Faut-il l'hospitalisation d'office ? - Objectif Soins & Management n° 183 du 01/02/2010 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 183 du 01/02/2010

 

Droit

PSYCHIATRIE → Régulièrement, cette question revient dans l'actualité : système passoire, système inadapté, dangerosité... Une réforme semble indispensable. À l'examen, le problème est plus complexe que cela.

La psychiatrie reste durablement marquée par la stigmatisation liée à la souffrance psychique et, pour dire simple, à la folie. Passez 48 heures en observation aux urgences et vous reprendrez votre travail sans aucun souci. Passez 48 heures au service d'accueil de l'hôpital psychiatrique, et plus personne ne vous regarde de la même manière.

C'est bien regrettable, mais c'est ainsi, et sans doute encore pour longtemps si l'on en reste à ce discours qui systématiquement crée le doute et fait passer le patient psy pour une personne dangereuse ; alors que, dans la réalité, on sait qu'avant d'être dangereux, les patients psy sont d'abord et avant tout vulnérables. Ils ne sont pas les premiers agresseurs, mais plutôt les premières victimes.

HOSPITALISATION LIBRE

S'agissant de la prise en charge, le principe est constant. C'est le droit commun. Il n'existe pas un droit pour la prise en charge somatique et un droit pour la prise en charge psychique. Il existe un patient atteint d'une maladie et qui doit trouver la même réponse : des soins confiants, compétents, confidentiels et dans un environnement social adapté.

Ainsi, la base est le consentement et l'immense majorité des hospitalisations intervient dans le cadre du consentement libre. L'article L.3211-1 du Code de la Santé publique dit expressément qu'une personne ne peut sans son consentement être hospitalisée ou maintenue en hospitalisation dans un établissement accueillant des malades atteints de troubles mentaux, « hormis les cas prévus par la loi ». C'est dire qu'il existera un régime d'exception, l'hospitalisation sous contrainte, qui doit répondre à un cadre légal qu'il convient d'appliquer strictement. Mais, pour tout le reste, c'est le consentement et la liberté. La personne hospitalisée avec son consentement pour des troubles mentaux, dite en hospitalisation libre, dispose des mêmes droits liés à l'exercice des libertés individuelles que ceux qui sont reconnus aux malades hospitalisés pour une autre cause. Les droits des patients ne se scindent pas.

HOSPITALISATION SOUS CONTRAINTE

Mais, dans ce schéma, intervient l'hospitalisation sous contrainte. Présentant son projet pour la santé mentale au centre hospitalier Erasme à Antony en décembre 2008, le Président de la République avait évoqué le chiffre de 13 % d'hospitalisations d'office*. Cette présentation était hâtive, voire trompeuse. En effet, elle confond les hospitalisations sous contrainte et les hospitalisations d'office. Sur le total des hospitalisations en psychiatrie, 13 % se font dans le cadre d'un régime légal d'hospitalisation sous contrainte. Les chiffres résultent de la circulaire DGS/MC4 n°2008-140 du 10 avril 2008.

En 2005, on a compté 73 809 hospitalisations sans consentement, soit 12,5 % du total. En 2003, le chiffre était de 12,7 % et en 2000 de 11,8 %. Ainsi, on trouve dans la durée un taux d'hospitalisation sous contrainte d'environ 11 % qui tend vers le 13 %. Mais à l'intérieur de ce chiffre, l'essentiel résulte des hospitalisations sur demande d'un tiers. Pour 2005, il y a eu 60 366 hospitalisations sur demande d'un tiers et 11 465 hospitalisations d'office. Les hospitalisations d'office sont donc très minoritaires avec, dans la durée, un taux d'environ 2 % du total.

HOSPITALISATION SUR DEMANDE D'UN TIERS

L'hospitalisation sur demande d'un tiers renvoie à la solidarité familiale, amicale et affective. Le régime est défini par l'article L.3212-1 du Code de la Santé publique.

« Une personne atteinte de troubles mentaux ne peut être hospitalisée sans son consentement sur demande d'un tiers que si :

1° - ses troubles rendent impossible son consentement ;

2° - son état impose des soins immédiats assortis d'une surveillance constante en milieu hospitalier.

La demande d'admission est présentée soit par un membre de la famille du malade, soit par une personne susceptible d'agir dans l'intérêt de celui-ci, à l'exclusion des personnels soignants dès lors qu'ils exercent dans l'établissement d'accueil. »

La demande d'admission doit être accompagnée de deux certificats médicaux datant de moins de quinze jours. Dès lors que le dossier est complet, le directeur d'hôpital doit prononcer l'hospitalisation et un psychiatre de l'établissement indique dans les 24 heures si l'état lui paraît justifier ou non cette hospitalisation sous contrainte. Si le certificat est favorable, s'ouvre un premier délai de quinze jours qui ensuite peut être renouvelé ou interrompu sur motivation médicale.

Il s'agit de la demande d'un tiers aidant. Dans la pratique, il est souvent difficile de trouver dans l'environnement quelqu'un qui accepte de s'engager et l'on sollicite des tiers en situation professionnelle, notamment l'assistante sociale du secteur ou le cadre de santé de permanence aux urgences. Cela n'est pas interdit, mais le Conseil d'État rappelle que, quelle que soit sa qualité, la personne qui fait office de tiers doit justifier qu'elle avait une connaissance antérieure du patient. Ainsi, une assistante de secteur qui connaît bien le patient peut faire la demande. Mais à défaut, sa demande ne serait pas valable. De même pour la demande formée de manière systématique par le cadre du service des urgences qui découvre le patient au moment de la rédaction de la demande. Ajoutons qu'à titre exceptionnel, « en cas de péril imminent pour la santé du malade, le directeur peut prononcer l'admission au vu d'un seul certificat ». En pratique, il s'agit souvent d'un moyen de gérer l'urgence.

Si l'hospitalisation sur demande d'un tiers a connu un tel succès pour être majoritaire dans les hospitalisations sous contrainte, c'est que l'hospitalisation d'office reste un mécanisme lourd.

HOSPITALISATION D'OFFICE

De tradition, il faut passer par une décision du préfet, comme le précise l'article L.3213-1 du Code de la Santé publique. Le préfet prononce par arrêté, au vu d'un certificat médical circonstancié, l'hospitalisation d'office des personnes « dont les troubles mentaux nécessitent des soins et compromettent la sûreté des personnes ou portent atteinte, de façon grave, à l'ordre public ».

Le certificat médical circonstancié ne peut émaner d'un psychiatre exerçant dans l'établissement d'accueil du malade. Ici, la préoccupation est celle de l'ordre public, qui rentre effectivement dans les compétences du Préfet.Il est également prévu une procédure d'urgence, prévue par l'article L.3213-2. En cas de danger imminent pour la santé des personnes, attesté par un avis médical ou à défaut par la notoriété publique, le Maire et, à Paris, les commissaires de police, arrêtent à l'égard des personnes dont le comportement révèle des troubles mentaux manifestes toutes les mesures provisoires nécessaires, à charge d'en référer dans les 24 heures au Préfet. Dans ce cadre, le certificat médical est souhaité mais, dans la pratique, il est souvent impossible à obtenir, et le constat par la notoriété publique ou un procès-verbal de gendarmerie suffira.

Le régime de l'hospitalisation change alors du tout au tout. Il s'agit d'un arrêté préfectoral qui doit être exécuté. Strictement, l'arrêté préfectoral prévoit que telle personne doit être retenue de telle date à telle date dans un établissement qui est un hôpital psychiatrique. Ainsi, la certitude est que ce patient ne doit pas passer la porte de l'hôpital. Le fait qu'un patient sous hospitalisation d'office puisse se retrouver à l'extérieur traduit une faute de surveillance.

Mais, pour le reste, la loi ne dit rien sur l'organisation des soins. L'hospitalisation d'office ne veut pas dire les soins d'office. Le personnel doit s'adapter dans un but thérapeutique, en tenant compte de toutes les difficultés et donc de l'opposition du malade, agir dans le sens de ce qui est nécessaire, c'est-à-dire, le cas échéant, remettre en cause les droits de la personne. Mais ceci doit se faire dans la stricte mesure de ce qui est nécessaire. C'est le bon sens et la base de toute déontologie mais aussi une disposition légale qui figure à l'article L.3211-3. Lorsqu'une personne atteinte de troubles mentaux est hospitalisée sans son consentement ou est transportée en vue de cette hospitalisation, « les restrictions à l'exercice de ses libertés individuelles doivent être limitées à celles nécessitées par son état de santé et la mise en oeuvre de son traitement. En toutes circonstances, la dignité de la personne hospitalisée doit être respectée et sa réinsertion recherchée ».

C'est dire qu'il sera possible d'agir par la contrainte, et notamment pour l'administration d'un traitement, mise en chambre d'isolement ou la contention. Mais ces données sont des réalités thérapeutiques. Aussi, on doit trouver chaque fois une prescription médicale et un suivi attentif. Toutes ces mesures doivent être strictement proportionnées à ce qui est nécessaire. Ainsi des règles générales telles que la mise en pyjama systématique ou le service fermé ne résultent pas de la loi. Elles ne sont donc pas impossibles, mais il doit chaque fois y avoir une évaluation.

La loi ne demande pas la fragilisation des équipes lors de ces phases difficiles. En particulier, il y a lieu de prévenir pour assurer une certaine sécurité du personnel et des autres patients. Des mesures très strictes sont légitimes si elles sont justifiées.

S'ouvre donc cette phase difficile qui consiste à créer une relation à la fois thérapeutique et de confiance dans le cadre de cette contrainte. Mais il faut également songer au retour à la vie réelle et à la sortie de l'établissement.

LES SORTIES À L'ESSAI

Un jour, l'hospitalisation d'office est levée : c'est-à-dire que le préfet retire l'arrêté et la personne retrouve son entière liberté. Mais il a toujours été établi qu'il devait exister un système intermédiaire, qui repose sur une véritable gestion du risque.

Le plus souvent, les choses se passent correctement mais il arrive, hélas, de manière très rare,que des faits graves surviennent à l'occasion de ces sorties. Il a déjà été dit que si le patient est sorti alors que l'arrêté reste intact, la faute de surveillance est établie. Les sorties sont possibles pendant l'hospitalisation d'office, uniquement dans le cadre de dérogation expresse, dans les conditions de l'article L.3211-11-1. S'il s'agit d'une hospitalisation sur demande d'un tiers, la compétence revient pour le directeur. Dans le cadre de l'hospitalisation d'office, le directeur de l'établissement transmet la demande au préfet 48 heures au moins avant la sortie envisagée. De telle sorte, le patient en hospitalisation d'office ne peut sortir que parce que le préfet a levé provisoirement la mesure pour un motif précis et avec une indication médicale.

UNE RÉFORME ?

Ce régime doit-il être réformé ? Il le pourrait certainement, mais il faut alors déterminer dans quel sens. L'option régulièrement entendue est qu'il faudrait davantage sécuriser. À l'examen, on ne voit pas vraiment ce qui peut être fait de plus strict qu'un arrêté préfectoral avec des dérogations autorisées par le préfet. Un discours peut ainsi être entretenu, mais on ne voit pas les propositions.

En revanche, l'une des questions qui revient souvent est de savoir s'il est légitime de maintenir ce régime d'hospitalisation d'office à l'initiative du préfet. La France est isolée sur le plan européen car, dans tous les autres pays, l'initiative revient au juge, naturellement gardien des libertés individuelles. Une décision du juge permettrait une meilleure individualisation. De même, on peut penser que, pour le patient, tant qu'à subir la contrainte de cette hospitalisation comme mal nécessaire, il est peut-être préférable que cela vienne d'une décision du juge, garant des libertés de la personne, plutôt que du préfet, qui est, lui, à la charge de l'ordre public. Ces éléments sont en débat et le consensus reste plutôt sur le maintien du système français, car les dysfonctionnements sont assez rares. C'est donc un débat serein qu'il faut savoir conduire, en n'oubliant certainement pas l'ordre public et la sécurité des personnes, mais en plaçant comme première préoccupation les soins à une personne placée dans une telle situation de désarroi face à l'angoisse psychique.

NOTES

*Texte officiel disponible sur le site del'Élysée.