DANIÈLE SENÉ Infirmière Asalée dans le quartier de la Goutte-D’or, à Paris (75) - L'Infirmière Magazine n° 401 du 01/02/2019 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 401 du 01/02/2019

 

RENCONTRE AVEC

CARRIÈRE

PARCOURS

CAROLINE COQ-CHODORGE  

« On m’a expliqué que j’allais devoir prendre du temps avec les patients, pour les aider à vivre mieux avec leur maladie. Forcément, j’étais d’accord. »

Dans le bureau de Danièle Sené, éparpillés ici et là, il y a des maillots et des bonnets de bain, des couscoussières, des jeux pour enfants. Tout raconte sa pratique infirmière. Son bureau est collé au mur, il ne la sépare pas de ses patients. Elle leur présente une chaise, à un mètre d’elle. Et elle écoute leurs histoires de vie. Par exemple, celle de cette femme, atteinte d’une maladie pulmonaire, en pré-diabète, au travail harassant, aux responsabilités familiales lourdes, aux semaines sans répit, qui vit sous la menace d’une expulsion de son logement. Elle revient voir l’infirmière parce qu’elle a repris du poids avec un nouveau traitement à la cortisone. « Comment est-ce que que je peux vous aider  » Danièle Sené ouvre ainsi la discussion et ne se départit jamais de cette posture d’écoute. Avec sa patiente, elle convient de la tenue d’un petit cahier où seront notées toutes les prises alimentaires de la journée. C’est le début d’un long travail.

→ Des activités à foison. Danièle Sené exerce dans plusieurs cabinets médicaux du XVIIIe arrondissement à Paris, en particulier à la Goutte-d’Or, quartier de ralliement de la communauté africaine d’Île-de-France. Il abrite de beaux marchés et des trafics de tous ordres. Aux côtés d’habitants plus aisés vit une population issue de l’immigration, souvent précaire, parfois en situation administrative chancelante ou irrégulière. Danièle Sené est ici dans son « milieu culturel : je suis métisse, mon père était sénégalais ».

Sa consultation est très orientée vers la prise en charge du diabète, qui frappe durement la population d’origine maghrébine et africaine. Au-delà de la surveillance de la glycémie et de l’observance des médicaments, elle travaille sur le mode de vie des patients : l’alimentation, l’activité physique. Elle a développé de nombreux ateliers avec les patients. Elle accompagne chaque semaine à la piscine des femmes ne sachant pas nager. Des patients obèses prennent goût au yoga. Un groupe de marche a pris son indépendance et se retrouve fréquemment dans les parcs. Elle a également développé un cours de cuisine réservé aux hommes, souvent ceux qui vivent seuls dans des foyers d’accueil et s’alimentent mal, faute de savoir cuisiner. Pour payer la professeur de cuisine, de yoga, la location des salles, et même l’achat des maillots et des bonnets de bain pour les personnes les plus précaires, elle va « à la pêche aux subventions ».

→ « Maltraitée autant que maltraitante ». Elle a acquis cette capacité à “monter des projets” dans son premier métier dans l’audiovisuel : elle réalisait des films pour le compte d’une ONG. Elle a choisi le métier d’infirmière « en espérant continuer dans l’humanitaire ». Diplômée en 2009, elle a été fidèle à sa promesse : elle travaille une journée par semaine pour Médecins du monde, bénévolement.

« Cela m’a tenue. J’y ai trouvé le soin, le respect des gens, la prise en compte de leurs conditions de vie. » C’est au cours d’une formation dispensée par MDM que l’IDE a, pour la première fois, entendu parler d’Asalée, avant de tomber sur une annonce pour un poste à la Goutte-d’Or. « On m’a expliqué que j’allais devoir prendre du temps avec les patients, pour les aider à vivre mieux avec leur maladie. Forcément, j’étais d’accord. »

Dans le parcours de Danièle Sené, comme de nombreuses infirmières Asalée, il y a une rupture douloureuse avec l’hôpital. « J’étais écartelée entre mes valeurs et la façon dont on traite les gens, raconte-t-elle. Parce qu’il faut aller vite, parce qu’on n’a pas le temps, parce qu’on est en sous-effectif permanent, j’avais le sentiment d’être maltraitée autant que maltraitante. J’ai fini par développer des techniques d’évitement des regards des malades, de leurs familles, pour éviter de leur parler, faute de temps. J’ai réalisé que je ne voulais pas vivre ça en tant que patiente, jamais. »

MOMENTS CLÉS

1985-2002 : travaille dans l’audiovisuel.

2009 : obtient le diplôme d’IDE.

2009-2014 : travaille dans des services variés à l’hôpital.

2012 : obtient un DU santé, solidarité, précarité.

2014 : devient infirmière Asalée.

2017-2019 : se lance dans la validation d’un master d’éducation thérapeutique.