Hôpital et ville au coude à coude - L'Infirmière Magazine n° 359 du 01/04/2015 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine_Hors série n° 359 du 01/04/2015

 

THÉRAPIES NOUVELLES

DOSSIER

VÉRONIQUE HUNSINGER*   BARROUX**  

Personnalisation de la médecine, chirurgie ambulatoire, nouvelles thérapies… Des pratiques qui impactent sur l’organisation des soins. Une révolution est en marche.

Il y a un an, débutait le troisième Plan cancer, avec pour objectif de traduire la stratégie de lutte contre la maladie par l’organisation des soins, la recherche, la prévention et l’accompagnement. Parallèlement, ces deux dernières années, l’avènement de la « médecine personnalisée » a engendré des accélérations majeures en matière de traitements. Lesquels sont davantage adaptés à chaque patient en fonction des caractéristiques biologiques, voire moléculaires des tumeurs. Autrement dit, on ne traite plus un cancer du poumon ou un cancer du sein, mais une tumeur porteuse d’une mutation biologique spécifique. « C’est un changement total de stratégie, explique le Dr Chantal Belorgey, directrice du département Recommandations et qualité de l’expertise de l’INCa (Institut national du cancer). Cela ne veut pas dire qu’on est déjà à 100 % dedans car il y a encore énormément de recherches en cours. Les traitements classiques du cancer (les cytotoxiques notamment) ne vont pas complètement disparaître de l’arsenal thérapeutique, mais le thérapeute disposera d’un éventail plus adapté et élargi. » Sur ce sujet, la France semble avoir un temps d’avance grâce à ses vingt-huit plates-formes de diagnostic moléculaire des tumeurs. Ainsi, l’herceptine n’est plus utilisée pour tous les cancers du sein, mais ciblée sur les tumeurs porteuses d’une certaine anomalie moléculaire. « Compte tenu que la majorité de ces nouveaux traitements peuvent être administrés oralement, leur prise en charge diffère parce que les effets indésirables surviendront potentiellement en ambulatoire, note le Dr Belorgey. Les professionnels de ville doivent les connaître et pouvoir les détecter, les prévenir, les gérer en ville et savoir quand réadresser le patient vers l’hôpital. C’est pourquoi l’INCa est en train d’élaborer des recommandations de prises en charge appropriées. » Par exemple, d’autres nouveaux traitements, comme les immunothérapies, sont disponibles et ils n’ont pas les mêmes effets que les chimiothérapies cytotoxiques injectables. Il peut y avoir des effets immunologiques à l’origine de pneumonies ou de troubles digestifs graves. « On ne fait pas toujours spontanément le lien avec le traitement anticancéreux, souligne le Dr Belorgey. Les infirmières, en particulier, doivent apprendre à les identifier. Enfin, des patients peuvent encore présenter des effets indésirables à domicile, dans le contexte d’essais cliniques. »

Des parcours de soins repensés

L’INCa élabore actuellement des recommandations de prise en charge de ces effets indésirables, à commencer par l’hématologie, le poumon et le mélanome. « Avec la médecine personnalisée, on sort des schémas classiques de traitements par chirurgie, radiothérapie et chimiothérapie, note Anne Montaron, directrice des soins de l’Institut Gustave Roussy (IGR) de Villejuif. Cela a forcément un impact sur le travail de l’infirmière : les séquences de soins vont se compliquer et les niveaux de surveillance seront plus complexes. » Pour l’INCa, les infirmières auront donc un rôle majeur à jouer dans l’aide à l’observance. L’année dernière, huit dossiers ont été retenus dans le cadre d’un appel à projet de l’INCa qui visait à « accompagner, deux ans durant, des actions de formation à l’éducation thérapeutique en chimiothérapie orale d’équipes pluridisciplinaires (médecins généralistes, spécialistes, pharmaciens, infirmiers) afin de faciliter la coordination ville-hôpital ».

Au Centre Georges-François Leclerc de Dijon, « l’apparition des nouveaux traitements oraux nous a obligés à repenser les parcours de soins, explique sa directrice des soins, Christine Dorléan. En effet, le patient sort de la consultation de l’oncologue avec une prescription et repart chez lui sans qu’il y ait nécessité d’un geste infirmier ». Dans cet établissement, les patients atteints de certaines tumeurs cérébrales bénéficient déjà de traitements oraux. « À partir de la deuxième consultation chez nous, ils sont désormais systématiquement pris en charge par une infirmière qui fait tout le recueil de données et s’assure de comprendre comment s’est passée l’intercure, avant de revoir l’oncologue en consultation. » L’infirmière s’intéressera à la tolérance du traitement, mais également à la qualité de vie du patient, de son entourage et de l’aspect social de la maladie. Le cas échéant, elle pourra l’orienter vers une assistante sociale ou faire appel à un psychologue, si le patient et son aidant en éprouvent le besoin. « L’infirmière devient en quelque sorte le pivot des soins de support, résume Christine Dorléan. Le médecin peut alors se concentrer sur la prise en charge médicale, biologique et radiologique, puisque toutes les informations récoltées par l’infirmière lui ont été transmises. Le parcours est complété par le pharmacien de l’hôpital qui expliquera, une fois encore, le traitement au patient. » Mais ce n’est pas le seul axe d’évolution qui a un impact sur l’organisation des soins. Le développement de la chirurgie ambulatoire constitue une évolution majeure. Elle concerne essentiellement le cancer du sein. « Grâce aux politiques de dépistage, nous détectons aujourd’hui des cancers à des stades très précoces. Ce sont donc des interventions souvent limitées, sur des patientes qui ne souffrent généralement pas de lourdes comorbidités, explique Jeanne-Marie Bréchot, responsable de projet à l’INCa (lire encadré ci-dessus). On commence à le faire pour les petites tumeurs de l’ovaire, du rein ou de la thyroïde quand la prise en charge péri-opératoire est simple. Les résections des tumeurs par laparoscopie, la thoracoscopie… peuvent faciliter cette prise en charge. »

Davantage de relationnel

« La chirurgie ambulatoire est vraiment une révolution, ajoute Nathalie Le Moal, directrice des soins du Centre Henri Becquerel de Rouen, l’un des établissements pionniers dans ce domaine. Au départ, il y avait un peu de réticence du côté des infirmières qui n’imaginaient pas qu’on puisse renvoyer chez eux, le soir même, des patients avec leur douleur physique et morale, alors qu’elles avaient l’habitude de les accompagner pendant plusieurs jours. Mais c’est la satisfaction des patients par rapport à la chirurgie ambulatoire qui a achevé de les convaincre. » De fait, le rôle de l’infirmière change considérablement : un peu moins dans le soin, davantage encore dans le relationnel. « C’est l’infirmière qui appelle le patient la veille pour lui rappeler les modalités de l’intervention, décrit Nathalie Le Moal. Le jour de l’opération, elle le prend en charge et veille à la surveillance postopératoire. Puis, avant de quitter l’établissement, le patient reçoit un certain nombre d’informations et de consignes. Il sera rappelé le lendemain afin de savoir comment s’est passée la nuit et s’il a rencontré des difficultés particulières. »

À l’évidence, les perspectives d’évolution dessinées en octobre 2013 par Unicancer pour 2020, dans une étude prospective(1), ont commencé à devenir réalité et à influencer sur le travail des équipes. « Nous avons identifié six grandes tendances, explique le Dr Hélène Espérou, directrice du projet médico-scientifique pour Unicancer. Il s’agit de la chirurgie ambulatoire, des nouvelles techniques de radiothérapie, de la meilleure caractérisation des tumeurs par la biologie moléculaire, du développement de la radiologie interventionnelle, des traitements oraux et des soins de support. La conséquence de ces tendances est que les hôpitaux vont devenir de plus en plus des plateaux médico-techniques et de consultation. Du coup, le patient restera de moins en moins longtemps à l’hôpital, ce qui imposera des parcours différents et, par conséquent, davantage de coordination entre les différents services de l’hôpital, ainsi qu’avec la ville. »

Rapprocher l’hôpital de la ville

Le précédent Plan cancer 2009-2013 avait prévu l’expérimentation, en 2010, d’infirmiers de coordination en cancérologie (IDEC) dans trente-cinq établissements de santé. « L’évaluation conduite en 2012 sur les premiers résultats de cette expérimentation a fait état d’un apport important du dispositif pour les patients et leur entourage, contrastant avec des effets plus mitigés sur la coordination ville-hôpital », peut-on lire dans le rapport intermédiaire de l’INCa de février. « Le cancer a souvent joué un rôle de modèle organisationnel, note Anne Montaron. Nous devons travailler encore plus en équipe de soins au niveau hospitalier et avec la médecine de ville. Nous avons besoin d’outils partagés, de plates-formes communes où chacun peut communiquer. »

L’IGR a pour spécificité de recevoir des patients habitant l’ensemble de l’Île-de-France. Le suivi téléphonique des patients y a été particulièrement développé. « En hospitalisation de jour, nous donnons systématiquement des rendez-vous téléphoniques au patient, notamment pour évaluer les effets secondaires et la douleur », explique Fatima Belal, cadre coordonnateur du département de médecine oncologique à Villejuif. Le projet de loi de Marisol Touraine prévoit la création du métier d’infirmière clinicienne en oncologie. Celle-ci sera notamment « habilitée à assurer, sous certaines conditions, la prescription protocolisée d’examen de suivi des traitements, de traitements complémentaires et de support » (lire p. 4). Le Dr Espérou s’en réjouit : « Pour toutes les consultations infirmières, il conviendra de s’appuyer sur ces possibilités de pratiques avancées qui sont indispensables et qu’il faut reconnaître ».

1- L’étude du groupe des Centres de lutte contre le cancer, intitulée « Unicancer : quelle prise en charge des cancers en 2020 ? », prévoit que la chirurgie ambulatoire représentera, en 2020, 50 % de la chirurgie du sein et 15 % de la chirurgie pour l’ovaire et la thyroïde. À la clé, le nombre de lits en hospitalisation classique pourrait diminuer de 20 %. En outre, 30 % des biopsies nécessiteront un séjour ambulatoire et 60 % se feront dans des salles dédiées et des conditions de bloc opératoire.

Plan cancer 2014-2019

L’objectif 2 du plan prévoit d’améliorer la coordination ville-hôpital et les échanges d’informations entre professionnels.

POINT DE VUE

Une responsabilité partagée

JEANNE-MARIE BRÉCHOT

RESPONSABLE DE PROJET « ORGANISATIONS SPÉCIFIQUES », PÔLE SANTÉ PUBLIQUE ET SOINS, INCA.

« La chirurgie ambulatoire permet au patient d’être davantage acteur de sa prise en charge. Elle centre son organisation autour de la personne humaine. Le séjour hospitalier est optimisé, pas d’attente, pas de temps mort. En parallèle, une démarche importante d’information et d’éducation du patient est nécessaire. À sa sortie de l’hôpital, ce dernier dispose des informations indispensables, telles qu’une liste des personnes à contacter, la description des symptômes et signes qui doivent l’amener à rappeler l’équipe. L’organisation est pluridisciplinaire et pluriprofessionnelle, elle nécessite une excellente coordination de tous les acteurs, y compris du brancardier et du personnel administratif gérant les admissions et les sorties. Les coopérations entre ces différents professionnels doivent être particulièrement formalisées, pour qu’à chaque étape du parcours, tout soit fluide, avec un bon partage de l’information. Dans ce travail en chaîne, chacun est responsabilisé. »