Des demandes de contention qui interpellent - L'Infirmière Magazine n° 398 du 01/11/2018 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 398 du 01/11/2018

 

FORMATION

ÉVALUATION DES PRATIQUES

Anne-Gaëlle Moulun  

Parfois nécessaire, la restriction de liberté doit être limitée et très cadrée. L’équipe de l’établissement de SSR Camille-Blanc groupe MGEN à Évian-les-Bains (74) a analysé ses pratiques afin d’améliorer la gestion des contentions destinées aux personnes âgées.

L’HISTOIRE

→ En mai 2018, l’équipe de l’établissement de soins de suite et de réadaptation (SSR) Camille-Blanc groupe MGEN à Évian-les-Bains (74) identifie des pistes d’amélioration dans la gestion des contentions destinées aux personnes âgées.

→ À l’origine de la démarche, un nombre inhabituel de courriels reçus par Hélène Vivet, la cadre de santé, de la part de son équipe pour lui signaler le manque de contentions sécurisées au fauteuil. Les soignants lui indiquaient qu’ils n’en avaient plus assez et les équipes de nuit les nettoyaient la nuit afin qu’elles soient sèches le lendemain. Selon la cadre, ce problème ne s’était jamais présenté depuis l’ouverture de l’établissement, en 2013.

→ Précisons qu’il s’agit d’une unité sécurisée pour des patients souffrant de troubles cognitifs ou ayant un risque de fugue important. Elle accueille vingt-huit patients, en majorité des personnes âgées.

→ Simultanément, Hélène Vivet reçoit de la part du service qualité une alerte sur le nombre inhabituel de feuilles d’événements indésirables relatifs aux restrictions de liberté, donc à la contention. « Ce qui revenait dans les signalements, c’était que cela créait une désorganisation du travail dans le service », se souvient Hélène Vivet.

→ Or, cette unité située au sein d’un SSR permet une rééducation intensive tout en étant dans un cadre sécurisé. « L’environnement est favorable à la déambulation et permet donc normalement de minimiser les dispositifs de sécurisation au fauteuil, explique Hélène Vivet. Dans ce service, le but de la contention est d’éviter la chute et de sécuriser le patient dans son environnement. »

→ Le premier réflexe d’Hélène Vivet a été d’envisager l’achat du matériel nécessaire afin de répondre rapidement aux besoins du service et des patients en cas de nouvelle prescription. « Je l’ai fait de manière immédiate, raconte Hélène Vivet. Ensuite, j’ai cherché plus précisément l’origine de ce manque de matériel : remplacement de matériel usagé, nombre de prescriptions… » Question qui l’a conduite à mener l’enquête.

L’ENQUÊTE

Lors de sa visite dans le service, Hélène Vivet s’aperçoit d’abord qu’il est en pleine période de transition entre deux médecins. La tâche pour le médecin arrivant n’était pas simple, car les dossiers sont riches, les patients étant hospitalisés parfois depuis plusieurs semaines. Par ailleurs, leurs situations évoluent très vite.

Analyse des dossiers patients

« J’ai commencé par étudier tous les dossiers pour vérifier les dates de prescription initiale des contentions, les réévaluations éventuelles, les traitements, etc. Je l’ai d’abord fait seule, puis j’ai retravaillé avec l’équipe au moment des synthèses », explique Hélène Vivet. Les synthèses sont des réunions pluridisciplinaires présidées par le médecin où tous les intervenants paramédicaux sont présents : AS, IDE, kinésithérapeute, ergothérapeute, neuropsychologue et psychologue, assistante sociale. Lors de ces synthèses, l’équipe fait le point notamment sur la nécessité ou non de lever la sécurité au fauteuil ou les barrières de lit. « Certains patients ont une démence Alzheimer et ne peuvent pas se lever seuls, mais ils n’en ont pas conscience, donc des contentions sont nécessaires pour leur éviter de chuter. Mais, parfois, au bout de quinze jours de kinésithérapie de renforcement musculaire, ils peuvent à nouveau se lever et, à ce moment-là, les contentions ne sont plus utiles. La décision de les lever est alors prise en synthèse », souligne Hélène Vivet.

Ce travail d’analyse des dossiers patients a ainsi mis en évidence que les prescriptions de mesures de restriction de liberté n’étaient pas toutes réévaluées et qu’elles ne l’étaient pas assez rapidement. « Normalement, la contention mise en place est un soin, qui doit évoluer en fonction de l’état du patient », souligne Hélène Vivet. Cela implique donc d’interroger la famille sur les habitudes antérieures du patient, mais aussi de se questionner sur les traitements, en particulier ceux à risque de chute et, in fine, sur les indications de telle ou telle contention.

Création d’un groupe de travail

Dans un deuxième temps, un groupe de travail a été constitué afin de se pencher sur ce besoin accru et soudain de contentions.

L’objectif a été « d’aborder ce problème de manière globale et objective. Il s’agissait d’identifier tous les risques attenants et de les hiérarchiser, pour ensuite élaborer un plan d’action avec l’adhésion de l’équipe, explique Hélène Vivet. Pour cela, le groupe de travail s’est appuyé sur la grille d’analyse des risques et de criticité que nous avions utilisée pour passer la certification V. 2014. »

Le point de départ de la démarche a donc été le constat “plus assez de contentions”. Tous les risques ont ensuite été déclinés, en s’attachant à répondre à certaines questions : pourquoi, d’un seul coup, a-t-on autant de patients qui ont besoin de contention ? Pourquoi la contention est-elle un problème ? Qu’est-ce que la restriction de liberté pour le patient, pour le soignant, pour son entourage ?

Ce remue-méninges a permis de dégager quatre thématiques de travail, dictées par différents constats (lire ci-après). Pour travailler, l’équipe s’est appuyée sur des documents internes validés par le service qualité de l’établissement et sur les dix critères du référentiel de l’Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé (Anaes) sur la pratique de la contention (voir encadré p. 42).

Constats et classification des risques

Les quatre grandes thématiques liées à la contention retenues sont : la restriction de liberté, l’incontinence, l’agenda de rendez-vous du patient et la prescription de traitements. Une liste des risques découlant de chacune d’elle a été dressée.

→ La restriction de liberté par la pose de contention peut provoquer, par exemple, des risques d’escarres, de grabatisation (altération de la mobilité), de perturbation de l’image et de l’estime de soi, mais aussi de la dynamique familiale. « Quand les patients se rendent compte qu’ils sont contentionnés, cela génère de l’anxiété, de l’énervement. De même, l’image que peut avoir une famille de son proche attaché peut être perturbée », explique Hélène Vivet.

L’équipe s’est également penchée sur les risques pour l’établissement, notant que la contention pouvait avoir un effet négatif sur la dynamique de rééducation. « La contention peut aussi provoquer un mauvais vécu de l’hospitalisation. Et quand un patient vit mal son hospitalisation, il renvoie tout de suite son mécontentement aux soignants qui sont en première ligne », observe Hélène Vivet.

→ Le deuxième thème, l’incontinence, est apparu en déclinant la thématique de la restriction de liberté. « Un patient qui a des troubles cognitifs mais est continent n’a aucun souci pour aller aux toilettes seul. En revanche, s’il est en contention, il ne va pas forcément avoir le réflexe de sonner pour que quel qu’un l’y accompagne. La contention provoque donc un risque de développement de l’incontinence chez les patients à risque », ajoute la cadre. Cette incontinence peut entraîner une perturbation de l’image et de l’estime de soi, un mauvais vécu de l’hospitalisation et, là encore, une perturbation de la dynamique de rééducation et de réadaptation. « Les soignants travaillent dans le sens de l’autonomisation des patients. Donc, pour une équipe, voir un patient devenir incontinent remet directement en question les propositions de soins et le projet de soins », déplore Hélène Vivet.

→ La troisième thématique identifiée portait sur la question de l’agenda des patients, leurs rendez-vous avec les kinésithérapeutes, ergothérapeutes, podologues, etc. Des dysfonctionnements sont apparus : « Il faut que les patients soient prêts et confortables pour aller en rendez-vous. Or, nous avons fait le constat que ce n’était pas toujours le cas, ce qui entraînait là encore une perturbation de la dynamique de rééducation et de réadaptation. Il peut s’agir de retards aux rendez-vous liés au fait que le patient nécessitait un soin de “nursing” et donc une levée de la contention, pour un accompagnement aux toilettes par exemple. Cela risquait de prolonger la durée d’hospitalisation et désorganisait les services support (brancardage, rendez-vous extérieurs, transports) », explique Hélène Vivet.

→ Enfin, les soignants se sont penchés sur la prescription de traitements. En effet, il a été constaté que l’administration de médicaments à certains patients se faisait sans réévaluation du besoin à distance de la prescription initiale. « Le risque pour le patient étant la survenue d’effets secondaires et/ou indésirables liés à l’administration d’un traitement non adapté chez une population à risque (hypnotique, anxiolytique à demi-vie longue, neuroleptique) », précise Hélène Vivet.

Autrement dit : l’administration de traitement entraînant potentiellement un risque de chute peut être l’origine de la prescription d’une ceinture de sécurisation au fauteuil. Le groupe de travail a donc mis en évidence la nécessité de la réévaluation du traitement.

ACTIONS CORRECTIVES

L’étape suivante a consisté à lister les actions déjà en place avant l’enquête et l’analyse du groupe de travail, et à mettre en place des actions correctives pour chaque thématique explorée. « Le but était que tous ces risques que nous avions mis en évidence ne se concrétisent pas », affirme Hélène Vivet.

→ Sur la restriction de liberté, ce qui avait déjà été réalisé de prime abord, c’était le devis pour l’achat de contentions supplémentaires, qui ont été livrées rapidement. Une mesure en réponse à la désorganisation engendrée par le manque de contentions.

• Actions correctrices : très rapidement, un contrôle des traitements induisant un risque de chute a été effectué au moment de la synthèse, la réunion hebdomadaire de l’équipe. Ce contrôle est depuis systématique. « Souvent, nous nous sommes aperçus, en reprenant la cause de la mise en place de la contention, qu’il y avait à l’origine une augmentation de l’anxiété, donc la prescription d’un anxiolytique, ayant entraîné un risque de chute ou une chute, et donc la mise en place d’une contention préventive ou curative. Nous avons donc revu lors de la synthèse tous les traitements et toutes les causes de prescription de contention », explique Hélène Vivet. En parallèle, l’équipe a formalisé, dans le dossier patient informatisé (DPI), des objectifs de mobilisation en chambre de chaque patient, via les transmissions et les fiches d’observation. « Par exemple, un patient qui a des faiblesses musculaires peut être placé en sécurité au fauteuil pour qu’il ne se lève pas seul, car il n’est pas en capacité de sonner pour demander à se lever. Au départ, il ne marche qu’avec le kinésithérapeute ou avec les soignants, puis une évaluation par le kiné permet de montrer que le patient, au bout de quelque temps, est capable d’aller seul du lit aux toilettes, donc qu’il est possible de lever la contention. Désormais, nous disposons d’une fiche d’observation facile à trouver visuellement dans le dossier patient, pour savoir où il en est, s’il marche sur vingt, trente ou cinquante mètres », détaille Hélène Vivet.

• En parallèle, un “quart d’heure qualité” a été organisé à destination des professionnels en lien avec le patient. « Je passe dans toutes les salles de soins (soins infirmiers, brancardiers, rééducation) et, pendant un quart d’heure, nous redéfinissons ce qu’est la contention, quels en sont les enjeux, comment on la met en œuvre, etc. », précise Hélène Vivet. Une fiche d’information sur la restriction de liberté est mise à la disposition des soignants. Ils peuvent la retrouver sur un serveur informatique et elle est distribuée en format papier le jour de la formation.

→ Sur la thématique de l’incontinence, les actions déjà en place consistaient à suivre un indicateur de consommation de produits de continence par le cadre infirmier, et à organiser une formation continence à destination des soignants par un prestataire spécialisé dans les dispositifs médicaux utilisés.

Les actions correctrices qui ont été ajoutées portent sur des tours systématiques auprès des patients. « Nous avions déjà des tours à 8 h, 10 h, 12 h, 16 h et 18 h, ainsi que des passages de nuit, mais nous avons ajouté un tour systématique à 14 h, après les repas, au moment où les patients sont plus relaxés. Cela permet de demander s’ils souhaitent aller aux toilettes, mais aussi de vérifier l’état cutané. Nous avons aussi refait le point sur l’état d’incontinence du patient : partiel ou total, notamment en discutant avec la famille en amont, pour savoir comment était le patient avant son arrivée dans l’établissement », développe Hélène Vivet.

Cette discussion avec les familles a permis de souligner l’importance d’expliquer aux proches ce qu’est une contention. « Nous avons un comité de bientraitance dans l’établissement. Après des retours de familles inquiètes qui sollicitaient les soignants sur un mode agressif, ce comité a mis au point un guide d’information concernant l’application d’une contention. » Il reprend une définition simple de la contention, les différentes formes de contention, ses bénéfices, ses inconvénients, la durée d’utilisation et les alternatives. « Le guide propose des photos de chaque situation possible et permet de répondre à un certain nombre de questions que se posent les proches. Cela simplifie la compréhension de la famille et, grâce à l’adhésion des proches, il est plus facile pour nous de connaître le patient, son projet de vie et de lui proposer des objectifs de rééducation et de réadaptation adaptés », souligne Hélène Vivet.

→ Concernant la thématique de l’agenda patient, il a été décidé de planifier les rendez-vous différemment et de faire en sorte que les patients les plus dépendants aient leurs rendez-vous juste après leur prise en charge en soins. Ainsi, ils ne sont pas souillés, ils se sentent bien et confortables.

→ Enfin, pour la partie prescription de traitements, une double vérification du pilulier et des actions de sensibilisation à l’usage des médicaments par la pharmacie à usage intérieur étaient déjà en place. Ce qui a été ajouté, c’est un contrôle systématique des plans de soins lors de la synthèse. « Pendant la réunion, nous vérifions si les traitements sont donnés. Sinon, nous nous demandons pourquoi et nous suggérons des réévaluations. Nous avons également rappelé les règles de bonnes pratiques en matière de circuit du médicament. »

Actuellement, le quart d’heure qualité sur le thème de la contention va être reprogrammé au quatrième trimestre et la cadre participe aux synthèses et se rend dans la salle de soins une journée par semaine. Une évaluation va être menée dans le courant du trimestre et il reste à assurer la pérennité dans le temps des actions correctrices mises en place. « Nous voyons déjà une amélioration : les contentions que nous avons achetées n’ont finalement pas toutes été utilisées et nous en avons réduit l’usage », conclut Hélène Vivet.

FOCUS

L’humanitude : le patient au cœur du soin

→ L’humanitude est une démarche de soin développée par deux professeurs d’éducation physique adaptée, Rosette Marescotti et Yves Gineste. Elle vise à majorer l’adhésion du patient aux soins en s’appuyant sur trois piliers relationnels, le regard, la parole et le toucher, ainis que sur un pilier identitaire, la verticalité.

« L’intérêt de l’humanitude, c’est de recréer le lien avec le patient en prenant en compte des choses simples : le regarder droit dans les yeux, être avec lui quand on fait le soin, utiliser le toucher, le regard », détaille Hélène Vivet.

→ L’établissement d’Évian-les-Bains a commencé à mettre en place cette démarche cette année. « Nous avons déjà suivi une session de formation, une seconde va avoir lieu en janvier et un comité de pilotage a été formé. Nous souhaitons qu’un maximum de personnes soient formées et qu’il y ait une vraie démarche d’équipe pour permettre une continuité dans la prise en charge du patient. Le but est de créer une relation dans le temps rassurante et sécurisante, favorisant l’adhésion du patient à ses soins », poursuit la cadre de santé.

Étudiants en IFSI

Les UE en lien avec le dossier

Références d’unités d’enseignement et extraits :

→ UE 1.3 S.1 : « Législation, éthique, déontologie » : les concepts en philosophie et éthique (liberté, humanité, altérité, dignité, vulnérabilité,…), les droits de la personne âgée (compétence 7) ;

→ UE 2.7 S.4 : « Défaillances organiques et processus dégénératifs » (compétence 4) ;

→ UE 2.11 S.1 : « Pharmacologie et thérapeutiques » : risques et dangers de la médication, et UE 2.11 S.3 : dispensation des médicaments chez les personnes âgées (compétence 4) ;

→ UE 3.4 S.4 : « Initiation à la démarche de recherche » : expliciter l’intérêt d’une démarche de recherche dans le domaine des soins et de la santé (compétence 8) ;

→ UE 4.1 S.1 : « Soins de confort et de bien-être » : prévention des escarres, bonnes pratiques et sécurité dans les soins, concepts de bien-être (compétence 3) ;

→ UE 4.5 S.2 et 4.5 S4 : « Soins infirmiers et gestion des risques » : notamment matériovigilance (compétence 7) ;

→ UE 4.8 S.6 : « Qualité des soins, évaluation des pratiques » : Évaluer une pratique professionnelle au regard des principes de qualité, de sécurité et de satisfaction de la personne soignée (compétence 7).