Comment décloisonner sanitaire et médico-social ? - Objectif Soins & Management n° 187 du 01/06/2010 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 187 du 01/06/2010

 

Économie de la santé

Didier Jaffre  

ORGANISATION → L’un des objectifs majeurs des agences régionales de santé (ARS) est d’arriver à enfin décloisonner les secteurs sanitaire et médico-social. Mais une réforme de structure institutionnelle peut-elle réellement suffire à faire travailler ensemble des professionnels qui, dans les faits, se connaissent déjà ?

Depuis de nombreuses années, l’une des principales critiques adressées à notre système de santé est d’avoir des acteurs de soins qui ne sont pas coordonnés entre eux, ce qui est fortement préjudiciable pour une prise en charge globale des patients. Jusqu’à présent, ces deux secteurs relevaient de plusieurs décideurs : l’agence régionale de l’hospitalisation pour les hôpitaux et les cliniques, l’union régionale des caisses d’assurance maladie pour les professionnels de santé libéraux, les services déconcentrés de l’État (directions départementales et régionales des affaires sanitaires et sociales) pour les établissements pour personnes âgées et handicapées en lien très étroit avec les conseils généraux. Si la loi relative à l’hôpital, aux patients, à la santé et aux territoires (HPST) n’a pas remis en cause cette compétence partagée avec les conseils généraux sur le secteur médico-social, désormais une seule instance est en charge des l’ensemble des professionnels et des établissements et services de santé et médico-sociaux : l’ARS.

LES CARACTÉRISTIQUES DU SECTEUR SANITAIRE

Du point de vue des offreurs de soins, le secteur sanitaire regroupe à la fois les professionnels de santé libéraux et les établissements de santé.

Parmi les professionnels de santé libéraux, on peut identifier : les médecins généralistes et spécialistes, les pharmaciens, les chirurgiens-dentistes, les infirmiers, les masseurs-kinésithérapeutes, les ergothérapeutes, les psychologues, les podologues… Ces professionnels sont pour la plupart regroupés en Ordres et ont des représentations sous formes syndicales et sous formes d’unions. Leurs rémunérations relèvent du champ conventionnel négocié avec l’Assurance maladie, tandis que leur installation relève désormais de l’ARS. Celle-ci est ainsi chargée de mettre en place d’ici la fin de l’année des unions régionales pour chaque catégorie de professionnels, unions avec lesquelles l’ARS pourra contractualiser pour mettre en place des solutions innovantes pour pallier les difficultés inhérentes à la démographie des professionnels de santé.

Les professionnels de santé libéraux interviennent à l’acte, dans leur cabinet ou au domicile du patient, mais également dans les établissements de santé (privés principalement, mais la loi HPST ouvre désormais l’hôpital public aux libéraux) et les établissements et services médico-sociaux (médecin coordonnateur dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, Ehpad, par exemple). Les professionnels de santé libéraux sont donc à l’interstice des établissements de santé, des établissements et services médico-sociaux et du domicile des malades. Ils sont le point commun à ce titre au secteur sanitaire et médico-social, et assure normalement la coordination des soins et des prises en charges : c’est bien là tout l’intérêt des réseaux de santé, ville-hôpital-médico-social, des maisons de santé pluridisciplinaires.

Les établissements de santé sont composés quant à eux des établissements publics, qui regroupent désormais une seule catégorie : les centres hospitaliers (centre hospitalier universitaire, régional, référent, de proximité, spécialisé en psychiatrie, ex-hôpitaux locaux) et des établissements privés, qu’ils soient à but lucratif ou non lucratif (et dans ce dernier ils peuvent demander la reconnaissance en établissement privé d’intérêt collectif, ex-établissement participant au service public hospitalier). Ils relèvent entièrement de l’autorité de l’ARS, en termes d’autorisations sanitaires, de contrôle, de budget, etc.

Mais du point de vue des usagers du système de santé, le secteur sanitaire délivre des soins en médecine, en chirurgie, en obstétrique, en psychiatrie, de suite et de réadaptation, de longue durée. Il répond aux urgences et garantit la permanence des soins en ville. Le secteur sanitaire répond donc à un besoin de santé à un moment donné, pour une durée plus ou moins longue, par l’intermédiaire de professionnels de santé qui interviennent soit au domicile du malade, dans leur cabinet ou en établissement. Il correspond à la réponse à une demande de soins qui peut être programmée ou non programmée, dans l’objectif d’améliorer l’état de santé de la personne qui y a recours et surtout de faire en sorte qu’elle n’ait plus besoin d’y recourir.

LES CARACTÉRISTIQUES DU SECTEUR MÉDICO-SOCIAL

Quant on parle du secteur médico-social, on distingue classiquement les établissements et services pour personnes handicapées et les établissements pour personnes âgées.

→ Ce qui caractérise les établissements et services pour personnes handicapées, c’est leur très grande hétérogénéité et la présence forte du milieu associatif, contrairement au secteur des établissements de santé. Car ce secteur s’est construit et consolidé justement par l’action des familles regroupées au fil du temps en associations et en fédérations. On distingue généralement les établissements et services pour enfants handicapés – Centres d’action médico-sociale précoce (CAMPS), centre médico-psycho-pédagogique (CMPP), Service d’éducation spéciale et de soins à domicile (SESSAD), Institut médico-éducatif (IME), Instituts thérapeutiques, éducatifs et pédagogiques (ITEP) et les établissements pour adultes handicapés comme les Services d’accompagnement médico-social pour adultes handicapés (SAMSAH), Établissements et services d’aide par le travail (ESAT), Centres de rééducation professionnelle (CRP), Centres pré-orientation (CPO), Maisons d’accueil spécialisée (MAS), Foyers d’accueil médicalisé (FAM). Très éclaté et très disparate, ce secteur commence à regrouper ces établissements afin d’améliorer leur gestion et surtout d’apporter une meilleure réponse avec l’intervention de professionnels spécialisés mutualisés. Les réformes successives ont permis de structurer le secteur et les ARS ont pour missions de poursuivre la politique de contractualisation engagées avec les associations gestionnaires.

→ Quant aux établissements et services pour personnes âgées, ils regroupent les Ehpad, les Ssiad (services de soins infirmiers à domicile), les structures spécialisées dans la prise en charge de la maladie d’Alzheimer. Les Ehpad relèvent de la compétence partagée de l’ARS et du conseil général, dans la mesure où ce dernier est en charge de la prise en charge individuelle des personnes âgées (versement de l’allocation prestation autonomie par exemple, prise en charge de l’aide sociale pour les personnes en institutions). Les Ehpad sont tarifés en fonction de la dépendance des personnes âgées et bénéficient d’une convention tripartite entre l’ARS, le conseil général et l’établissement qui fixe leurs objectifs et les évolutions de moyens afférents.

Si l’on se place du côté des personnes, handicapées ou âgées, le secteur médico-social répond à une demande de société de prise en charge tout au long de la vie pour les personnes handicapées ou de leur fin de vie pour les personnes âgées. Dans le premier cas, les personnes, en fonction de la gravité de leur handicap, vont avoir recours tout au long de leur vie aux services et établissements pour handicapés. Dans le second cas, les personnes âgées vont finir leur vie avec l’aide des services à domicile ou en institution. L’approche est donc totalement différente que celle dans le secteur sanitaire : si celui-ci va intervenir à un moment donné de courte durée, y compris pour les personnes handicapées et les personnes âgées, en revanche le second va permettre de construire totalement un parcours de vie sur une période très longue.

NÉCESSAIRE DÉCLOISONNEMENT DU SANITAIRE ET MÉDICO-SOCIAL

Les caractéristiques propres aux deux secteurs montrent bien qu’ils ne sont pas opposés, mais plutôt en parfaite complémentarité.

Le secteur médico-social doit ainsi pouvoir avoir recours au secteur sanitaire afin d’éviter par exemple l’hospitalisation en urgence des personnes relevant de son champ : c’est le cas notamment des personnes âgées. De même, la sortie d’une hospitalisation en soins de suite et de réadaptation de patients victimes d’accidents vasculaires cérébraux sévères doit être envisagée dès le début avec les structures et services médico-sociales si l’on veut que les soins prodigués continuent à améliorer la vie du malade. Il en est de même pour les malades psychiatriques et les passerelles à trouver entre les services hospitalisation complète, les MAS et les FAM.

Les deux secteurs ont de nombreux points communs, et au premier rang desquels les professionnels qui travaillent en leur sein. Ils sont les premiers à pouvoir organiser cette coordination nécessaire des interventions, mais également la mutualisation des savoir-faire et des connaissances. Mais, pour ce faire, il faut apprendre à se connaître. Et force est de constater que, jusqu’à présent, les points de rencontre communs étaient rares et plutôt organisés dans le sens inverse, chaque institution conservant soigneusement sa “chasse gardée” et son semblant de pouvoir, au détriment de la prise en charge globale de la personne handicapée ou âgée. Car il ne s’agit pas non plus de vouloir tout coordonner entre les deux secteurs, mais seulement leur point commun. Et celui-ci, c’est tout simplement la personne, qu’elle soit enfant ou adulte handicapée ou âgée.

Et c’est bien là tout l’enjeu des ARS : partir des véritables besoins de la personne, dans une logique populationnelle, afin de dépasser les frontières du sanitaire et du médico-social. Le schéma régional médico-social n’aura de sens que s’il permet d’organiser et d’optimiser la filière de prise en charge de l’enfant handicapé (psychique et/ou physique), de l’adulte handicapé (idem), de la personne âgée (dépendante ou non, atteinte de la maladie d’Alzheimer ou non). C’est comme cela que le schéma régional d’organisation médico-social, grande nouveauté de la loi HPST, doit être construit : autour de la personne. Ensuite, pour chaque type de population, il conviendra de construire une filière sanitaire-médico-social coordonnée, tout au long de la vie.

En revanche, partir de l’offre existante, qui peut être la grande tentation des ARS comme des offreurs de soins eux-mêmes (qui ont une forte tendance à se replier sur eux-mêmes pour mieux défendre leurs intérêts individuels), ne permettrait pas le décloisonnement tant attendu des deux secteurs, pourtant à la portée de tout un chacun tant les acteurs sont les mêmes.

D’une planification institutionnelle à une planification populationnelle

Deux approches de la planification peuvent être distinguées, l’une institutionnelle, l’autre populationnelle. Davantage complémentaires que concurrentes, elles relèvent de deux logiques différentes, la première centrée sur l’offre, la seconde sur la demande.

Alors que l’approche institutionnelle ou organisationnelle sert la logique de l’organisation – celle de l’offre de santé –, l’approche populationnelle privilégie les besoins de la population. Or, si la référence à la population et à ses besoins est clairement affichée dans les textes, la logique institutionnelle est particulièrement présente dans la conduite de la politique de santé, dans la mesure où son objet principal consiste à élaborer et à veiller à la réglementation de l’activité et du fonctionnement des offreurs de santé par l’édition de normes. Dès lors, la satisfaction des besoins apparaît plus comme une contrainte que comme un objectif à atteindre.

L’approche institutionnelle pour la planification sanitaire part des offreurs de santé, puis évalue leur fonctionnement, leurs forces et leurs faiblesses, et enfin les adapte en fonction des normes et des référentiels préétablis, en se fondant sur l’hypothèse qu’ils répondent aux besoins de la population.

À l’inverse, adopter une approche populationnelle pour la planification sanitaire, c’est partir des besoins de la population et adapter le système de l’offre de santé à ces besoins. Ces besoins sont alors caractérisés par les données démographiques (structure par âge et sexe), socio-culturelles (catégories socioprofessionnelles, niveaux de revenu, d’éducation), épidémiologiques (mortalité et morbidité), comportementales (flux de population). La politique de santé, et en particulier la planification, ont alors pour finalité d’adapter l’offre de santé à ces besoins.

Il est certain que ces deux approches relèvent plus de la complémentarité que de la substituabilité, et qu’un compromis entre les deux doit être trouvé. La planification sanitaire doit être fondée en premier sur l’étude des besoins de la population, mais il est impossible de faire fi des ressources de santé existantes, de leur localisation, de leur mode de fonctionnement et de leurs spécialités. La solution consiste alors à rechercher l’adéquation entre besoins et offre de santé, en prenant pour appui l’étude des besoins et non l’étude de l’offre.

L’offre de santé doit s’adapter aux besoins, voire les anticiper. On l’évalue en termes de qualité, de quantité et on apprécie la pertinence. L’étude des besoins vise à identifier le marché potentiel, sa structure actuelle et son évolution dans le temps. On peut retenir trois méthodes pour l’étude des besoins :

→ la méthode des besoins normatifs : des experts définissent des besoins théoriques par rapport à une norme. Ces besoins sont ensuite extrapolés au moyen de données épidémiologiques et démographiques ;

→ la méthode des objectifs de prestations : des objectifs de production et de distribution des services médicaux sont élaborés en tenant compte des besoins théoriques, des souhaits éventuels des individus et des conditions économiques ;

→ la méthode des besoins souhaités par la population, tels qu’ils sont ressentis.

Ces trois méthodes soulignent la complexité posée par la notion de besoin de santé.

Un modèle idéal de planification partant de l’identification des besoins et des problèmes à résoudre peut être envisagé :

→ connaître la morbidité de la population générale et les risques auxquels elle est exposée, par l’intermédiaire des outils épidémiologiques existants ;

→ traduire cette connaissance des besoins, qualitatifs et quantitatifs, en actions de prévention, de soins et de réadaptation. La perception des besoins varie selon que l’on se place du point de vue de la population, des élus, des professionnels, ou des gestionnaires ;

→ déduire de ces besoins l’organisation des services et des équipements nécessaires, avec les moyens en personnels suffisants ;

La planification populationnelle part ainsi des attentes des usagers : souhait d’un hôpital plus humain, souhait d’une coordination des soins, une exigence d’accessibilité et de proximité. Mais comment évaluer correctement les besoins souvent assimilés à la demande de soins ? Les difficultés rencontrées expliquent en grande partie que les responsables de la planification en santé préfèrent agir sur l’offre.