L’ÉTAT EN FAIT-IL ASSEZ CONTRE L’ALCOOL ? - L'Infirmière Magazine n° 401 du 01/02/2019 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 401 du 01/02/2019

 

PLAN « ADDICTIONS »

ACTUALITÉS

REGARDS CROISÉS

ADRIEN RENAUD  

La mission interministérielle de lutte contre les drogues et conduites addictives (Mildeca) a présenté mi-janvier son plan contre les addictions. Une feuille de route qui manquerait, selon certains, de vigueur en ce qui concerne l’alcool.

Nicolas Prisse

« Aux contre-vérités, le plan oppose des vérités établies sur le plan scientifique »

Quel est l’objectif du plan « addictions » présenté par le gouvernement en janvier ?

Le premier objectif est de dire la vérité aux Français, afin de susciter un élan national qui dépasse le secteur de l’addictologie. C’est pour cela que nous l’avons appelé « Plan national de mobilisation » : l’enjeu est de faire changer le regard de la population sur cette question. On constate en effet que les niveaux de consommation restent préoccupants en France, notamment chez les jeunes. On constate aussi que des représentations erronées persistent, comme celles qui consistent à penser que l’usage de cannabis n’aurait pas de conséquences sur la santé ou que boire un peu serait bon pour le cœur. À ces contre-vérités, le plan oppose des vérités établies sur le plan scientifique.

Quelles sont les principales mesures du plan, notamment en ce qui concerne l’alcool ?

Je tiens d’abord à préciser que notre plan ne met pas l’accent sur un produit spécifique, mais sur une population en particulier : les enfants et les jeunes. Ceci étant dit, certaines mesures de prévention marchent, quel que soit le produit. C’est par exemple le cas des actions en milieu scolaire, qui permettent de reculer l’âge des premières expérimentations. On peut également penser aux mesures qui permettent aux soignants de mieux informer les patients sur les recours possibles. Nous prévoyons aussi des actions visant à faire respecter l’interdiction de vente aux mineurs : cela passe par des partenariats avec les détaillants, par des testings effectués par des associations ou par des opérations de contrôle par les forces de l’ordre. Concernant l’alcool, on peut aussi parler de l’augmentation, déjà annoncée par Agnès Buzyn, de la taille du logo présent sur les bouteilles pour prévenir les femmes enceintes des dangers de l’alcool pendant la grossesse. La mesure devrait aboutir dès 2019.

Quels moyens aura le gouvernement pour financer ces objectifs ambitieux ?

Il faut savoir que, chaque année, l’État et l’Assurance maladie allouent environ deux milliards d’euros à la lutte contre les addictions, toutes politiques comprises. Je pense qu’il y a des marges de manœuvre sensibles pour faire mieux avec ces deux milliards. Par ailleurs, le gouvernement a récemment décidé de permettre de financer avec le Fonds tabac des mesures qui concernent d’autres produits. Et comme ce fonds sera abondé par de nouveaux crédits, comme le produit des amendes forfaitaires pour consommation de cannabis, il y aura des ressources supplémentaires.

Pourquoi n’avoir pas prévu de mesures sur le prix des boissons alcooliques ?

Le choix a été fait d’appliquer d’abord ce qui existe, avant d’entrer dans de nouvelles mesures législatives. Il y a effectivement un levier d’action sur les prix. Mais ce plan est un exercice interministériel, qui a recherché un équilibre entre les bénéfices de chaque action d’une part, et les contraintes qu’elle fait peser par ailleurs d’autre part. Cela dit, l’action sur les prix est efficace, et ce plan est évolutif. Je n’exclus donc pas qu’on aille vers ce type de mesure à l’avenir.

Bernard Basset

« Nous sommes face au lobby très puissant de l’alcool, présent à l’Élysée »

Comment jugez-vous le plan « addictions » ?

Je pense qu’il contient d’excellentes analyses, très bien exposées. Mais elles ne sont assorties ni d’un calendrier ni de moyens ni même d’indicateurs quantifiés précis, qui permettraient de suivre la mise en œuvre des actions prévues. À mes yeux, ce n’est pas un plan d’action, mais un plan d’intentions.

Le plan contient tout de même des actions contre la consommation d’alcool, comme l’augmentation du pictogramme à l’intention des femmes enceintes sur les bouteilles ou encore le « testing » pour contrôler la vente aux mineurs…

L’annonce d’augmentation de la taille du pictogramme date de septembre 2017. Depuis, le gouvernement aurait pu avancer, car c’est une décision qui se prend par simple arrêté. Mais le plan ne donne toujours pas la taille de ce fameux pictogramme. Concernant le testing, cela va dans le bon sens. Mais combien de testings prévoit-on, dans quelles régions, sur quels lieux, qui va les financer ? Dans un contexte d’amaigrissement de la fonction publique, ce sont des questions qu’on peut se poser.

Quelles sont, à votre avis, les mesures contre l’alcool qui manquent dans ce plan ?

On peut penser à l’encadrement de la publicité autour des écoles : c’est une mesure qui ne demande pas beaucoup d’argent et qui a un impact. Plus on est exposé, plus on est incité à la consommation. On devrait aussi taxer les prémix à base de vin (rosé pamplemousse, rosé sucette…) à l’image de ceux à base de spiritueux, déjà lourdement taxés. Ces prémix à base de vin sont en effet actuellement très peu taxés, or il s’agit d’outils marketing destinés à faire entrer les jeunes dans la consommation avec des produits peu chers. Nous aurions aussi aimé voir une harmonisation de la fiscalité sur les alcools : à degré d’alcool comparable, les bières sont taxées 13 fois plus que le vin, et les spiritueux 62 fois plus.

Le levier financier est-il le plus efficace pour diminuer la consommation d’alcool ?

Les études internationales montrent que les leviers efficaces pour faire diminuer une consommation sont de réguler la publicité, d’agir sur la disponibilité du produit et sur son prix. Il faut donc agir sur ces trois leviers et compléter par une information transparente, objective, sur les produits eux-mêmes.

Qu’est-ce qui explique la frilosité gouvernementale ?

Nous sommes face à un lobby très puissant, le lobby de l’alcool, en particulier le lobby viticole, qui est présent à l’Élysée. Audrey Bourolleau, ancienne déléguée générale de Vin et société, organisme qui représente le secteur, est conseillère agriculture du Président. Elle est en mesure de défendre sa filière. Nous assistons donc aux rivalités, habituelles dans tous les gouvernements, entre intérêts agricoles et santé publique.

Pensez-vous que la santé publique prévaudra un jour ?

À court terme, le poids des lobbies est puissant. Je pense cependant qu’il existe une prise de conscience sur le risque de l’alcool, et que cela aura des conséquences à moyen ou long terme. Il y a désormais une demande pour davantage de protection qui n’était pas présente il y a vingt ans.

NICOLAS PRISSE

Président de la Mildeca

→ 2000 : chargé de mission au ministère des Sports, coordonnant notamment un réseau régional de médecins conseillers

→ 2003 : chargé de mission au ministère de la Santé, travaillant notamment sur les toxicomanies> 2016 : conseiller au cabinet de Marisol Touraine> 2017 : président de la Mildeca

BERNARD BASSET

vice-président de l’association nationale de prévention en alcoologie et addictologie (Anpaa)

→ 2000 : sous-directeur de la santé du ministère de la Santé, en charge de la politique nationale pour les addictions et l’alcool

→ 2007 : directeur général adjoint de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes)

→ 2010 : coordinateur national des projets régionaux de santé

POINTS CLÉS

→ Les addictions constituent l’une des principales causes de mortalité évitable en France (73 000 morts pour le tabac, 49 000 pour l’alcool, d’après le plan de la Mildeca).

→ Pour prévenir les conséquences des addictions, la Mildeca, qui travaille sous l’autorité du Premier ministre, a présenté en janvier un « Plan national de mobilisation contre les addictions », décliné en 19?priorités et 71 objectifs.

→ Ce plan porte sur 2018-2022, et devra être mis en œuvre par l’administration : ministères, collectivités territoriales, ARS, Éducation nationale…

→ Il intervient dans un contexte où l’exécutif est accusé de vouloir épargner le marché de l’alcool.

→ Dans une lettre ouverte à Agnès Buzyn en octobre, dans le cadre du Projet de loi de financement de la Sécurité sociale, des médecins avaient demandé au gouvernement de ne pas céder aux « lobbies alcooliers » et d’augmenter la fiscalité sur l’alcool… mesure qui ne figure pas dans le plan de la Mildeca.