La lecture critique d’articles scientifiques - L'Infirmière Magazine n° 400 du 01/01/2019 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 400 du 01/01/2019

 

FORMATION

RECHERCHE

CATHERINE AUGUSTYNIAK*   VALÉRIE BERGER**  

Pour maintenir des soins de qualité, les infirmières ont intérêt à constamment actualiser leurs connaissances. Pour ce faire, elle doivent s’appuyer sur la littérature scientifique et développer des aptitudes à la lecture critique d’articles. Décryptage.

1. INTRODUCTION

L’évolution des pathologies et des progrès médicaux, allant de pair avec les nouvelles prises en charge des patients, demande aux IDE, pour être pertinentes et performantes dans leurs pratiques de soin, de s’appuyer sur les données issues de la littérature scientifique. En effet, mettre à jour ses connaissances pour dispenser de meilleurs soins, rechercher les informations les plus récentes, trouver les réponses aux questions cliniques pour la prise en charge des patients, ne peut se faire qu’en évaluant la pertinence des résultats d’études scientifiques validées.

Les infirmières ont donc intérêt à développer des aptitudes à la lecture critique d’articles scientifiques. De nombreux obstacles à cet exercice sont cependant décrits dans la littérature, dont l’abondance d’articles, la langue, le fait que peu soient lus par les infirmières, les difficultés d’accès aux bases de données ou le manque de compétences pour lire et interpréter les résultats, notamment statistiques(1).

Mais comment s’y prendre ? L’objectif de cet article est de donner quelques clés afin que le lecteur apprenne à « extraire l’information pertinente de chaque document trouvé »(2). L’utilisation d’un outil de lecture critique est indispensable pour différencier l’information utile dans la prise de décision pour des soins pertinents et adaptés. Nous faisons ici le choix de nous centrer sur des articles présentant des études quantitatives.

2. MÉTHODE

L’article scientifique est centré sur des apports de connaissances, des savoirs, des études qui relatent des résultats nouveaux, proposent des stratégies pour améliorer les résultats, vérifient l’hypothèse de départ, la qualité de la démo1nstration et la force statistique du test (3,4). La lecture critique d’articles scientifiques consiste en une méthode de lecture rapide et fait gagner du temps au lecteur. Elle nécessite d’avoir en tête les critères les plus importants à considérer pour juger de la qualité et de la pertinence potentielles d’un article (2). Vous jugez vous-même si vous rejetez l’article ou si vous poursuivez sa lecture. Dans cet exercice, l’utilisation d’une grille de lecture permet au lecteur d’évaluer la valeur scientifique d’une étude, notamment la validité du travail effectué. L’outil est également utile pour guider les auteurs dans l’écriture de leur propre article. Avec l’accord de l’auteur, trois infirmières du CHU de Bordeaux ont simplifié la grille originale de lecture critique mise au point par le professeur Salmi(2), véritable guide pour une analyse critique et objective d’un article (lire p. 47). Elle permet, pour chacune des étapes de l’article, de se poser les bonnes questions.

3. STRUCTURE D’UN ARTICLE

Un article scientifique est toujours structuré de la même manière. Dans le langage scientifique, on parle de format IMRD (I pour introduction, M pour méthode, R pour résultats et D pour discussion). Tout article scientifique a donc quatre chapitres et est complété d’un titre et d’un résumé, ainsi que de références bibliographiques venant étayer le discours (5). Ces points sont détaillés ci-dessous.

→ Le titre reflète le contenu de l’article et se doit d’attirer l’attention du lecteur qui, à partir de ce dernier, retiendra ou pas cet article. Il doit donner des indications précises comme la pertinence de la question posée, l’intérêt pour la population étudiée.

→ Le résumé permet au lecteur de juger rapidement s’il correspond à sa question, sa pratique. Il est également construit selon la structure IMRD car il reprend les sections de l’article intégral. Il donne les résultats informatifs de l’étude, qui permettent au lecteur d’en apprécier l’utilité et de juger, ou pas, de poursuivre la lecture de l’article.

→ L’introduction comporte quatre parties essentielles : l’énoncé général du problème et les raisons qui ont amené l’auteur à réaliser l’étude, la synthèse des publications sur le sujet et les principaux concepts, le cadre de recherche, la question ou objectif ou hypothèse de la recherche.

→ La méthode décrit en détail les techniques utilisées pour réaliser l’étude.

• Le devis ou schéma d’étude précise le plan global pour répondre à la question de recherche. Il s’agit de proposer un plan logique décrivant la manière de procéder pour réaliser la recherche.

• La population et l’échantillon (population à l’étude) précise les critères d’inclusion et d’exclusion, ainsi que le processus de sélection de la population. Dans une étude visant à comparer, par exemple, deux techniques de soin pour savoir laquelle est la plus efficace, le chercheur choisit dans la population concernée par ce soin, un échantillon représentatif qui lui permettra de vérifier son hypothèse. Les critères d’inclusion peuvent être le sexe, l’âge, le type de pathologie, et les critères d’exclusion : la non-compréhension du français, des troubles psychiatriques…

• Les considérations éthiques permettent de juger du respect des règles de conduite pour mener à bien une recherche : lettre d’information et recueil du consentement du patient, être en conformité avec la réglementation (comme la loi Jardé (6)).

• Le mode de collecte spécifie les variables étudiées et les outils de mesure utilisés (échelles, questionnaires, observations…). Le critère de jugement doit être explicite pour connaître quelle variable sera mesurée pour répondre à la question de recherche et comment sera réalisé le recueil de cette variable. Dans la plupart des études, les auteurs définissent un critère de jugement principal, pour répondre à l’objectif principal de l’étude et des critères de jugement secondaires pour les objectifs secondaires(1).

• L’analyse des données repose sur des tests statistiques dont l’utilité et l’objectif sont expliqués dans le détail. L’objectif de cette section est de donner le maximum de précisions pour permettre à d’autres chercheurs de reproduire l’étude.

→ Les résultats énoncent clairement et de manière synthétique l’ensemble des informations recueillies. Ils mettent en évidence la réponse à la question posée ou la vérification de l’hypothèse de départ. Ils sont présentés sous forme de tableau, texte, figure ou résumé narratif, précisant ainsi la randomisation, le recrutement des patients, leur suivi tout au long de l’étude. On appréciera leur capacité à donner les mêmes résultats, quelles que soient les conditions d’application, et à mesurer la variable étudiée.

Pour que les résultats justifient un changement dans les pratiques de soin, il faut qu’ils soient cliniquement significatifs, c’est-à-dire qu’ils soient suffisamment importants pour inciter le changement. Exemple : la technique de prise en charge des escarres par pétrissage est devenue totalement obsolète après qu’une étude a prouvé que le pétrissage donnait lieu à des lésions ayant un effet inverse de celui attendu.

→ La discussion comporte quatre parties clés :

• Le résumé des principaux résultats permettant d’expliquer comment l’auteur a répondu à la question posée. Si les résultats contredisent les hypothèses, l’auteur doit s’en expliquer.

• Une analyse critique et objective de la qualité et de la validité des résultats obtenus. Dans cette partie, l’auteur peut exposer les limites de son étude (par exemple un biais de sélection ou le manque de fiabilité de certaines mesures).

• La confrontation des résultats de l’étude avec les connaissances actuelles sur le sujet.

• Les points clés à retenir, ainsi que des pistes d’utilisation des résultats dans la pratique(1).

4. CONCLUSION

Le domaine de la santé est en perpétuelle évolution et les techniques et pratiques de soin sont sans cesse remises en cause. Actualiser ses connaissances et remettre en question ses pratiques de soins font partie des obligations de tout professionnel de santé.

Comme pour tout apprentissage, un entraînement régulier à la lecture critique d’articles scientifiques sera bénéfique pour tous. Des clubs de lecture peuvent être mis en place dans les unités ou dans les secteurs de soins, offrant ainsi au professionnel une initiation à la lecture critique adaptée à son domaine, et favorisant ainsi le transfert des connaissances dans la pratique.

1- Bordenave C., Berger V., Stark F., « Introduction à la lecture critique d’articles », Oxymag., 2014, 135:30-2.

2- Salmi LR, Salamon R., « Lecture critique et communication médicale scientifique : comment lire, présenter, rédiger et publier une étude clinique ou épidémiologique » [Internet]. Issy-les-Moulineaux [France : Elsevier Masson 2012 [cité 10 août 2018]. Disponible sur : http://site.ebrary.com/id/10552180

3- Davies B., Coutu-Wakulczyk G., Logan J., Lire des textes de recherche : guide convivial pour infirmiers et autres professionnels de la santé, 4e édition. Toronto : Mosby Elsevier, 2011, 62 p.

4- Favre N., Kramer C., La recherche documentaire au service des sciences infirmières et autres professions de santé, 2e édition. Lamarre, 2016, 206 p.

5- Fortin M.-F., Gagnon J., Fondements et étapes du processus de recherche : méthodes quantitatives et qualitatives. Montréal : Chenelière Éducation, 2010.

6- Loi Jardé sur les recherches impliquant la personne humaine - décret d’application n° 2016-1537 du 16 novembre 2016.