Après l’EPP, une prise de conscience bénéfique - L'Infirmière Magazine n° 396 du 01/09/2018 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine_Hors série n° 396 du 01/09/2018

 

PRISE EN CHARGE DE LA DOULEUR

EN PRATIQUE

DÉMARCHE QUALITÉ

Potentiellement présente à chaque étape du parcours de soins, la douleur est-elle assez bien prise en charge ? Un hôpital a analysé et amélioré ses façons de faire grâce à une évaluation des pratiques professionnelles (EPP), notamment en matière de traçabilité.

L’évaluation des pratiques professionnelles (EPP), précisons-le, trouve sa justification dans les écarts observés entre la “bonne pratique” et le réel. Elle consiste à analyser son activité clinique au regard des recommandations pour définir des actions d’amélioration. En ce sens, l’EPP apparaît comme un outil de premier ordre de l’harmonisation des pratiques. Démonstration avec l’exemple qui suit(1).

Le coordonnateur général des soins d’un centre hospitalier départemental demande au groupe des cadres supérieurs de santé et cadres de pôle de mettre en place une EPP avec, pour objectif, « la mobilisation de l’ensemble de la communauté soignante (…) autour d’un thème fédérateur, associant l’ensemble des services cliniques et médico-techniques ».

Le thème retenu est celui de la douleur. Celle-ci existe potentiellement dans toutes les situations de soins ou d’actes de services médico-techniques. Dès lors, ce choix s’est facilement imposé à la communauté soignante. Le groupe a décidé de se centrer sur l’évaluation de la douleur à l’entrée du patient et non pas sur la prise en charge thérapeutique. Une évaluation quantitative et qualitative au travers des transmissions écrites et des outils utilisés a été réalisée. Le champ d’évaluation a été restreint à la douleur physique, sans nier l’évaluation ni la prise en charge de la douleur psychique. Ajoutons que l’évaluation des dossiers de soins réalisée en juin 2007 dans l’établissement montrait un déficit de la traçabilité de l’évaluation de la douleur puisque seulement 23 % d’entre eux comportaient cette donnée. Pour rappel, la prise en charge de la douleur est une exigence réglementaire et une pratique exigible prioritaire (PEP) depuis la certification V 2010.

Objectifs et étapes

Les objectifs de l’EPP ont été définis :

- améliorer la démarche d’évaluation de la douleur par les professionnels de santé dès l’entrée du patient avec les outils adaptés à chaque service ;

- améliorer le recueil et la traçabilité de l’évaluation dans le dossier de soins du patient. La réalisation de l’EPP a pris un peu moins d’un an.

→ De juin à septembre 2008 : un groupe de travail multi-site et pluriprofessionnel (IDE, AS, manipulateurs en électro-radiologie, sages-femmes) est constitué, coordonné par deux cadres de santé en collaboration avec l’infirmier anesthésiste ressource douleur (Iade RD). Son premier travail a été d’effectuer une recherche bibliographique.

→ D’octobre 2008 à mars 2009 : l’équipe a procédé au choix de l’outil - un questionnaire d’enquête auprès des soignants -, ceci afin de réaliser un état des lieux de l’évaluation et de la traçabilité de la douleur pour tous les patients hospitalisés et consultants externes (laboratoires, imagerie, bloc obstétrical). La phase suivante a consisté en l’élaboration et le pré-test de l’outil d’enquête : questionnaire « Évaluation de la douleur à l’entrée », traité dans le logiciel Sphinx. L’enquête a ensuite été présentée aux cadres de santé et au Clud (Comité local de lutte contre la douleur). Enfin, les questionnaires ont été distribués dans tous les services. L’enquête s’est échelonnée sur deux semaines.

→ D’avril à mai 2009 : saisie des questionnaires via l’outil Sphinx, exploitation et analyse des résultats.

Exploitation et analyse des résultats

Le taux de réponse aux questionnaires est de 74 %, soit 1 109 sur 1 500 distribués. Moins de la moitié des professionnels (48 %) évaluent systématiquement la douleur à l’entrée du patient, contrairement à la réglementation. Parmi les personnes qui n’évaluent pas systématiquement la douleur : 19,5 % ne savent pas que l’évaluation est obligatoire ; 11,5 % estiment que le patient n’est pas douloureux ; 11,3 % signalent un manque d’outils ; 6,9 % soulignent la variété et/ou l’absence de supports. Seulement 27 % disent tracer systématiquement l’évaluation de la douleur du patient !(2)

Le Tilt (type, intensité, localisation et temps), procédé mnémotechnique d’évaluation de la douleur, n’est pas suffisamment maîtrisé : deux tiers des paramédicaux évaluent l’intensité et la localisation et un tiers seulement précisent le type de douleur et le temps. Autre enseignement : les professionnels utilisent des outils variés en fonction des patients accueillis. Cependant, les résultats montrent une sous-utilisation de l’échelle visuelle analogique (EVA) aux dépens de l’échelle verbale simple (EVS). Les résultats de l’enquête de mai 2009 (27 %) confirment les résultats 2007 de l’indicateur IPAQH(3) sur la douleur (25 %). Viennent ensuite le temps, de juin 2009 à janvier 2010, de la diffusion des résultats et de l’élaboration du plan d’actions correctives d’amélioration, puis de la mise en place et du suivi des actions correctives.

Principales actions correctives

→ Réalisation d’une affiche à destination des soignants.

→ Sensibilisation des soignants : communication des résultats via les “brèves” (journal interne) de l’établissement, les réunions cadres, la CSIRMT (Commission des soins infirmiers, de rééducation et médicotechniques) et le Clud.

→ Élaboration et animation de quatre ateliers de sensibilisation à l’évaluation de la douleur par des professionnels (IDE et AS), construits autour de l’outil utilisé dans le CH : le Tilt. Chaque sous-groupe a réalisé une affiche reprenant les messages clés de son atelier.

- Le premier atelier aborde la localisation, le type et le temps (diaporama et jeu de cartes associant mots et types de douleur) et deux ateliers traitent de l’évaluation de l’intensité de la douleur à partir des outils validés par le Clud de l’établissement.

- Au cours de l’atelier “échelles d’auto-évaluation”, un diaporama présentant les outils (EVA, EVS et échelle numérique, EN) est diffusé. Il est procédé à la démonstration de l’utilisation de la réglette. Des tables rondes sur des situations concrètes vécues dans les unités de soins sont organisées.

- L’atelier “échelles d’hétéro-évaluation” prévoit la diffusion d’un diaporama présentant les outils Algoplus, Doloplus, Edin(4), Flacc(5), la mise en situation d’une cotation “en direct” avec les soignants.

Les participants suivent en alternance les trois ateliers. Pour clore ce temps de formation, un atelier transmission est proposé au cours duquel l’animateur réexploite les éléments clés des trois ateliers précédents. Les participants réalisent un exercice d’expression et de synthèse d’une transmission ciblée sur la douleur à partir d’une situation de soins extraite d’un service. En fin de formation, ils évaluent les messages retenus au moyen d’un quiz de dix questions, et bénéficient d’un retour individuel immédiat sur leur score et éventuelles erreurs. Le premier bilan des sessions de formation 2010 révèle un taux de bonnes réponses de 80 %. De même, une évaluation qualitative de la formation est remise à chaque participant.

→ Communications régionales : présentation de l’avancée de l’EPP aux journées annuelles des infirmiers ressources douleur des régions Pays de la Loire et Bretagne dans le cadre du Redo (Réseau douleur de l’Ouest) ; présentation de la démarche d’EPP à l’institut de formation aux professions de santé de Vendée.

Évaluation des actions correctives

→ Bilan des sessions de formation 2010 : il a été prévu de former 1 886 agents dans le cadre d’ateliers pratiques transférables dans l’exercice des soignants au quotidien. En 2010, 380 agents sur une prévision de 450 en ont bénéficié. Le succès de la formation au regard du retour de l’évaluation de la formation selon trois indicateurs (durée, qualité animation et contenu pédagogique) ont encouragé le CH à reconduire les ateliers en 2011 (taux de réponse de 97 %, taux de satisfaction supérieur à 90 %).

→ Progression de l’indicateur “évaluation de la douleur” : même si les ateliers pratiques n’avaient pas encore débuté, l’impact de cette démarche institutionnelle (la douleur était un des axes prioritaires de la Direction des activités de soins) a été visible à travers les résultats de l’indicateur IPAQSS(6) 2009. Cette année-là, le pourcentage de séjours pour lequel le résultat d’au moins une évaluation de la douleur est documenté dans le dossier était à 44 %, contre 27 % en 2007 (l’objectif attendu par l’HAS est de 80 %). Les experts visiteurs ont souligné les résultas de cette EPP lors de la visite de certification V 2010 de l’établissement.

Pour conclure, la volonté politique du CH et le soutien de la Direction des activités de soins, associés au Clud et à un groupe pilote motivé et créatif ont permis la réussite d’un projet à dimension institutionnelle. Ce travail de longue haleine a nécessité à la fois une méthodologie rigoureuse associée aux connaissances des professionnels dans le domaine de prise en charge de la douleur. Le recours aux ateliers a facilité la participation et l’engagement des soignants. Être pragmatique et donner du sens à la pratique des soignants sur le terrain ont été les deux priorités qui ont motivé l’ensemble de l’équipe et qui ont concouru à la réussite de ce projet.

1 - Exemple extrait de l’ouvrage Qualité des soins. De la recherche à l’évaluation des pratiques professionnelles, Jocelyne Le Gall, Pascale Thibault Éditions Lamarre, 2011.

2 - Ce travail a permis de faire évoluer les chiffres depuis la réalisation de cette EPP.

3 - Indicateur de performance pour l’amélioration de la la qualité hospitalière.

4 - Échelle de douleur et d’inconfort du nouveau-né.

5- Face Legs Activity Cry Consolability, pour mesurer la douleur de la personne handicapée de 0 à 18 ans.

6 - Indicateurs pour l’amélioration de la qualité et la sécurité des soins.

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