Un problème de santé publique encore mal connu - L'Infirmière Magazine n° 399 du 01/12/2018 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 399 du 01/12/2018

 

FORMATION

L’ESSENTIEL

Héloïse RAMBERT*   Dr Erick Petit**   RESENDO***  


*service
d’imagerie
médicale,
centre de
l’endométriose
**groupe
hospitalier Paris-Saint-Joseph

L’endométriose touche environ 15 % des femmes dès leurs premières règles. Mais elles mettent en moyenne sept ans à se voir poser le bon diagnostic, la majeure partie des professionnels de santé ayant intégré comme normales les douleurs menstruelles.

1. PRÉSENTATION

L’endométriose se définit comme la présence de cellules de l’endomètre en dehors de leur site naturel, c’est-à-dire la cavité utérine. Elle touche environ 15 % des femmes.

Physiopathologie

L’endométriose est une maladie complexe, hétérogène et plurifactorielle. Elle est présente dès l’apparition des premières règles, elle n’est donc en aucun cas une maladie de la femme « mûre », comme certains professionnels de santé continuent de le penser. La physiopathologie de l’endométriose est encore mal connue et aucune théorie n’explique à elle seule la maladie. Il est cependant établi qu’elle se caractérise par une anomalie de la contractilité du muscle utérin (le plus puissant de l’organisme). Cette dyscontractilité est causée par des déséquilibres hormonaux complexes.

De manière générale, chez toutes les femmes, l’utérus effectue en permanence deux types de mouvements :

- un mouvement du haut vers le bas (descendant), avec un pic d’amplitude lors des règles, pour chasser la muqueuse utérine hors de la cavité utérine ;

- un mouvement du bas vers le haut (ascendant), avec un pic d’amplitude au moment de l’ovulation, pour faciliter la montée des spermatozoïdes vers l’ovocyte et donc la fécondation.

Chez les femmes atteintes d’endométriose, ces mouvements physiologiques sont plus fréquents, plus amples, plus puissants et anarchiques. Ils connaissent également des pics en période péri-ovulatoire et périmenstruelle.

→ Cette hypercontractilité permanente, stressante pour l’utérus, a pour conséquence de créer une brèche entre l’endomètre et le myomètre (le muscle de l’utérus) : des cellules de l’endomètre vont migrer et pénétrer dans le myomètre. De manière concomitante, un autre phénomène se produit : au moment des règles, des cellules de la muqueuse utérine sont expulsées dans le “mauvais sens” par les trompes et passent dans la cavité abdominale. Ce reflux, en tant que tel, est physiologique et n’a rien d’anormal. Dans les cas non pathologiques (90 % des cas), il ne concerne que quelques cellules, habituellement résorbées par le système immunitaire. Mais chez les femmes atteintes d’endométriose, la forte puissance des contractions utérines produit un flux de sang plus important et donc un reflux par les trompes également plus important. En grand nombre dans la cavité abdominale, les cellules de l’endomètre deviennent des agresseurs. Les capacités du système immunitaire sont dépassées et il ne peut plus les détruire.

→ Les cellules de l’endomètre vont se développer un peu partout dans le ventre et former des foyers d’endométriose. Typiquement, elles se fixent à la surface du péritoine (l’enveloppe de tous les organes pelviens) et/ou d’un organe. L’implantation se fait en priorité dans les régions déclives, postérieures et gauches du pelvis. De manière beaucoup plus rare, les cellules peuvent quitter la cavité abdominale et migrer partout dans le corps (cerveau, sein, orbites…) en passant dans la circulation sanguine et lymphatique. À chaque fois que les cellules de l’endomètre se développent ailleurs que dans la cavité utérine, le système immunitaire réagit en produisant de l’inflammation pour tenter d’endiguer le phénomène. Les tissus soumis à cette inflammation chronique finissent par s’épaissir.

Les toxiques environnementaux, et notamment les perturbateurs endocriniens, seraient des facteurs de progression de prévalence de l’endométriose.

Profils anatomo-cliniques

Les foyers d’endométriose ne se développent pas de la même manière chez toutes les patientes, et au lieu de parler d’endométriose (au singulier), il serait plus correct de parler d’endométrioses (au pluriel). En fonction de la localisation et de la sévérité des atteintes, quatre spectres anatomo-cliniques de la maladie sont à distinguer :

- lorsque les cellules passent dans le myomètre, mais restent contenues dans l’utérus, on parle de forme utérine ;

- lorsque les cellules se fixent sur la surface du péritoine, on parle de forme péritonéale ou superficielle ;

- lorsque les cellules s’implantent en profondeur sous le péritoine, on parle de forme profonde : la maladie attaque alors les muscles des structures entourant l’utérus. En général, il s’agit d’une atteinte sous-péritonéale postérieure, qui touche (par fréquence décroissante d’atteinte) les ligaments utéro-sacrés (les ligaments qui attachent l’utérus au bas de la colonne vertébrale), le torus utérin, le cul-de-sac de Douglas, le rectum et la jonction rectosigmoïdienne, le cul-de-sac vaginal postérieur et le septum recto-vaginal, l’uretère. Plus rarement, les femmes développent une forme sous-péritonéale antérieure, qui, elle, concerne le cul-de-sac vésico-utérin et la vessie ;

- lorsque la maladie concerne les trompes et les ovaires, on parle de forme annexielle. La plus fréquente est la forme ovarienne, avec des cellules qui vont pénétrer dans l’ovaire et y constituer des hématomes qu’on appelle des endométriomes ou kystes endométriosiques.

Évolutions

Il existe différents profils évolutifs à l’endométriose. Certaines formes se révèlent sévères d’emblée, alors que d’autres resteront légères toute la vie de la patiente.

2. SIGNES CLINIQUES

Ils découlent des sites anatomiques où se développent les foyers endométriosiques. Cependant, il est crucial de garder en tête qu’il n’existe pas de corrélation entre les symptômes et la sévérité des atteintes. Les signes cliniques de la maladie sont nombreux, mais ne sont pas tous obligatoirement présents. Le tableau clinique est propre à chaque femme.

La règle des 6 D

Les signes répondent à la règle des 6 D, ce qui constitue un bon moyen mnémotechnique pour mener un interrogatoire.

→ Dysménorrhée : les règles sont douloureuses et abondantes. La douleur ne doit pas être banalisée et doit toujours être contestée. L’absentéisme scolaire et professionnel que les règles induisent est un véritable signal d’alerte. Les patientes peuvent ressentir des douleurs lombaires pendant les règles. Elles sont liées à une atteinte des ligaments utéro-sacrés qui se cabrent et répercutent la douleur dans le bas du dos.

→ Dyspareunie profonde : les femmes ressentent des douleurs au fond du vagin pendant les rapports sexuels.

→ Dyschésie rectale : l’évacuation des selles dysfonctionne (douleurs, impériosités…). Ces manifestations peuvent s’expliquer par un épaississement du muscle du rectum mais aussi, plus simplement, par un frottement des ligaments épaissis avec le rectum.

→ Dysurie : brûlures à la miction, envies impérieuses d’uriner, réveils nocturnes… Les symptômes urinaires, en dehors des infections urinaires caractérisées (avec présence de germes), doivent aussi alerter. Ils sont souvent l’expression de l’atteinte des ligaments, le long desquels passent les nerfs en charge de la commande de la vessie. L’autre raison peut être la présence de foyers inflammatoires d’endométriose dans la paroi de la vessie elle-même.

→ Douleurs pelviennes chroniques : l’épaississement des tissus colonisés par les cellules de l’endomètre provoque des douleurs dans la région pelvienne. L’inflammation est aussi source d’adhérence entre les organes qui finissent par coller entre eux et faire mal. Enfin, l’inflammation en tant que telle est algique.

→ Dysfertilité : l’endométriose ne rend pas stérile, mais est un facteur d’hypofertilité, surtout dans les formes sévères. 30 à 40 % des femmes touchées par l’endométriose ont une hypofertilité, et 30 à 40 % des femmes hypofertiles sont atteintes d’endométriose. La baisse de la fertilité peut être causée par différents facteurs : elle peut être due aux adhérences qui bouchent les trompes ou perturbent la rencontre entre le spermatozoïde et l’ovocyte, ou encore à l’atteinte utérine. Les femmes atteintes présentent plus de risques que les autres de faire des fausses couches.

Autres signes pouvant être présents

→ Douleur scapulaire droite : quand les cellules se fixent sur la coupole diaphragmatique, elles viennent irriter le nerf phrénique, provoquant une douleur dans l’épaule droite.

→ Syndrome de fatigue chronique.

→ Douleurs musculo-squelettiques périphériques.

→ Par ailleurs, les troubles fonctionnels de l’intestin (ballonnements, diarrhées, constipation…) sont toujours présents.

À noter : l’endométriose étant une maladie liée aux règles, tous les symptômes sont exacerbés au moment des règles. Mais, sans traitement, la maladie peut devenir chronique et les douleurs peuvent apparaître au-delà des règles. À terme, la patiente peut souffrir de symptômes tout au long du cycle : c’est le syndrome d’hypersensibilisation, un signe de gravité et d’ancienneté de la maladie.

Diagnostic

Le diagnostic est difficile et prend en moyenne sept ans. Ce délai s’explique en partie par les femmes elles-mêmes qui ont intégré les douleurs menstruelles comme étant normales et ne consultent pas. La pluridisciplinarité de la maladie et le nombre de symptômes différents qui peuvent se manifester compliquent également le diagnostic.

Mais c’est la méconnaissance de la maladie par le corps médical qui est le facteur majeur du retard au diagnostic. Un interrogatoire adapté pourrait orienter vers l’endométriose mais les professionnels de santé, dans leur très grande majorité, ne savent pas écouter les symptômes. Ils sont trop nombreux à considérer qu’il est naturel pour les femmes d’avoir mal pendant leurs règles et qu’une plainte persistante est d’ordre psychologique.

Quant à l’examen gynécologique, même bien mené, il permet difficilement de déceler l’endométriose. Les gynécologues qui connaissent bien la maladie peuvent toucher les ligaments utéro-sacrés douloureux, mais n’y parviennent que dans 20 % des cas en moyenne.

Le diagnostic repose avant tout sur l’imagerie, qui doit objectiver les symptômes et faire un inventaire précis des lésions. L’échographie pelvienne endovaginale est l’examen de référence. L’IRM est aussi un examen qui permet de poser le diagnostic. Mais, une fois encore, les radiologues véritablement formés à la détection des lésions ne sont pas assez nombreux. Autre paradoxe : les centres de PMA, à l’exception de ceux liés à un centre expert, font rarement le diagnostic d’endométriose, alors même que la maladie est le premier facteur d’infertilité.

HISTORIQUE

Depuis la nuit des temps…

→ L’endométriose est médiatisée depuis quelques années, mais elle est en fait très ancienne. Elle était probablement déjà connue des Égyptiens, dès 1855 avant J.-C. Elle est aussi décrite dans les textes du Corpus hippocratique datant du Ve siècle avant J.-C. Les Grecs avaient déjà pressenti que la maladie était organique, qu’elle venait de l’utérus et qu’elle était liée aux règles. Mais la connaissance de la maladie a ensuite dérivé et la période moyenâgeuse a accentué la confusion (qui allait avoir la vie dure) entre l’endométriose et une maladie psychique qui n’existe pas : l’hystérie. Taxer les malades d’« hystériques » a été la règle pendant des siècles. Cependant, à chaque époque, il y a toujours eu des médecins persuadés que ces femmes en souffrance étaient atteintes d’une maladie organique de l’utérus, mais sans qu’ils puissent le démontrer.

→ La maladie a été découverte en 1860 par un anatomopathologiste autrichien, Karl Von Rokitansky, qui fut le premier à comprendre que, chez ces femmes, les cellules de la muqueuse utérine n’étaient plus “à leur place”. En 1927, un chirugien américain, John Sampson, a compris qu’il y avait un reflux des règles par les trompes et que, pour cette raison, les cellules de l’endomètre se déplaçaient. Dans les années 1990, les progrès spectaculaires de la résolution des techniques d’imagerie médicale ont permis d’affiner la connaissance de l’endométriose.