LES GRÉVISTES HAUSSENT LE TON - L'Infirmière Magazine n° 397 du 01/10/2018 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 397 du 01/10/2018

 

PSYCHIATRIE

ACTUALITÉS

FOCUS

HÉLOÏSE RAMBERT  

En grève depuis plus de trois mois, les soignants de l’hôpital psychiatrique Philippe-Pinel, à Dury (Somme), se battent pour plus de moyens humains. Comme, avant eux, leurs collègues de Rouen et du Havre. Tous appellent à un mouvement de convergence.

Ça a commencé et ça va durer. » Pour Frédéric Larivière, secrétaire du syndicat Force ouvrière (FO) au CH Philippe-Pinel à Dury (Somme), l’heure n’est pas à la résignation. Alors que la ministre des Solidarités et de la Santé, Agnès Buzyn, a annoncé « une feuille de route particulière pour la psychiatrie » mais pas de plan, les agents de l’hôpital maintiennent une mobilisation intense depuis le 15 juin. « Nous sommes sous des tentes devant l’hôpital, jour et nuit », explique le syndicaliste.

Le point de départ de leur mobilisation a été la grève de l’hôpital psychiatrique Pierre-Janet, au Havre, mais surtout celle de l’hôpital du Rouvray, à Rouen, au printemps dernier. Après plus de deux mois de mobilisation, dont des grèves de la faim et des blocages de route, les soignants du Rouvray ont obtenu la création de 30 postes et de nouvelles unités de soin. Les grévistes du Havre, dont certains s’étaient “perchés” sur le toit de leur hôpital en signe de protestation, ont aussi eu gain de cause.

Pour Pierre-Yves Herment, infirmier psychiatrique au Rouvray et représentant CFDT, il fallait en passer par là. « Se borner à la grève et aux banderoles, ça ne sert à rien. Et c’est ce que nous avons dit aux hôpitaux qui sont en communication avec nous. » Le personnel de Dury, après discussion avec leurs collègues, a lui aussi choisi de hausser le ton. Sans toutefois opter pour la grève de la faim ou l’occupation des toits. « En tant que soignants, il est hors de question que nous mettions nos vies en danger, estime Frédéric Larivière. Mais en juillet, nous avons occupé les locaux de notre ARS pendant trois jours et deux nuits. Nous avons été chassés par les CRS, ce qui a provoqué un soulèvement de tous nos collègues et leur adhésion au mouvement. Depuis lors, nous campons devant notre hôpital. »

Mobilisation collective

Les agents de l’hôpital Pinel ont décroché une première victoire. « Nous allons enfin être reçus, le 25 septembre, par notre ARS, se réjouit Frédéric Larivière. Nous nous assurerons que l’argent que l’on nous donne serve bien à une réorganisation qui soulage les services en souffrance. » Le syndicaliste assure que les choses bougent à l’échelle nationale. « Les autres hôpitaux sont en train de s’organiser. On peut supposer que des mouvements similaires au nôtre vont bientôt être annoncés. » Pierre-Yves Herment en appelle également à une action commune. « Nous voulons fédérer tous les hôpitaux psychiatriques de France, qui ont les mêmes revendications. Désormais, ils savent que l’on peut gagner. Il nous faut des mesures concrètes. Et s’il faut monter à Paris et en passer par des actions “coup de poing” pour être entendus, nous le ferons », prévient-il.

TÉMOIGNAGE

« Toutes les difficultés sont le symptôme d’un problème de coordination des soins »

PIERRE-MICHEL LLORCA

PROFESSEUR DE PSYCHIATRIE, DIRECTEUR DES SOINS À LA FONDATION FONDAMENTAL ET CO-AUTEUR DE « PSYCHIATRIE : L’ÉTAT D’URGENCE » (FAYARD, 2018)

La mise en œuvre des soins psychiatriques est de plus en plus difficile. Le système n’offre plus de solutions crédibles et pertinentes. Les professionnels n’y arrivent plus et souffrent d’une perte de sens de leur activité. L’organisation des soins ne répond plus aux besoins des malades. Toutes les manifestations des difficultés au sein du système hospitalier sont le symptôme d’un problème de coordination des soins. Pour répondre aux revendications, il faut absolument mettre en place un dispositif de coordination. Par exemple, lorsque des lits sont fermés en psychiatrie, des places en ambulatoire doivent être créées. Idem quand une expérience intéressante est menée dans un territoire avec succès, pourquoi ne pas établir un calendrier et une stratégie pour l’exploiter à plus large échelle ? La ministre de la Santé a installé une commission stratégique « santé mentale et psychiatrie » avec une feuille de route. Elle est très bien : beaucoup des mesures qui y figurent correspondent à celles que nous proposons. Mais la notion de coordination y est complètement oubliée. Pourtant, l’ampleur du problème la justifie.