Vers la professionnalisation - L'Infirmière Magazine n° 403 du 01/04/2019 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 403 du 01/04/2019

 

FORMATION

RÉFLEXION

PASCALE MANCHERON  

CADRE DE SANTÉFORMATEUR, IFSI – PFPS, CHU DE RENNES

La compétence 7 « Analyser la qualité et améliorer la pratique professionnelle » revêt toujours un caractère un peu étrange, voire abscons, pour les professionnels de proximité et les tuteurs. Elle gagne pourtant à être mieux exploitée.

Nombre de stylos de tuteurs demeurent en suspens au moment de valider les critères de la compétence 7 (lire ci-contre). Que cocher : « en voie d’acquisition » ou « acquis » ? Pourtant, des indicateurs existent. Il suffirait de les suivre et les confronter à l’activité de l’ESI, ou de mesurer l’écart entre attendu et réel. Il suffirait… Pourquoi cette hésitation ? Probablement car la compétence 7, plus qu’une autre, ne se réduit pas à la simple évaluation de la performance de l’ESI. Elle permet aussi d’apprécier son processus de professionnalisation. Elle porte un regard sur la construction même du praticien autonome, responsable et réflexif en devenir, « ce professionnel capable d’analyser toute situation de santé, de prendre des décisions dans les limites de son rôle et de mener des interventions seul et en équipe pluri-professionnelle »(1). La finalité - le profil de l’étudiant à former - est posée. Mais comment apprécier le cheminement de cette construction professionnelle avec son lot de fulgurances, d’acquisitions, de ruptures épistémologiques, d’obstacles, de régressions ? Dans ce contexte complexe, l’hésitation des tuteurs prend tout son sens. Dans sa dynamique même. Dans son essence.

De fait, l’hésitation est un « choix qui se cherche »(2). À la différence de la délibération qui s’inscrirait dans une dimension rationnelle, l’hésitation s’inscrit dans un registre plus sensible, plus affectif : elle laisse la place aux émotions, « aux failles, aux douleurs, aux doutes, aux tempêtes sous un crane »(2). Ce crayon suspendu, c’est le choix qui doit émerger à la croisée de trois préoccupations du tuteur : la conscientisation de la responsabilité qui lui incombe dans l’évaluation des compétences d’un futur pair, la légitimité accordée à l’ESI pour intégrer la communauté de pratiques des IDE et l’appréciation de la dynamique identitaire de l’étudiant, cette « totalité complexe, jamais stabilisée puisque soumise de façon permanente à un travail identitaire de construction, de destruction et de reconstruction de soi »(3). Ce processus de professionnalisation peut être questionné lors des analyses de pratiques. Elles sont l’occasion pour le formateur et/ou le tuteur d’explorer le delta entre travail réel et travail prescrit, d’accompagner la transformation des « habitudes interprétatives »(4) de l’ESI, de mesurer la capacité du stagiaire à contextualiser son activité et à mettre en lumière ses valeurs soignantes.

S’approprier les EPP

Outre, la professionnalisation, la compétence 7 permet d’évaluer la capacité de l’étudiant à s’inscrire dans la démarche des EPP (évaluation des pratiques professionnelles). Il s’agit pour l’ESI de développer une méthode d’analyse critique et rigoureuse pour mettre à distance sa pratique et vérifier qu’elle reste en adéquation avec les recommandations et l’actualisation des connaissances scientifiques.

Ce pan majeur de la compétence 7 s’ancre sur les savoirs dispensés en transversalité au détour des UE 1.3.S1-UE 1.3.S 4 (législation, éthique, déontologie), UE 4.5.S 2-UE 4.5.S 4 (soins infirmiers et gestion des risques) et UE 4.8.S 6 (qualité des soins, EPP). Il contribue à la construction de compétences collectives et incite l’étudiant à être force de proposition au sein d’une équipe interdisciplinaire.

La compétence 7, loin d’être une compétence marginale ou secondaire, apparaît bien comme une pierre angulaire du processus de professionnalisation de l’étudiant. Elle gagnerait à sortir de l’ombre et à être davantage explorée lors des activités tutorales.

1 - Référentiel de formation, annexe III de l’arrêté du 31/07/2009 relatif au diplôme d’État d’infirmier.

2 - Boyer A., « Le phénomène de l’hésitation selon Ricoeur », Revue philosophique de la France et de l’étranger, 135, 2010, pp. 479-494.

3 - Kaddouri M., « Engagement en formation et dynamiques identitaires », communication présentée au rendez-vous des acteurs de la formation, de l’insertion et de l’accompagnement, 2010, Nancy.

4 - Zeitler A., Les apprentissages interprétatifs. Interprétation en action et construction de l’expérience, Paris : L’Harmattan, 2011.

REPÈRES

La compétence 7 « Analyser la qualité et améliorer la pratique professionnelle » :

1 Observer, formaliser et expliciter les éléments de sa pratique professionnelle.

2 Confronter sa pratique à celle de ses pairs ou d’autres professionnels.

3 Évaluer les soins, les prestations et la mise en œuvre des protocoles de soins infirmiers au regard des valeurs professionnelles, des principes de qualité, de sécurité, d’ergonomie, et de satisfaction de la personne soignée.

4 Analyser et adapter sa pratique au regard de la réglementation, de la déontologie, de l’éthique, et de l’évolution des sciences et des techniques.

5 Évaluer l’application des règles de traçabilité et des règles liées aux circuits d’entrée et de sortie des matériels et dispositifs médicaux (stérilisation, gestion des stocks, circuits des déchets, circulation des personnes…) et identifier toute non-conformité.

6 Apprécier la fonctionnalité des dispositifs médicaux utilisés dans les soins et dans l’urgence.

7 Identifier les améliorations possibles et les mesures de réajustement.