Eau : l'heure est à la maîtrise - Objectif Soins & Management n° 183 du 01/02/2010 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 183 du 01/02/2010

 

Qualité, hygiène et gestion des risques

GESTION DES RISQUES→ Si le thème de l'économie de l'eau est un poncif pour le grand public depuis bien longtemps, il l'est beaucoup moins pour le monde hospitalier, grand consommateur. Néanmoins, ces dernières années, le thème émerge dans un double souci d'économie et d'écologie.

Six cent cinquante à huit cents litres d'eau par jour et par lit, c'est en moyenne ce que consomme l'hôpital. Soit quatre à cinq fois notre consommation quotidienne classique, au domicile. Autant dire qu'en la matière, les établissements peuvent sans doute progresser. Bien sûr, ce chiffre n'est qu'une moyenne indicative donnée par la Fédération hospitalière de France (FHF) et peut varier selon les spécialités. Mais d'ores et déjà, certains établissements ont modifié leurs habitudes en misant sur des systèmes permettant de consommer moins d'eau, à des fins économiques et écologiques. Récemment, les établissements de santé se sont engagés, sur le papier, avec la signature d'une convention (cf. encadré page suivante) les invitant à plus d'exemplarité écologique. D'ici 2011, les trois quarts des signataires devront avoir mis en place une politique de réduction de la consommation d'eau et installé des économiseurs d'eau. Certains hôpitaux ont déjà franchi le pas et mis en place des actions correctives pour consommer moins d'eau, avec succès. Ainsi, en avril dernier, la publication du 2e Baromètre du développement durable (réalisé par l'association des étudiants de l'École des hautes études en santé publique) montre que la moitié des établissements répondant à ce baromètre ont mis en place des actions en faveur des économies d'eau : 38 % ont investi dans des économiseurs d'eau et 25 % ont opté pour la sensibilisation du personnel afin de changer la donne. Concrètement, de gros établissements de santé ont changé leurs habitudes. Au CHU de Nice, la blanchisserie a été remaniée afin de réaliser de substantielles économies : changement du tunnel de lavage, installation d'un échangeur thermique, process répondant à la norme ISO 14001, tout a été mis en oeuvre pour qu'au final le CHU économise en 2008 la bagatelle de 5 000 m3 d'eau, avec en prime plus de 100 000 kWh d'électricité ! Un gain qui s'élève pour la seule année 2008 à 38 000 euros, l'investissement de départ s'élevant à 85 000 euros : en trois ans, ce dernier sera remboursé ! Dans le Nord, à Lille, le CHRU a, quant à lui, installé près de 30 compteurs d'eau sur son réseau. L'objectif ? Repérer plus rapidement les fuites et là aussi économiser des volumes d'eau importants. Avec les travaux réalisés en outre en blanchisserie, le CHRU lillois est passé de 950 000 euros de facture en 2005 à un peu plus de 750 000 euros en 2009 : une économie énorme pour un établissement de près de 3 000 lits et places.

RECYCLER

Le CHU de Limoges a opéré de son côté un virage technico-écologique depuis 2005 en investissant dans divers équipements permettant de réduire son impact environnemental. Il a construit un projet basé sur l'utilisation de l'énergie solaire : la production d'eau chaude du CHU est prise partiellement en charge par ce système, écologique et économique. Ainsi, la blanchisserie fonctionne en partie avec de l'eau chauffée naturellement (ce qui évite le rejet de 3 400 kg de CO2 par an), l'autre partie étant amenée à température par la chaufferie biomasse, elle aussi écologique. Autre secteur lié à la santé et fortement consommateur d'eau, la dialyse : à chaque séance d'hémodialyse, ce sont quelque 300 litres d'eau qui sont en contact avec le sang du patient. Autant dire que si des économies peuvent être réalisées, elles sont les bienvenues.

Loin de sacrifier à la qualité des soins, la clinique Delay, à Bayonne (l'un des rares établissements de santé à être certifié ISO 14001 et premier centre d'hémodialyse à l'être) a trouvé la parade. Outre des «mousseurs» qui permettent d'utiliser un volume d'eau moindre (en aérant l'eau avec des bulles d'air) à chaque tirage d'eau, la clinique réutilise l'eau consommée en dialyse. Sur les 60 m3 utilisés quotidiennement par la clinique (qui prend en charge 6 000 patients par an au rythme de 30 000 séances), 15 à 20 m3 sont des eaux issues de l'activité de dialyse. Trop minéralisées pour être consommées, elles étaient avant retraitées, mais l'établissement les stocke désormais dans une cuve tampon de 5 000 litres. Elles sont ensuite utilisées pour l'arrosage, le nettoyage vapeur ou l'autoclave. Des études de faisabilité et d'innocuité ont été effectuées pour que les processus employés restent bénéfiques aux patients accueillis dans la clinique. Dans le cas du nettoyage vapeur avec l'eau issue de la dialyse, la méthode a été validée par le Cclin Sud-Ouest. De son côté, la Fédération des établissements hospitaliers et d'aide à la personne (FEHAP) s'est engagée, à l'issue du Grenelle de l'environnement, dans une réflexion sur la mise en oeuvre d'une politique de développement durable au sein de la dialyse.

LIMITER LE RISQUE À LA SORTIE

Des progrès ont aussi été réalisés au niveau de l'émission des eaux usées, même si ce domaine reste livré à l'appréciation de chacun, les textes entourant les effluents liquides étant peu nombreux et enveloppés d'un certain flou réglementaire*. Toutefois, afin de limiter l'exposition des personnes et pour limiter l'impact sur l'environnement, certaines mesures de bons sens doivent être prises : suivi des rejets, analyse de ces derniers, remontées des données vers les achats afin de limiter la consommation de substances nuisibles. En 2008, lors d'un colloque consacré aux résidus médicamenteux dans l'eau, diverses études ont été mises en avant pour mesurer l'impact de ces rejets sur la santé humaine.

L'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement (Afsset) a ainsi été mandatée par l'Institut national du cancer (InCA) pour étudier les rejets de substances néoplasiques dans l'eau. Le constat est édifiant : en plus de mettre en évidence la présence de ces puissants anti-cancéreux dans l'eau, l'Agence a souligné qu'ils l'étaient en quantité non négligeable, appelant ainsi à des études complémentaires pour en mesurer le risque sur la population générale. Certaines agences régionales de l'eau ont également mené des études sur la concentration de médicaments dans les cours d'eau, les eaux souterraines ou encore les estuaires. Si les premiers résultats montrent que nos eaux sont polluées par ces effluents liquides, reste à déterminer exactement les effets de cette contamination sur le milieu aquatique. Il n'en demeure pas moins que le système endocrinien de certaines espèces aquatiques est perturbé, ce qui suscite l'intérêt des scientifiques qui mènent actuellement de plus larges études pour mesurer l'impact sur la population humaine.

Un argument de plus pour militer en faveur de la réduction de la consommation d'antibiotiques. Ainsi, si cette mesure permet de limiter la multiplication des infections à bactéries multirésistantes, elle pourrait aussi avoir un effet évident sur les rejets hospitaliers. Avant qu'un système ne soit inventé pour parvenir à neutraliser les eaux usées...

*Les textes réglementaires relatifs à l'eau en général : p.123 du guide L'eau dans les établissements de santé, téléchargeable surle site Internet .

Qu'est-ce que la biomasse ?

Le terme «biomasse» désigne au sens large l'ensemble de la matière vivante. Depuis le premier choc pétrolier, ce concept s'applique aux produits organiques végétaux et animaux utilisés à des fins énergétiques ou agronomiques. C'est une énergie qui peut être renouvelable si l'on gère sa ressource de façon à ne pas l'épuiser.

Réduction des résidus dans l'eau

Le 23 novembre dernier, Roselyne Bachelot, ministre de la Santé, et Chantal Jouanno, secrétaire d'État chargée de l'écologie, ont installé le Comité national de pilotage du Plan national sur les résidus de médicaments dans les eaux. Ce dernier devrait élaborer et suivre le plan qui prévoit de réduire les rejets de substances thérapeutiques dans les eaux usées (via les selles ou urines). Présentes à l'état de traces dans l'eau du robinet, ces substances pourraient avoir un impact sur la santé et l'environnement. Toutes les actions de réductions d'émission à la source sont étudiées.

Une convention pour s'engager

Le 27 octobre 2009, Jean-Louis Borloo, ministre de l'Écologie, de l'Énergie et du Développement durable et de la Mer, et Roselyne Bachelot, ministre de la Santé, signaient en présence des représentants de la FHF, de la FEHAP et de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) une convention portant engagement des établissements de santé dans le cadre du Grenelle de l'environnement. Cet accord concerne quelque 5 000 établissements de santé qui s'engagent dans une démarche d'exemplarité écologique en échange d'aide dans le domaine de l'éco-contruction, de la rénovation des bâtiments, de la gestion des flux, de gestion des déchets ou encore de transport et mobilité. La convention est conclue pour une durée de trois ans et devrait être soumise à une évaluation annuelle.