UN SUIVI SUR-MESURE ENTRE LES STRUCTURES - L'Infirmière Magazine n° 402 du 01/03/2019 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 402 du 01/03/2019

 

ORIENTATION EN SANTÉ MENTALE

SUR LE TERRAIN

TRANSMISSIONS

ROMAIN MORELLE  

Infirmier polaire de réseau inter-structures d’accueil (Iprisa), pôle 15, CH Sainte-Anne, Paris

Construire un projet de vie pour des patients de longue durée au parcours chaotique est une gageure. À l’hôpital Sainte-Anne, à Paris, une nouvelle fonction, nommée Iprisa, permet une intégration rapide et adaptée au patient comme à la structure d’accueil.

La prise en charge d’un patient atteint d’une pathologie mentale chronique, handicapante au quotidien, se rencontre régulièrement dans les services d’hôpitaux psychiatriques. Souvent difficile à stabiliser, elle nécessite de multiples hospitalisations pour ajuster les médicaments et élaborer des projets adaptés afin de permettre le meilleur avenir possible. Raphaël correspond à ces patients décrits par les équipes comme des « patients au long cours à parcours complexes ». Une étude - menée au sein des établissements Sainte-Anne, Maison-Blanche et Perray-Vaucluse dans le cadre du séminaire du GHT Paris « Psychiatrie et neurosciences » (1) - décrit ces mêmes patients comme étant « en état de dépendance institutionnelle et actuellement au sein des services sanitaires ». Ils représentent 31 % du total des patients en hospitalisation et 9 % de ceux suivis en centre médico-psychologique (CMP). Il s’agit principalement d’hommes de 50 ans, majoritairement schizophrènes, avec un parcours de soins de trente-cinq ans. Dans 83 % des cas, les patients ont bénéficié d’une orientation de la MDPH (2) vers une structure sociale ou médico-sociale. Durant les cinq dernières années, selon cette même étude, l’orientation s’est avérée un échec dû au refus du patient (ou de sa famille), mais aussi au déficit de structures ou de places en structures médico-sociales.

Dans de telles situations, il apparaît nécessaire d’apporter une solution d’accompagnement en renforçant l’articulation des dispositifs de soins, la qualité de l’offre et l’accessibilité. C’est dans ce contexte que le poste d’infirmier polaire de réseau inter-structures d’accueil (Iprisa) a été créé au pôle 15 du CH Sainte-Anne, en 2015. Il intervient dans les trois secteurs dépendant du pôle XVe arrondissement, les secteurs 14, 15 et 16. Sa mission ? Préparer et accompagner le patient dans la réalisation de son projet de vie en structure médico-sociale et soutenir les structures d’accueil dans la continuité du suivi. L’objectif est de fluidifier les parcours de soins complexes, qui « s’apparentent à la succession de pas japonais entre les différents nœuds fournisseurs de prestation de service » (3).

Intervention en trois temps

→ La première étape consiste à évaluer le projet et potentialiser l’adhésion du patient à son équipe référente. Pour cela, il est nécessaire de confronter les observations de chacun, selon son domaine de compétence : médecin, assistant social éducatif, infirmier, aide-soignant, représentants légaux (curateur, tuteur) durant un temps de synthèse. Il en ressort un premier tableau composé du quotidien du patient, de l’observation des équipes, des actions et évaluations mises en place. Il importe aussi de faire un état des lieux des démarches déjà effectuées et à effectuer avec le patient. Le regard extérieur de l’Iprisa permet une mise à distance du vécu parfois difficile des équipes face aux prises en charge complexes. En parallèle, des entretiens infirmiers motivationnels et d’information sont organisés avec le patient pour travailler avec lui sur son projet, afin de majorer son adhésion à la structure médico-sociale. Cette préparation peut être plus en moins longue en fonction de la qualité de l’adhésion, de l’avancée des démarches administratives et sociales et de la possibilité d’accueil des structures médico-sociales.

→ La deuxième étape se focalise sur la recherche de structures correspondant aux besoins du patient. La collaboration avec les assistants sociaux éducatifs est alors essentielle et passe par une mise en commun des réseaux de structure.

L’Iprisa intervient dans les établissements comme les foyers de vie, d’hébergement, les foyers d’accueil médicalisés, les Ehpad, les maisons d’accueil spécialisées… La connaissance du réseau et un lien régulier avec les structures médico-sociales font gagner un temps précieux dans la prise en en charge. D’une part, les souhaits et besoins du patient (localisation géographique, infrastructures…) seront pris en compte pour cibler les structures correspondantes. D’autre part, ces dernières recevront des candidatures adaptées au profil des patients accueillis en leur sein. Il en ressort une orientation personnalisée, favorisant les chances d’admission lors des entretiens de pré-admission.

→ La dernière étape consiste en un soutien au patient et à sa nouvelle équipe une fois l’admission dans la structure médico-sociale effective.

L’Iprisa effectue alors un suivi personnalisé durant les six premiers mois. Cette période souvent teintée d’anxiété et de changement nécessite d’accompagner le patient, en complément du suivi proposé par le CMP de référence. Des entretiens infirmiers seront réalisés dans l’établissement en vue de soutenir l’adaptation au sein de la structure et s’assurer de la continuité de la stabilité clinique. Chaque visite permet de recueillir l’observation de l’équipe, mais aussi d’effectuer le relais entre passé et présent. Ce qui potentialise la continuité de la prise en charge.

→ Par exemple, Raphaël a intégré la structure depuis deux semaines et l’équipe observe une anxiété au coucher. Je vais alors rechercher si cet état était présent avant et quelles actions étaient mises en place pour le soulager. Si cet état n’apparaissait pas précédemment, il importera de transmettre ces informations à son psychiatre pour son suivi au CMP. Mais aussi de réfléchir avec l’équipe de la structure pour adapter les actions aux moyens présents.

Une réponse adaptable et rapide

Mon rôle est de solliciter et coordonner les intervenants afin d’apporter une réponse rapide en cas de recrudescence de la pathologie. L’articulation des intervenants est alors simplifiée et l’organisation d’un séjour de rupture dans le secteur psychiatrique facilitée.

Le suivi proposé est adaptable, selon les besoins et demandes du patient ou de l’établissement. Au sixième mois, je proposerai une synthèse de finalisation de mon intervention avec le patient et les intervenants du suivi. Ce moment permet de mettre en avant l’évolution du patient au sein de son nouveau lieu de vie et d’organiser la continuité du suivi avec l’équipe du CMP.

Pour conclure, la coordination de l’Iprisa permet un soutien au patient et son équipe dans la création, l’accompagnement et l’aboutissement du projet. Le patient ne subit plus de rupture ou de sentiment d’abandon mais se voit accompagné et devient acteur de son projet. Le soutien aux équipes des structures garantira une meilleure continuité de prise en charge pour le bien-être du patient et permettra de renforcer les liens de collaboration dans l’accompagnement de personnes atteintes de pathologie mentales.

1- Séminaire du GHT Paris, « Psychiatrie et neurosciences. Innover pour les patients “au long cours” », 21 novembre 2016.

2- Maison départementale des personnes handicapées.

3- À lire ire sur : www.ght-paris.com/ fr/projet-medical/, mars 2017.

4- Jean-Pierre Claveranne et Christophe Pascal, Repenser les processus à l’hôpital : une méthode au service de la performance, Paris, éditions Médica, 2004, p. 188.

CAS DE DÉPART

Raphaël, un patient schizophrène de 58 ans, est hospitalisé dans l’unité de secteur depuis plus de deux ans pour des troubles du comportement. Il est connu et suivi par les services de psychiatrie depuis trente ans. De nombreux projets ont été tentés : retour à domicile avec suivi au CMP, accueil familial thérapeutique, structures médico-sociales. Raphaël s’adapte au fonctionnement du service où il est hospitalisé et se montre rassuré par l’institution, mais refuse tout autre projet.

HISTORIQUE DU PROJET

→ Juillet 2015 : création du poste d’infirmier polaire de réseau inter-structures d’accueil (Iprisa).

→ Bilan depuis sa création :

- plus de 100 patients ont été accompagnés par l’Iprisa ;

- 53 patients sont dans la file active en 2018 ;

- 27 patients ont été admis en structure médico-sociale ;

- collaboration active avec plus de 30 structures médico-sociales en France et en Belgique.

TÉMOIGNAGES

Lien de confiance et éclairage clinique

→ Aude Demory, assistante de service social, CHSA-SHU, secteur du service du Pr Krebs, à Paris :

« Le rôle d’accompagnement de l’Iprisa intervient dès le début du projet. Il fait un gros travail de lien avec le patient pour mettre en place les projets d’entrée en institution. Il accompagne le projet établi dans le respect des patients grâce au lien de confiance qu’il construit avec eux. Son suivi est une plus-value importante pour les structures qui peuvent le contacter et ainsi assurer une réponse rapide et adaptée aux équipes. »

→ Julie Jametal, éducatrice spécialisée, au centre Robert-Doisneau, à Paris : « Le travail de l’Iprisa est précieux. Il est très rassurant pour les patients, qui ont pour la plupart connu de longues périodes d’hospitalisation avant d’arriver dans notre structure. Mais aussi pour notre équipe, qui dans sa majorité n’a jamais travaillé en psychiatrie et profite de l’éclairage clinique apporté. »