Le toucher-détente peut-il améliorer la prise en charge de l’enfant, âgé de 7 à 17 ans, lors de soins douloureux ? - L'Infirmière Magazine n° 401 du 01/02/2019 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 401 du 01/02/2019

 

FORMATION REVUE DE LA LITTÉRATURE

AGNÈS BERGERON*   PASCALE BELONI**  


*Iade, référente
douleur, hôpital
de la mère
et de l’enfant,
CHU Limoges
**IDE, Ph.Ds.,
cadre supérieure
de santé,
coordonnatrice
de la recherche
en soins
CHU de Limoges,
membre de
la CNCPR

Le troisième plan gouvernemental(1) 2006-2010 de lutte contre la douleur interpelle le rôle propre des soignants. En effet, concernant les méthodes non pharmacologiques, il est précisé : « Le traitement médicamenteux ne constitue pas la seule réponse à la demande des patients douloureux. Les techniques non médicamenteuses de prise en charge de la douleur existent. Les professionnels et usagers les reconnaissent comme efficaces. Il s’agit de traitements réalisés par des professionnels de santé qualifiés : traitements physiques (massages, kinésithérapie, physiothérapie [cryothérapie, électro-stimulation transcutanée : TENS], balnéothérapie, éducation posturale et gestuelle), méthodes psychocorporelles ou comportementales (hypnose, relaxation, sophrologie). » De plus, en mars 2011, le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) a publié le bilan du plan d’amélioration de la prise en charge de la douleur 2006-2010 et préconisé l’élaboration d’un quatrième plan douleur afin de donner un nouveau souffle aux actions entreprises et de s’assurer de la poursuite de l’engagement des pouvoirs publics dans ce champ. Ainsi, dans les services de chirurgie infantile, l’indication de la mise en place d’un drainage aspiratif type Redon®, per et post opératoire, est parfois nécessaire sur deux ou trois jours, voire plus. En conséquence, le retrait de celui-ci occasionne une douleur aiguë brève, appelée aussi douleur induite, devant être anticipée par la mise en place de techniques médicamenteuses et/ou non médicamenteuses. Les guides de bonne pratique(2) recommandent que le retrait du drain aspiratif type Redon® soit réalisé sous mélange équimolaire d’oxygène et de protoxyde d’azote (Meopa). En 2011, une étude pilote menée sur 20 enfants à l’hôpital de la mère et de l’enfant du CHU de Limoges a montré que le Meopa restait insuffisant pour 25 % des enfants ayant un retrait de drain aspiratif type Redon®. Ce constat a motivé les équipes soignantes à travailler sur la diminution de la douleur induite provoquée par le retrait du drain. C’est ainsi que, devant l’augmentation des demandes de formation « toucher-détente » du personnel soignant dans le secteur de chirurgie infantile, s’est posée la question de l’efficacité réelle de cette pratique, simple d’utilisation, reconnue comme un soin à part entière avec des bénéfices constatés empiriquement sur la douleur et l’anxiété, et de l’opportunité de mener une étude. Nous avons donc réalisé une revue de la littérature sur ce sujet de la douleur aiguë induite par les soins et des méthodes non pharmacologiques.

→ Les méthodes non pharmacologiques. Les connaissances concernant ces méthodes ont peu progressé, alors qu’un certain nombre de professionnels s’accordent à penser que ces techniques ont toute leur place dans le traitement de la douleur(3). En 2007, dans une revue de la littérature concernant les méthodes non pharmacologiques de prise en charge et prévention de la douleur provoquée par les soins, les auteurs mettaient en évidence qu’il n’existait pas de travaux permettant de valider les effets positifs des massages dans la prévention de la douleur provoquée par les soins(4). Ces écrits nous ont amenées à nous poser la question suivante : le toucher-détente peut-il améliorer la prise en charge des enfants âgés de 7 à 17 ans lors de soins douloureux en modifiant leur perception ?

MÉTHODOLOGIE

Pour explorer les données scientifiques existantes sur ce sujet, nous avons réalisé une revue de la littérature à l’aide du moteur de recherche Medline/ PubMed. L’objectif était de savoir si des étudessemblables avaient été réalisées.

Des mots-clés ont été identifiés dans les publications portant sur ce thème. Ces mots-clés ont été associés à d’autres, reconnus par la base de données Medline/PubMed : les MeSH (Medical Subject Headings) afin de permettre une recherche précise et pertinente pour interroger les bases de données : « toucher » ; « douleur induite » ; « enfant » ; « adolescent » ; « Redon® » (le terme n’étant pas connu dans la base, le mot-clé « drainage » a été utilisé). Le terme « soins infirmiers pédiatriques » n’a pas été retenu car trop vaste.

De nombreux résultats avec pour seuls mots-clés « toucher et infirmier » et « touch-nurse » n’étaient pas toujours en lien avec notre sujet. Nous avons constaté qu’une bonne maîtrise de l’anglais était nécessaire car il existe très peu de résultats en français, et que certains de ces articles n’étaient pas en accès libre, ce qui nécessitait de les acheter.

Nous avons complété notre recherche à l’aide d’un travail de bachelor québécois en soins infirmiers sur le toucher portant sur une revue de littérature réalisée par une lecture critique d’articles avec grille (sélection et classification d’articles pertinents pour notre choix d’étude) ainsi qu’une recension d’écrits en sciences infirmières sur les différents touchers(5). Des ouvrages et des articles de revues ont été consultés pour enrichir et compléter notre recherche. Ces documents - travail de bachelor, ouvrages, articles - ont été sélectionnés grâce aux références des bibliographies consultées.

RÉSULTATS

Malgré la mise en évidence et la confirmation dans la littérature des effets physiologiques et psychologiques bénéfiques que génère cette méthode du toucher sur les patients et le fait que des chercheurs de l’académie Sahlgrenska de Göteborg, en Suède, ont réussi à démontrer le pouvoir d’une simple caresse sur le soulagement de la douleur d’un patient(6), très rares sont les études réalisées de manière scientifique pour évaluer l’efficacité du toucher au décours de l’hospitalisation d’enfants douloureux. Le constat de cette recherche bibliographique en utilisant le moteur de recherche PubMed a été peu productif concernant l’effet du toucher sur la prévention des douleurs induites lors de soins chez les enfants. Nous retrouvons dans la littérature scientifique des études comparatives (toucher-massage + une autre méthode non médicamenteuse) sur les douleurs chroniques chez les enfants(7 à 9) ou touchant une population plus âgée(10).

À l’issue de cette recherche, nous avons retrouvé cinq recherches spécifiques en lien avec notre thème pour des douleurs induites lors des soins :

• 2004, Vannorsdall et Dalhlquist, dans une étude incluant 50 enfants(11) pendant une ponction lombaire, montrent que le toucher de l’infirmière réduit de façon significative les comportements de détresse et de douleur ;

• 2004, une autre étude(12) démontre l’utilité du massage chez cinq sujets drépanocytaires lors de crises vaso-occlusives : étude avec effectif réduit, dont quatre adultes ;

• 2006, une étude canadienne incluant 23 sujets démontre l’efficacité seule du toucher-détente du mollet avant prélèvement capillaire chez le nouveau-né(13) ; étude reprise par le Dr Montcho, pédiatre au CHU d’Angers, portant sur 60 nouveau-nés cette fois-ci, et présentée à la 17e journée de l’Unesco, en 2010(14) ;

• 2011, seule une étude randomisée sur 70 patients, mais âgés de 50 à 85 ans, « Évaluation de l’efficacité du toucher comme moyen de prévention de la douleur provoquée par l’ablation du Redon® après intervention pour prothèse totale de hanche » est ressortie(15). Concernant cette dernière, nous retrouvons les termes « toucher »/« douleur », « provoquée »/ « ablation Redon® », comme dans notre étude, mais la similitude s’arrête là, bien entendu.

En résumé, nous n’avons pas retrouvé d’étude ou d’article sur le toucher lors de soins douloureux tel que le retrait du drain de Redon® chez l’enfant. Nous pouvons également constater que la grande majorité de cette littérature est anglo-saxonne et que le terme « toucher » est rattaché à d’autres mots (procédural, affectif, expressif, thérapeutique, de protection, moyen de communication avec six symboles…)(16), lui donnant ainsi sa tonalité.

Nous avons donc voulu tester si l’impact d’une technique de toucher-détente associée au Meopa permettait de diminuer la douleur de l’enfant lors du retrait du drain aspiratif type Redon®.

DISCUSSION

Bien que le toucher demeure au centre des gestes du soin, comme vecteur de détente, de mieux-être et de prévention de la douleur, il a été peu étudié dans la discipline infirmière et essentiellement chez la personne âgée(5). Nous nous sommes particulièrement intéressées au toucher instrumental, qui est un toucher physique délibéré amorcé pour faciliter l’exécution d’un autre acte qui est le but principal de l’initiateur. Ainsi, un projet de recherche a été soumis et retenu pour financement en 2012 dans le cadre du programme hospitalier de recherche infirmière et paramédicale (PHRIP). Cette étude a pris fin en novembre 2018, 232 enfants ont été inclus. Nous entrons dans une nouvelle étape qui est l’exploitation des données recueillies. Enfin, entre la rédaction du protocole de recherche et la rédaction de l’article scientifique, il s’écoule souvent quelques années, il est donc nécessaire, à partir des résultats produits, de refaire une revue de littérature. C’est ce que nous avons fait à l’aide du moteur de recherche PubMed.

Toutefois, nous avons constaté, au regard de ces résultats, que le toucher suscite toujours un intérêt important mais que seulement 14,5 % des écrits concernent l’enfant et l’adolescent. Le toucher dans les soins induisant une douleur et, entre autres, celle du retrait du drain aspiratif type Redon® est inexistant. De ce fait, les résultats de notre étude vont donc contribuer à l’apport de nouvelles connaissances.

CONCLUSION

La revue de la littérature est le “cœur” de la rédaction d’un protocole de recherche. C’est une étape incontournable pour dresser un état des lieux actualisé des savoirs concernant le thème travaillé, répondre à des questions nouvelles. Cette étape renvoie à certaines compétences comme : une habilité à la recherche documentaire, la maîtrise des moteurs de recherche mais aussi la lecture de l’anglais médical. La revue de la littérature est aussi un atout pour guider la pratique professionnelle basée sur les données probantes.

Bibliographie

  • → 1. Plan d’amélioration de la prise en charge de la douleur, 2006-2010. Ministère de la Santé et des Solidarités. Disponible sur : https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/plan_amelioration_prise_en_charge_douleur_2006-2010.pdf
  • → 2. Afssaps. « Prise en charge médicamenteuse de la douleur aiguë et chronique chez l’enfant. Recommandations de bonne pratique ». Consultable sur : http://pediadol.org/IMG/pdf/Afssaps_reco.pdf
  • → 3. Évaluation du plan d’amélioration de la prise en charge de la douleur 2006-2010. Haut Conseil de la santé publique. Consultable sur : www.hcsp.fr
  • → 4. « La place des méthodes psychocorporelles dans la prise en charge et la prévention de la douleur provoquées par les soins chez l’enfant, l’adulte et la personne âgée ». Consultable sur : www.cnrd.fr/Place-des-méthodes-psycho.html
  • → 5. Vinit F., « Différentes typologiques du toucher en soins infirmiers : le toucher dans les soins infirmiers regard croisé entre discipline infirmière et anthropologie », Cahier 8-Université du Québec en Outaouais, 2006.
  • → 6. Loken J, Wessberg D., « Pouvoir d’une simple caresse sur le soulagement de la douleur d’un patient », Académie de Gothenburg, Maxisciences [En ligne]. 2009 avril [consulté le 02/03/2011]. Disponible sur : www.maxisciences.com/contact/le-contact-physique-un-anti-douleur-naturellement-efficace_art1632.html
  • → 7. Pédiadol. 15e journée : « La douleur de l’enfant. Quelles réponses ? Les publications sur la douleur de l’enfant : une sélection des plus pertinentes en 2007-2008. Consultable sur : www.pediadol.org
  • → 8. Ohgi S., Akiyama T., Arisawa K, Shigemori K., « Randomised controlled trial of swaddling versus massage in the management of excessive crying in infants with cerebral injuries, Arch Dis Child, mars 2004, 89 :212-216.
  • → 9. Post-White J., Fittzgerald M., Savik K, Hooke MC, Hannahan A.B., Sencer SF. « Massage therapy for children with cancer », Journal of Pediatric Oncology Nursing, 2009, 26 (1): 16-28.
  • → 10. Kutner JS et al. « Massage therapy versus simple touch to improve pain and mood in patients with advanced cancer : a randomized trial », Ann Iterm Med, 2008, Sep 16, 149 (6): 369-79.
  • → 11. Vannorsdall T, Dalhlquist, « The relation between nonessential touch and children’s distress during lumbar punctures », Children’s Health Care, 2004.
  • → 12. Brown Bodhies P., Dejoie M., Brandon Z, Simpkins S, Ballas S. K., Hematology, 2004,9 (3): 235-7
  • → 13. Jain S., Kumar P., McMillan D.D., « Prior leg massage decreases pain responses to heel stick in prterm babies », J Paediatr Child Health, 2006, 42 (9) : 505-8.
  • → 14. Pédiadol. 17e journée : « La douleur de l’enfant. Quelles réponses ? » Livre des communications 2010. Consultable sur : www.pediadol.org
  • → 15. Guion A., « Évaluation de l’efficacité du toucher comme moyen de prévention de la douleur provoquée par l’ablation du redon après intervention pour prothèse de hanche », Revue douleur, hors-série, n° 3A9FI-3, Congrès SFETD2011.
  • → 16 Routasalo P., « Physical touch in nursing studies: a literature review ». Journal of Advanced Nursing, 30(4), 843-850.

CHAQUE MOIS, UNE INFIRMIÈRE RÉALISE UNE REVUE DE LA LITTÉRATURE À PARTIR D’UN QUESTIONNEMENT SUR SA PRATIQUE ET VOUS LIVRE LE RÉSULTAT DE SES RECHERCHES.

EN PARTENARIAT AVEC : LA COMMISSION NATIONALE DES COORDONNATEURS PARAMÉDICAUX DE LA RECHERCHE

Les auteures déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt

COORDINATION :

VALERIE BERGER

IDE, Ph. D., cadre supérieure de santé, coordonnatrice de la recherche en soins CHU de Bordeaux, membre de la CNCPR, maitre de conférence associé temporaire, université de Bordeaux.

valerie.berger@chu-bordeaux.fr

EMMANUELLE CARTRON

IDE, Ph. Ds., coordonnatrice de la recherche en soins CHU de Nantes, membre de la CNCPR.

emmanuelle.cartron@chu-nantes.fr