À QUOI DOIT RESSEMBLER LE CHU DE DEMAIN ? - L'Infirmière Magazine n° 399 du 01/12/2018 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 399 du 01/12/2018

 

ORGANISATION

ACTUALITÉS

REGARDS CROISÉS

ADRIEN RENAUD  

En décembre 1958, les fameuses « ordonnances Debré » créaient les centres hospitalo-universitaires (CHU). Soixante ans après, ces mastodontes font débat et le gouvernement a engagé une réflexion sur le « CHU de demain ».

Guy Vallancien

« Des groupes médico-universitaires avec des personnels sous contrat »

Vous avez écrit que les ordonnances Debré n’avaient « plus la forme ni la cote ». En quoi sont-elles dépassées ?

La réforme Debré a été bienvenue en 1958 : elle correspondait à une époque où les hôpitaux ressemblaient davantage à des hospices qu’à des établissements de haute technologie. Il fallait créer des centres, des endroits où l’on pouvait agglutiner tout le monde. Mais aujourd’hui, on s’aperçoit qu’il faut faire tout le contraire.

Que préconisez-vous ?

Je pense qu’il faut transformer les CHU en GMU, en groupes médico-universitaires. Les « centres » doivent devenir des « groupes » car il est nécessaire de décentraliser l’organisation pour aller jusqu’à la maison de santé. Le mot « hospitalo » doit être remplacé par « médico », car on va arriver à 80 % de prise en charge ambulatoire. Enfin, on doit garder le terme « universitaire » dans son acception de formation et de recherche, et en y ajoutant l’introduction forte et régulée de l’industrie pharmaceutique.

Les GHT(1) ne répondent-ils déjà pas à une partie de vos préoccupations ?

Non, parce qu’avec les GHT, c’est toujours le CHU qui gagne à la fin. On voit d’ailleurs bien que les plus petites structures en ont peur et ne veulent pas y aller. Il faut laisser les acteurs plus libres, faire respirer le système, faire collaborer l’hôpital avec les cliniques et les cabinets de groupe, faire travailler des libéraux à l’hôpital et des hospitaliers dans les maisons de santé…

La gouvernance des CHU doit-elle changer ?

La gouvernance bicéphale que nous connaissons n’a aucun sens : nous avons un président de CME(2) qui est élu par ses mandants médecins, qui devient ensuite l’associé du directeur général. Je prône une gouvernance inspirée de ce qui se fait en Hollande, qui repose sur un triumvirat : chacune des trois missions (enseignement, recherche, clinique) a un responsable qui est un professionnel de son domaine, et ils décident ensemble. La direction générale met ensuite leurs décisions en application.

Les réformes que vous préconisez sont-elles de nature à alléger la souffrance au travail dans les CHU ?

La souffrance au travail est double. Tout d’abord, il n’y pas plus de reconnaissance pour ceux qui travaillent dur que pour ceux qui se la coulent douce. Il faut donc pouvoir reconnaître ceux qui s’engagent plus, et sanctionner ceux qui ne font pas leur boulot. Il y a d’autre part des restrictions de moyens : il faut s’attaquer aux actes inutiles et les réduire drastiquement. La clé, c’est de laisser les acteurs s’organiser.

N’êtes-vous pas en train de proposer une forme de privatisation des CHU ?

Les questions de privé et public n’ont plus de sens. L’État ne doit pas gérer la santé, ce n’est pas son boulot : il ne peut pas être l’arbitre et siffler les cartons à un moment, et à un autre, s’emparer du ballon pour marquer un but. Je propose donc la fin du statut public, les personnels des GMU doivent être sous contrat, et négocier leur fiche de poste avec leur hiérarchie.

Jérémie Sécher

« Valoriser et généraliser les initiatives entre la ville et l’hôpital »

Soixante ans après l’adoption des ordonnances Debré, le modèle des CHU est-il toujours autant pertinent ?

La triple mission de soin, enseignement et recherche qu’assument les CHU a contribué à faire du système de santé français un système d’excellence. Il n’en reste pas moins vrai que la prochaine réforme hospitalière sera celle des CHU et qu’elle doit toucher ces trois missions… Il y a aussi un nouveau défi majeur : la participation des hôpitaux au développement économique des territoires, avec l’émergence de technopoles à proximité des CHU.

Comment rapprocher le CHU des soins de ville ?

Il me semble important de se garder de l’hospitalo-centrisme, tout en reconnaissant que les hôpitaux en général et les CHU en particulier, sont prêts à assumer une responsabilité populationnelle. Beaucoup d’initiatives ville-hôpital marchent très bien en France aujourd’hui. L’enjeu, c’est de les valoriser, de les généraliser. Cela passe d’abord par une simplification administrative et financière, et par la mise en place d’incitations partagées entre les deux secteurs. De ce point de vue, l’expérimentation de financements au parcours est une perspective intéressante. L’autre enjeu consiste à trouver, au niveau du territoire, une gouvernance permettant aux professionnels de ville, à ceux des établissements, aux élus et aux usagers d’avancer ensemble sans tomber dans l’empilement administratif que nous connaissons aujourd’hui.

Comment éviter que le CHU prenne toute la place dans la gouvernance territoriale ?

Il y a ici un enjeu culturel. Les hospitaliers et tous les acteurs de santé doivent sortir des logiques patrimoniales pour se projeter dans des logiques d’équipe et de fonctionnement en réseau. Il y a aussi une dimension financière : pour sortir des logiques patrimoniales, il faut changer les règles du jeu et cesser de voir des parts de marché partout. C’est là que la réforme de la T2A(1), timidement amorcée avec la LFSS(2) est essentielle.

Qu’en est-il de la gouvernance à l’intérieur des CHU ?

Je considère que le sujet principal est ici le management institutionnel. Il est essentiel de professionnaliser la ligne de management en valorisant les managers médicaux et soignants. Il faut arrêter de penser que l’expert médical ou le soignant le plus “capé”, celui qui a le plus de publications, est par hypothèse le meilleur manager pour le service. Il faut au contraire dénicher celui qui est le plus apte, le mieux formé et le plus légitime, et lui donner envie d’exercer des fonctions de management, tout en continuant à exercer son métier.

Êtes-vous optimiste sur les évolutions à venir ?

Oui, pour deux raisons. Tout d’abord parce que les professionnels des CHU, malgré les difficultés du quotidien et la souffrance au travail, conservent une énergie formidable au service des patients. D’autre part, la communauté hospitalo-universitaire s’est mobilisée pour faire des propositions qui seront présentées courant décembre. Certains les trouveront modestes, ce qui est normal car elles sont issues d’un consensus, mais elles traduisent des convergences fortes.

1 - Groupements hospitaliers de territoire.

2 - Commission médicale d’établissement.

1 - Tarification à l’activité.

2 - Loi de financement de la Sécurité sociale.

GUY VALLANCIEN

PRÉSIDENT DE LA CONVENTION FOR HEALTH ANALYSIS AND MANAGEMENT (CHAM)

→ 1992 : professeur d’urologie à l’université Paris-Descartes → 1996 : chef du département d’urologie à l’Institut Montsouris

→ 2000 : membre de l’Académie nationale de chirurgie

→ Depuis 2009 : fondateur et président de la Cham, une conférence annuelle à Chamonix, considérée comme le “Davos” de la santé en France

JÉRÉMIE SÉCHER

PRÉSIDENT DU SYNDICAT DES MANAGERS PUBLICS DE SANTÉ (SMPS)

→ 2003-2008 : directeur adjoint au CHU de Lille et à l’AP-HP

→ 2008 : directeur du cabinet du président et du délégué général de la Fédération hospitalière de France (FHF)

→ 2011 : directeur des CH de Fontainebleau, Nemours, Montereau et de l’Ehpad Beaumont-du-Gâtinais

→ Depuis 2014 : directeur des CH d’Antibes Juan-Les-Pins, Puget-Théniers, Entrevaux, du pôle santé Vallauris-Golfe-Juan, et président du SMPS, l’un des principaux syndicats de directeurs d’hôpitaux

POINTS CLÉS

→ Les ordonnances Debré ont créé les CHU en 1958, ce qui a permis de concentrer en un seul lieu les fonctions de soin, d’enseignement et de recherche. Elles ont aussi créé des postes de médecin hospitalier à plein temps, alors que les praticiens avaient auparavant l’habitude de partager leur temps entre l’hôpital et leur cabinet de ville.

→ Les CHU sont peu à peu devenus des acteurs majeurs du paysage sanitaire, attirant autant les louanges que les critiques : certains considèrent qu’ils sont à l’origine de l’excellence du système de santé français, tandis que d’autres regrettent leur caractère lourd et bureaucratique.

→ Une mission a été confiée en novembre 2017 par les ministres de la Santé et de la Recherche aux responsables hospitalo-universitaires (présidents de conférence des doyens, présidents de conférence des directeurs, etc.) afin de dessiner les contours du « CHU de demain ». Cette mission doit rendre ses conclusions courant décembre (elles n’étaient pas connues à l’heure où nous mettions sous presse).