Mettre fin au calvaire - L'Infirmière Magazine n° 403 du 01/04/2019 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 403 du 01/04/2019

 

MUTILATIONS SEXUELLES FÉMININES

DOSSIER

MUTILATIONS SEXUELLES FÉMININES

HÉLÈNE COLAU  

De plus en plus d’infirmières françaises sont confrontées à la question de l’excision, que ce soit dans un rôle préventif ou pour accompagner les femmes dans leur reconstruction physique et psychologique.

C’est un crime en France et pourtant, l’Unicef estime que 53 000 femmes ayant été victimes de mutilations sexuelles vivent sur notre territoire(1). Cette appellation générique recouvre une multitude de réalités. En effet, le terme « mutilations sexuelles féminines » (MSF) désigne toutes les interventions sur les organes sexuels externes féminins pratiquées sans raison médicale. Les deux formes les plus fréquentes sont l’excision (environ 80 % des cas), c’est-à-dire l’ablation d’une partie du clitoris et des petites lèvres, et l’infibulation, une fermeture quasi complète de l’orifice vulvaire. Ces pratiques sont considérées comme “culturelles” dans de nombreux pays, au premier rang desquels ceux d’Afrique de l’Ouest (Guinée, Sierra Leone, Mali, Burkina Faso, Gambie) et autour de la corne de l’Afrique (Somalie, Djibouti, Érythrée, Éthiopie). Dans ces régions, plus de trois femmes sur quatre sont touchées. Mais les MSF sont également très pratiquées dans d’autres parties du monde, comme l’Indonésie, l’Inde ou encore certains pays d’Amérique latine. La raison principale, à savoir se conformer à une norme sociale – l’excision est présentée comme un rite de passage indispensable pour toute jeune fille qui aspire à se marier un jour – ne fait pourtant plus consensus : aujourd’hui, 67 % des femmes vivant dans un des vingt-neuf pays africains où les MSF sont pratiquées pensent qu’il faut y mettre un terme. Car ces pratiques ont des conséquences graves sur la santé des femmes. D’abord, des saignements, voire une hémorragie pouvant entraîner la mort ; un risque accru de transmission d’infections, notamment du VIH ; un traumatisme psychologique lié à la mutilation. Puis, au fil des années, les femmes excisées sont plus exposées aux infections urinaires et gynécologiques ; elles ont des accouchements plus difficiles ; les rapports sexuels sont douloureux. Le psychotraumatisme peut aussi entraîner une dépression, avec un risque suicidaire.

Une question liée à l’immigration

En France, les MSF sont devenues une question de santé publique avec l’augmentation et la féminisation de l’immigration originaire des pays d’Afrique sub-saharienne. Selon l’enquête Excision et handicap (ExH)(2), menée entre 2006 et 2009 par l’Institut national des études démographiques (Ined) et l’université Paris-I, seules 11 % des filles de femmes excisées vivant en France sont elles-mêmes excisées, et ce chiffre tombe à 3 % pour les fillettes nées en France. Mais, même si la pratique se raréfie, le risque d’être mutilée lors de voyages dans le pays d’origine existe bel et bien. « La question se pose surtout dans les régions accueillant beaucoup de migrants, comme l’Île-de-France, détaille Isabelle Gillette-Faye, directrice du Groupe pour l’abolition des mutilations sexuelles (Gams)(3). Mais il y a aussi un risque de MSF dans des villes comme Rennes, Poitiers ou Angoulême, même si on est loin des 13 ou 14 % de femmes excisées accouchant à Montreuil ou à Saint-Denis. On trouve par exemple beaucoup de Guinéens en Pays de la Loire, des Égyptiens en Paca, des Soudanais en Rhône-Alpes… Depuis peu, avec l’implantation de centres de demandeurs d’asile, la question se pose aussi en Auvergne et dans le Limousin. »

Pourtant, dans notre pays, il n’existe pas de programme national spécifique pour lutter contre les MSF. « En 2006, quand Xavier Bertrand était ministre de la Santé, il avait émis le vœu d’éradiquer ces mutilations, se souvient le Dr Richard Matis, vice-président de Gynécologie sans frontières. Il était notamment prévu de renforcer la formation des infirmières sur le sujet, mais il n’y a pas eu de suite. » Une poignée d’associations se répartissent donc le travail de sensibilisation des populations à risque et des professionnels de santé. Car ceux-ci sont souvent en première ligne pour détecter un risque de mutilation sur une fillette. Dans ce cas, ils ont l’obligation d’intervenir, le risque de MSF justifiant la levée du secret professionnel : selon l’article 226-14 du code pénal, celui-ci n’est pas applicable « à celui qui informe les autorités judiciaires, médicales ou administratives de privations ou de sévices, y compris lorsqu’il s’agit d’atteintes ou mutilations sexuelles, dont il a eu connaissance et qui ont été infligées à un mineur ou à une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique ». Concernant les IDE, l’article R. 4312-7 du code de la santé publique précise qu’elles doivent mettre en œuvre les moyens les plus adéquats pour protéger un mineur victime de sévices.

Écoute et bienveillance

Les infirmières les plus souvent confrontées à un risque de MSF sont les puéricultrices qui travaillent dans des centres de protection maternelle et infantile (PMI). En 2011, une note de service a même formalisé la procédure de prévention à suivre au sein du service de PMI parisien. « Nous évaluons d’abord les facteurs de risque, notamment l’ethnie ou le pays d’origine des parents, décrit Samantha Méranville, infirmière puéricultrice dans le service de PMI du territoire 4 de Paris (VIIIe-XVIIe arrondissements). Le fait que la maman ou toute femme de la famille élargie soit elle-même excisée est aussi un indicateur. » Le sujet peut être évoqué dès la première consultation de puériculture, lors de laquelle les soignantes rappellent les risques des MSF pour la santé ainsi que leur interdiction par la loi française. « Aujourd’hui, les parents savent de plus en plus que c’est illégal, mais ils sont moins au clair sur les risques sanitaires », estime Samantha Méranvile. « Alors que souvent, en y réfléchissant, ils se rappellent une sœur ou une tante morte lors de son excision », précise le Dr Véronique Martin, responsable du territoire 4. Le sujet est toujours amené avec délicatesse, selon le principe de l’écoute bienveillante et dans le respect de la culture des parents. « Les parents peuvent être gênés de parler de ce qui relève de la sphère génitale, explique le Dr Martin. Afin de faciliter l’échange et de lever la barrière culturelle, on peut faire appel à un médiateur socio-culturel. »

En cas de risque immédiat, par exemple si une famille prévoit un voyage hors de France le lendemain, l’IDE alerte le médecin de PMI qui réalise un signalement au procureur. Pour protéger la mineure, celui-ci pourra aller jusqu’à prononcer une interdiction de sortie de territoire ou un placement. « Cela reste rare, explique le Dr Martin. On a récemment eu des mamans qui se sont présentées dans des centres de PMI pour faire exciser leur fille, des migrantes qui avaient tellement voyagé qu’elles n’avaient aucune information sur la loi française. Mais la plupart du temps, les parents sont très réceptifs. Les papas ont souvent des réactions très véhémentes et s’opposent violemment à l’excision, qui peut leur rappeler une histoire familiale douloureuse ou dont ils savent qu’elle est responsable de certains problèmes pour leurs épouses, qui peuvent retentir sur leur couple. »

L’urgence de la prévention

Après la première consultation, la puéricultrice note dans le carnet de santé que la prévention a été réalisée, mais elle ne s’arrête pas là. Des piqûres de rappel sont faites tout au long de la prise en charge, en particulier avant les voyages dans le pays d’origine ou certains États européens. « Les deux parents doivent être informés de leur responsabilité. On leur explique bien qu’ils ont le devoir de protéger leur fille », détaille Véronique Martin. Pour les aider, le service de PMI fournit un certificat de non-excision ainsi qu’une attestation sur les risques pour la santé à présenter à la famille, qui leur permettra de tenir une posture face à ceux qui voudraient exciser la fillette. De plus, les parents sont invités à se rendre dans une association de lutte contre les MSF pour être soutenus dans leur démarche de protection de leur fille.

Les consultations de PMI sont aussi l’occasion de discuter avec les mamans elles-mêmes victimes de MSF, de les orienter vers un suivi psychologique et de leur parler des procédures de réparation (lire p. 25). C’est aussi le rôle que peuvent être amenées à jouer les infirmières scolaires auprès des jeunes filles de leur établissement. Ici, la première étape est de libérer la parole sur un sujet qui reste souvent tabou.

Infirmière scolaire au lycée Edmond-Rostand (Paris, XVIIIe), où sont scolarisés de nombreux migrants, Dominique Duraffour sait combien c’est difficile. « Les jeunes filles n’en parlent pas car l’excision est quelque chose de normal pour elles, elles trouvent que c’est un état naturel. En outre, on leur a souvent expliqué que c’est un sujet dont on ne peut pas parler aux Blancs. Alors, je fais venir une fois par an une représentante du Gams, qui leur explique que ce qu’on leur a fait n’est pas normal, que leur corps leur appartient. »

Ces jeunes primo-arrivantes ont des parcours de vie tellement chaotiques que la question leur semble secondaire par rapport aux autres violences qu’elles ont pu subir et à la nécessité immédiate de survivre. « Mais le fait d’évoquer le sujet peut être le début d’un cheminement. On évoque par exemple la reconstruction. C’est souvent trop tôt pour elles, elles ont d’autres problèmes à gérer, mais peut-être qu’elles y repenseront plus tard. » En tant que professionnelles de santé concourant à la protection de l’enfance, les infirmières scolaires sont aussi tenues de transmettre une « information préoccupante » à la cellule départementale de recueil (Crip) si elles constatent une violence ou un risque imminent. Mais leur rôle est avant tout de rester à l’écoute et d’orienter si besoin les jeunes filles vers des associations spécialisées, comme le Gams, à même de mieux les renseigner.

1 - À lire sur : bit.ly/2Su2kCN

2 - À lire sur : bit.ly/2SbMTuz

3 - Voir le site de l’organisation : https://federationgams.org

PROFESSIONNELS DE SANTÉ

Plusieurs moyens de se former

→ Seules les puéricultrices sont sensibilisées aux mutilations sexuelles féminines (MSF) durant leur formation initiale, dans le cadre du module sur les violences faites aux femmes. Chaque structure peut ensuite organiser des sessions de formation assurées par des associations, comme le Gams ou Women Safe.

→ S’il n’existe pas de formation universitaire spécifique sur le sujet, les IDE intéressées peuvent aussi se former sur les problématiques associées, en suivant un DU de psycho-traumatologie ou de sexologie.

→ La mission interministérielle pour la protection des femmes, contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains a également élaboré un kit de formation(1) sur le repérage et la prise en charge des mineures confrontées aux MSF, composé d’un court-métrage et d’un livret d’accompagnement.

→ Enfin, la brochure « Le praticien face aux mutilations sexuelles féminines »(2) détaille le rôle des professionnels de santé confrontés aux MSF (pose du diagnostic, traitements à proposer, obligations de signalement).

1 - Voir sur : bit.ly/2V6jUu2

2 - Lire sur : bit.ly/2SKbA6E

Du côté de la loi

→ De nombreux textes internationaux condamnent les MSF : la Convention internationale sur les droits de l’enfant, la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant…

→ En France, le code pénal prévoit à l’encontre des auteurs d’une mutilation dix ans d’emprisonnement et 150 000 € d’amende (vingt ans de réclusion si la victime a moins de 15 ans et que l’auteur est une personne ayant autorité). L’incitation à subir et à commettre une MSF sur une mineure est, elle, punie de cinq ans d’emprisonnement et 75 000 € d’amende.

Ces lois s’appliquent auprès des mineures françaises et résidant habituellement en France, que la mutilation ait lieu en France ou à l’étranger. Lorsque la mutilation a été commise sur une mineure de moins de 15 ans, une action en justice peut être engagée jusqu’à vingt ans après sa majorité, c’est-à-dire jusqu’à ses 38 ans.