QUE VA CHANGER LA FIN DU NUMERUS CLAUSUS ? - L'Infirmière Magazine n° 398 du 01/11/2018 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 398 du 01/11/2018

 

ÉTUDES DE MÉDECINE

ACTUALITÉS

REGARDS CROISÉS

ADRIEN RENAUD  

Le gouvernement a annoncé, en septembre, la suppression du « numerus clausus », qui limite le nombre de personnes autorisées à passer en deuxième année de médecine. Une réforme qui va modifier le quotidien des étudiants, mais pas la démographie médicale.

Clara Bonnavion

« La Paces est un broyeur d’étudiants, il faut un système moins anxiogène »

La suppression du « numerus clausus » est-elle une bonne nouvelle ?

Oui, tout comme la suppression de la Paces (première année commune aux études de santé, qui se termine actuellement par le concours dont le numerus clausus fixe le nombre d’admis, NDLR), qui ne peut en être séparée. On est aujourd’hui dans un système uniformisant qui sélectionne toujours les mêmes profils, qui est anxiogène pour les étudiants et qui manque de sens. Les étudiants sont sélectionnés sur des qualités mémorielles, non sur des qualités réflexives.

Quels modes de sélection remplaceront la Paces ?

L’objectif est de favoriser la diversité des profils, en allant chercher des étudiants qui viennent de partout. Il existe déjà un dispositif nommé Alter-Paces, qui permet à des étudiants d’autres filières de passer des épreuves débouchant sur une intégration en médecine. Cela ne concerne actuellement qu’un petit nombre, qu’il s’agit d’amplifier.

Y aura-t-il toujours sélection ?

Oui, le gouvernement l’a assuré. On n’ira donc pas vers une augmentation significative du nombre de médecins formés.

Aucun effet sur les déserts médicaux, donc…

Non. Le numerus clausus a déjà été augmenté : dans les années 1990, il n’était que de 3 500, alors qu’il est actuellement de 8 500. Augmenter aujourd’hui le nombre de médecins formés ne servirait à rien et n’aurait de toute façon d’effet que dans une vingtaine d’années, car les études de médecine et l’installation prennent du temps. Le problème de la démographie médicale a d’autres racines que le numerus clausus : le fait que notre formation ne nous fasse pas découvrir tous les modes d’exercice et tous les territoires ; le manque d’exercice coordonné ; le manque de pertinence des soins…

Les capacités d’accueil des facultés semblent de toute façon trop faibles pour répondre à une augmentation du nombre d’étudiants…

Oui. Dans certaines facultés, les amphis sont trop petits pour accueillir toute une promotion. Les bibliothèques universitaires sont saturées. Il faut aussi pouvoir garantir la qualité pédagogique. Or, nous avons beaucoup de cours magistraux. Il faudrait au contraire favoriser les travaux dirigés et les travaux pratiques en effectifs restreints, ce qui devient compliqué si on augmente le nombre d’étudiants. Il y a en outre un problème de capacité d’accueil en stage. Nous sommes souvent trop nombreux dans les stages hospitaliers, ce qui pourrait se résoudre en développant les stages en ambulatoire. Les facultés travaillent à augmenter le nombre de terrains de stage, mais cela prend du temps.

Quels sont les points de cette réforme sur lesquels vous serez vigilants ?

Nous serons toujours opposés à toute forme de sélection à l’entrée à l’université. La qualité de la formation médicale doit par ailleurs être préservée. Enfin, le nouveau modèle devra réduire les risques psychosociaux : la Paces est un broyeur d’étudiants, il faut trouver un modèle moins anxiogène.

Marc-Olivier Deplaude

« À la fin des années 1960, il n’était pas facile de trouver des places »

Pourquoi les pouvoirs publics ont-ils, à l’origine, instauré un « numerus clausus » ?

Au départ, il s’agissait notamment de la réaction de certains universitaires de facultés parisiennes, choqués de voir que leurs institutions avaient été touchées par les mobilisations étudiantes de 1968. Ils désiraient introduire une sélection plus stricte pour préserver la valeur et le prestige des études médicales. La fin des années 1960 correspond aussi à l’entrée en vigueur de ce qu’on appelait alors “l’externat pour tous” : tous les étudiants de second cycle devaient exercer des fonctions hospitalières. Il n’était pas facile de trouver des places pour tout le monde, et cela a été un argument pour réduire le nombre d’étudiants.

On a aussi évoqué des enjeux budgétaires…

Oui. On savait que, dix ans après être entrés en médecine, bien des ex-étudiants allaient exercer en libéral, ce qui allait avoir un impact non contrôlable sur les finances de l’Assurance maladie. On a aussi pu considérer le numerus clausus comme un bon moyen de mettre la pression sur le système de santé, pour l’obliger à se réformer en favorisant les regroupements de services ou les fermetures d’hôpitaux. Il faut aussi souligner que, du côté des syndicats de médecins libéraux, cette politique restrictive était fortement appréciée : il s’agit en effet d’une époque où le marché du travail était saturé en médecine et où certains jeunes généralistes avaient des difficultés pour constituer leur patientèle.

Cette politique restrictive a-t-elle été efficace ?

Du point de vue des médecins libéraux, oui : l’entrée dans la carrière libérale est aujourd’hui plus confortable qu’il y a trente ans. Du point de vue économique, je ne connais pas d’étude permettant de dire quelle a été la contribution des mésures de contrôle du nombre de médecins sur les dépenses de santé. Il y a probablement eu un certain effet. Mais, d’un autre côté, les étudiants en médecine et les internes jouent un rôle important à l’hôpital : la diminution de leur nombre a contraint les établissements à chercher à les remplacer, notamment par des médecins à diplôme étranger. On se retrouve donc avec davantage de médecins que ce qui était prévu au départ.

C’est donc un échec ?

Oui, et c’est pour cela que le nombre de médecins formés a augmenté à partir des années 1990-2000. On en forme aujourd’hui davantage qu’il y a trente ans.

Si le « numerus clausus » n’a pas permis de réduire le nombre de médecins, peut-on s’attendre à ce que sa suppression pallie le problème de démographie médicale actuel ?

La ministre a reconnu que cette réforme n’aurait pas un grand impact sur cette question. Les universités vont déterminer elles-mêmes le nombre d’étudiants qu’elles veulent recevoir : elles vont le faire en fonction de critères internes (capacités d’accueil, besoin dans les hôpitaux…) et non selon la démographie régionale. Il me semble que l’abandon du numerus clausus est surtout une manière de reconnaître qu’on ne sait pas planifier le nombre de médecins nécessaire pour répondre aux besoins de santé de la population : cela supposerait de faire de la prospective sur quinze ou vingt ans, et c’est extrêmement difficile.

CLARA BONNAVION

ÉTUDIANTE EN MÉDECINE, PRÉSIDENTE DE L’ASSOCIATION NATIONALE DES ÉTUDIANTS EN MÉDECINE DE FRANCE (ANEMF)

→ 2015 : entame ses études de médecine à Saint-Étienne (42)

→ 2018 : valide sa 3e année de médecine, élue présidente de l’Anemf

MARC-OLIVIER DEPLAUDE

SOCIOLOGUE, CHARGÉ DE RECHERCHE AU CENTRE NATIONAL DE RECHERCHE SCIENTIFIQUE (CNRS)

→ 2007 : thèse de sociologie sur le « numerus clausus »

→ 2015 : publie « La hantise du nombre », aux éditions des Belles Lettres, sur l’histoire du « numerus clausus »

POINTS CLÉS

→ Le « numerus clausus », instauré dans les années 1970, fixe chaque année le nombre de places au concours de fin de 1re année de médecine, de pharmacie, d’odontologie et de maïeutique.

→ Il est critiqué notamment parce que sa baisse continue jusqu’au milieu des années 1990 est en partie responsable des “déserts médicaux” actuels.

→ On lui reproche aussi de faire peser sur les étudiants de 1re année un stress démesuré.

→ Dans le cadre du plan Santé, Emmanuel Macron et Agnès Buzyn ont annoncé la fin du numerus clausus.

→ Les modalités exactes de son remplacement sont encore en discussion (1), mais l’État a indiqué qu’il entendait favoriser un recrutement progressif au cours du premier cycle des études, avec des candidats venant de cursus diversifés.

→ La réforme a été saluée par une grande partie des représentants des médecins, mais beaucoup ont souligné qu’elle serait sans effet notable sur les déserts médicaux.

1- À l’heure où nous mettons sous presse.