace ses actes et en réfère aux médecins. Elle apporte les soins de confort (hydratation, installation…) et surveille la tolérance de la VNI.

La surveillance est d’abord clinique. La fréquence respiratoire, le pouls et la tension artérielle doivent régulièrement être surveillés. La recherche de signes d’épuisement (sueurs, polypnée, cyanose, balancement thoraco-abdominal, troubles de la conscience) est constante. Il est en effet essentiel de dépister une aggravation sans attendre l’arrêt respiratoire et d’en référer immédiatement au médecin afin de procéder à une ventilation invasive.

L’infirmière doit régulièrement s’assurer de l’importance des fuites et de réadapter l’interface. Elle interroge régulièrement le patient sur son confort et sa tolérance à la VNI. La saturation en oxygène (> 90 %) et la capnographie, si disponible, doivent être monitorées en continu.

La gazométrie artérielle est primordiale pour évaluer l’efficacité de la VNI. Elle doit être réalisée après trente minutes de VNI au moins. L’infirmière peut anticiper l’acte en posant un patch d’Emla(r) bien avant le prélèvement et en expliquant l’acte au patient. À plus long terme, l’infirmière recherchera régulièrement les effets secondaires et les complications de la VNI (cf. tableau page ci-contre).

La surveillance du respirateur fait partie intégrale du rôle de l’infirmière. Il peut s’agir d’un problème du circuit : tuyaux coudés, déconnectés, obstrués, de l’interface (fuites), du patient (aggravation de l’état avec polypnée, apnée…). Elle notera sur une feuille de surveillance les paramètres réglés sur le respirateur ainsi que les constantes du patient. Le volume courant expiré (correspondant au volume cible de 6 à 8 ml/kg) doit être monitoré.

CONCLUSION

L’instauration d’une VNI nécessite du temps, de la patience et de l’empathie. Sa réussite évite au patient une intubation pouvant être à l’origine de complications majeures et mettant en jeu le pronostic vital. Elle ne peut néanmoins s’envisager que dans un cadre adapté.