Les associations de libéraux, la solution ? - L'Infirmière Magazine n° 385 du 01/09/2017 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine_Hors série n° 385 du 01/09/2017

 

MISE EN RELATION

CONTINUITÉ DES SOINS

INITIATIVES

Olivier Blanchard  

Pour gagner en visibilité et contribuer à la prise en charge à domicile des patients après l’hôpital, des Idel s’organisent et proposent, via une association des outils de mise en relation. Une solution pas si simple à mettre en œuvre…

Trop souvent, joindre une infirmière libérale depuis l’hôpital, lorsque le patient n’en connaît pas sur son secteur (ou seulement par son prénom), est une vraie gageure. Et que vous soyez dans un désert médical ou dans une zone surdotée, il n’existe généralement pas de liste d’infirmières libérales par secteur qui préciserait leur disponibilité pour une nouvelle prise en charge. Pour remédier à ce problème, des infirmières tentent de s’organiser elles-mêmes en créant des associations, à l’image de l’AILH (Association des infirmières libérales de Hyères).

À l’origine, il y a d’abord eu l’envie de se retrouver entre collègues. « J’ai monté l’association parce que je me sentais isolée, explique Emmanuelle Vatinel, sa vice-présidente et secrétaire. Lors d’une formation, j’ai trouvé les outils et les ressources pour contacter une par une toutes mes collègues, 15 ont répondu et on a commencé comme ça ! » L’association ne s’en tient pas là. Peu à peu, les laboratoires et les pharmacies la contactent pour lui faire part de leurs difficultés à trouver des infirmières libérales. « Au bout de quelques mois, nous étions une cinquantaine et nous avons alors ouvert une ligne de permanence. C’est très simple : on se passe un téléphone à tour de rôle pendant une semaine. À chaque appel, la collègue résume par mail les soins de façon anonyme et diffuse l’information aux membres de l’association. La personne intéressée rappelle l’infirmière de permanence qui lui donne les coordonnées du patient. Si ça colle, elle est prévenue. Sinon on renvoie l’appel jusqu’à ce qu’on trouve quelqu’un. Cela marche depuis un an et demi, on a eu 430 appels et on a trouvé une solution à 75 % d’entre eux. » Bientôt, l’association devrait développer aussi des liens avec l’hôpital.

Gare au principe de non-subordination…

Une solution de « bon sens » en somme, simple, en apparence seulement. Victime de son succès, la semaine de permanence organisée par l’AILH ne risque-t-elle pas de devenir trop lourde à porter ? Que se passera-t-il si les fondateurs de l’association délaissent l’animation du groupe ? Emmanuelle Vatinel est confiante : « Bien sûr, c’est un risque auquel je pense, mais j’ai une devise : doucement mais sûrement ! La semaine prochaine, nous allons rencontrer des responsables du centre communal d’action sociale (CCAS), donc on avance et on verra à ce moment-là ! ».

Un optimisme qui ne sera peut être pas suffisant pour durer. Car dans la recherche de solutions viables, les associations infirmières marchent sur des œufs. Comment financer et être dans les clous des règles déontologiques face à un ordre infirmier plutôt réticent (lire l’encadré ci-contre) ? Pour ce dernier, le principal problème avec les projets de mise en relation est de devoir toujours respecter le principe de non-subordination des infirmières. Aussi, même avec un système de cotisation, pas question de transformer ce genre de services en commerce. Une infirmière ne peut pas tirer de revenu de ce travail de mise en relation qu’elle effectue pour ses collègues. « Par définition, cela ne marche que grâce à la bonne volonté du fondateur. Mais combien de temps peut-on compter dessus ? Et puis quel est, dans ce cas, le sérieux d’un service ? On peut penser que rapidement le temps va manquer. Or, la qualité ne s’improvise pas ! », assène Karim Mameri, secrétaire général de l’Ordre national des infirmiers (ONI).

…et au détournement de clientèle

Il n’empêche, certaines associations ont su s’imposer dans le paysage de la coordination des soins. Dans le Var, l’Association des infirmiers libéraux de l’est varois (AIELV) – créée, il y a plus de 27 ans, à l’origine aussi pour mettre en relation les infirmières du secteur et leur proposer de petites formations – s’est ensuite positionnée, développement de l’HAD oblige, sur la mise en relation avec l’hôpital. Et a mis en place il y a cinq ans une plate-forme téléphonique doublée d’un fichier SMS qui fonctionne avec « un numéro payant pour les patients ou les structures qui appellent », explique Marie Peres, présidente de l’association. Ce numéro est géré par une société spécialisée entre 8 heures et 20 heures, puis par des bénévoles le reste du temps. Ce qui permet de contacter une Idel 24 h/24 et 7 j/7. La société enregistre la demande et essaye d’y répondre en cherchant l’infirmière dans le fichier qu’on leur fournit deux fois par an. « C’est ce temps d’attente qui finance tout le système, mais en moyenne on résout le problème en 15 minutes… Et si ça ne marche pas, un SMS est envoyé à tout le groupe. » Grâce à cette gestion mixte, l’association tient bon. « Nous sommes maintenant une équipe soudée de 17 personnes au conseil d’administration, donc il y a un effet d’entraînement. Et puis nous connaissons vraiment les problèmes locaux et c’est notre force : quand l’URPS a organisé une rencontre avec un grand ponte de Marseille, il y avait 10 personnes dans la salle… Nous, quand on fait venir pour débattre d’un sujet le médecin de la clinique qui est sur notre secteur, au moins 50 ou 70 personnes se déplacent ! »

Quant au risque de compérage, autre point de vigilance de l’Ordre, l’AIELV semble a priori à l’abri du contentieux au vu du nombre d’adhérents. « On regroupe 200 infirmières sur les 240 du canton et l’adhésion annuelle est à 60 euros par an », explique Marie Peres. Et les demandes de soins sont envoyées à toutes les infirmières en même temps. De là à mentionner dans la mise en relation un type de soins à réaliser, l’idée est à prendre avec des pincettes. Le détournement de clientèle pourrait être invoqué et l’on se heurterait à l’ONI.

Pour éviter le commerce

Sur le même principe, Assolidel(1), une nouvelle association parisienne regroupant 90 infirmières, a lancé un projet, présenté à l’ARS, de plate-forme accessible en ligne via une application. Après avoir créé son compte, l’Idel renseigne son profil et peut, si elle le souhaite, cocher sur une liste préétablie les soins dispensés privilégiés tandis que l’hôpital dépose sa demande de soins en précisant le jour de sortie du patient. La jeune association a tenu à consulter un juriste de l’ONI pour la rédaction de son règlement intérieur. Signé par toutes les Idels adhérentes, il promeut l’utilisation de la carte de coordination mentionnant les professionnels de santé intervenant habituellement auprès du patient, parant ainsi au risque de compérage. Il précise bien que le libre choix des patients doit être respecté, une autre exigence fondamentale. « L’Ordre nous a aussi enjoint à ne pas faire de publicité. Aussi, nous sommes contactés par des hôpitaux qui nous connaissent grâce au bouche à oreille », relate Frédéric Beneart, Idel et cofondateur de l’association.

Bien qu’elles répondent à un réel besoin, les associations sont donc pour l’heure réduite au système D… Mais, « si ce ne sont pas les associations, qui fera ce travail ?, s’interroge Emmanuelle Vatinel. Nous, nous souhaitons surtout éviter les sociétés de services qui vont faire du commerce avec ce problème et ouvrir vraiment la porte au compérage ! » Même son de cloche pour Karim Mameri : « Nous sommes très alertés par les sociétés “clefs en main” qui proposent un contrat avec un standard ou une clientèle aux infirmiers mais contre une rémunération mensuelle importante qui aboutit au final non seulement à une subordination de l’infirmier libéral mais aussi à la création d’un “infirmier gérant rentier contractuel” qui vit de ce service. Ce genre de système n’est pas acceptable. » Alors, bonnes volontés et organisation nationale déontologiquement irréprochable sont-elles conciliables ?

1- L’Infirmière libérale magazine, n° 336, mai 2017, p. 19.

ORDRE NATIONAL INFIRMIER

Bientôt un projet public ?

Pour Karim Mameri, secrétaire général de l’Ordre national des infirmiers (ONI), les associations ne peuvent pas être une solution : « On ne peut nier qu’il y a actuellement une vision systémique et politique de renforcer les HAD qui appartiennent à l’hôpital, les moyens des hôpitaux baissent et l’hôpital fait en sorte que son HAD fonctionne, c’est parfois un problème majeur ! L’HAD a été mise en place pour compléter l’offre de maintien à domicile pour des situations qui ne pouvaient pas être prises en charge par les libéraux. Mais aujourd’hui, le système est vicié et on arrive parfois à frôler le compérage. Est-ce pour autant une raison “d’ubériser” la profession infirmière afin de rattraper cette fuite en avant ? ».

Pour lui, la solution ne pourra donc exister qu’en passant par des structures publiques, comme l’ONI ou les Unions régionales de professionnels de santé (URPS), parce que ce sont les seules qui ont la légitimité et l’indépendance financière pour offrir ce type de service à tous les infirmiers d’un secteur. « Pour l’ordre infirmier, je peux ainsi vous annoncer que nous travaillons avec Asip santé (NDLR, la société qui gère les CSP – les cartes d’identité professionnelle électronique) sur une géolocalisation des Idel, avec un annuaire à l’intention des structures et des patients, mais qui regrouperait aussi d’autres professions paramédicales comme les kinésithérapeutes. C’est dans les tuyaux, mais c’est un énorme travail et je ne peux pas encore donner de rétroplanning. Sinon, certains URPS pourraient aussi proposer des solutions puisque, au fond, tout est envisageable tant que le service est ouvert à tous les infirmiers d’un secteur et qu’il respecte les principes déontologiques fondamentaux. »